# histoire #02 | Au sol, sous l’eau

L’ARBRE

Ce sont les racines, tout là-bas, qui m’ont renseigné. Il se passe sans cesse quelque chose, le soc qui fait son han-han, le vent son chum-chum, le vriiiii des pousses vertes. Ça fourrage toujours. Les bêtes, les petites et les grosses, et là, à ce qu’on me raconte, c’en est une grosse. Un long plan d’appui, une masse ferme, et dix petites bricoles qui gigotent de temps à autre. J’alerte les voisins « c’est immobile, à priori sans danger » et ça devient l’occasion de causer.

UNE FEMME

M’ont réveillée, les taches rousses, là-bas, il y a longtemps. M’a réveillée, une drôle d’histoire au sol, de l’autre côté de la Vègre. La terre accueille mon aïeule. Est-elle tombée, a-t-elle eu un malaise, est-elle triste, gaie, a-t-elle eu peur ou comme moi, aime-t-elle s’assoupir dos au sol ? Je ne sais et me suis rendormie.

MARIE

à force d’être courbée, paf ! au sol couchée, l’eau fuite, goutte après goutte de là-haut, mes hardes trempées si on me trouve, diront qu’elle était paumée, on n’a pas idée de se flanquer dans la boue bien grasse, la brune aux reflets roux, mes cheveux, mes pensées, mon cœur prêt à saigner pas encore, juste à la lisière des fourmilières détrempées, un renard fuyant par derrière les troncs, l’amas de feuilles du bois plein d’eau, l’aura du mal à brûler, au sol couchée comme ça, c’est pas fréquent, non, enfant, c’était le jeu à qui durerait le plus longtemps les yeux au ciel, on le faisait de jour, de nuit, fallait se cacher car les parents rouspèteraient et la mère aurait du mal à rattraper les vêtements gadouilleux, de tout mon long, toute nue, j’ai essayé une fois, trop froid à ne plus rien sentir, l’eau et la terre, pas la neige, non, bien plaquée ensemble vécu et non ressenti, intensité et absence pourtant le dos libère le ventre, la face, je m’éprouve, me sens belle, seule, sans honte, un tantinet vide, la vidange, il faut la faire sinon on éclate et ça gicle, mille petits fauves s’échappent, taches de vie, taches de son, on a beau frotter, ça ne part pas puis on décide de les regarder, ces petites choses et de les garder, ces petites choses, choses de ma vie, si on les voyait dans le futur, ce serait beaucoup d’étonnement mais pas ça, pas les traces sur le corps, qui parlent, qui seront toujours là, récupérées de la fille à la mère, bla bla elles parlent, c’est vite dit, ce ne sont pas des voix des murmures mais la peau, un souffle inouï où l’on voit le monde, dans l’eau des entrailles, le cri du premier souffle, les émois, le langage, la tristesse, et les joies, se souvenir, avoir été malmenée, aimée, oubliée parfois, on se l’imagine ce fatras, je l’appelle rouille, roussard, lune, fauve, automne

LE FANTÔME

là-bas où est l’eau

sur la terre de Champagne

dort la meunière

LA TISSEUSE

D’où ça vient ? De l’eau, de la fatigue. Ça brouille, s’embrouille. La terre tremble, les feuilles bruissent, la femme dort, non, la femme rêve – c’est son rêve, que je lis et j’écris, qui rejoint les feuillets de l’ombre comme sédiments enfouis.

A propos de Catherine Robert

Écrire, lire, marcher, rêver sont les piliers qui stimulent mes projets. Depuis deux ans, j'enquête et je raconte, parfois jusqu'à l'obsession. Quoi ? Le Vallon, son histoire, sa puissance, son influence... Ici, j'habite un laboratoire où tester des cheminements.