#histoire #03 | place Saint-Sulpice, en désordre

1. Elle tient le téléphone à bout de bras en essayant de placer son visage souriant le plus loin possible de l’appareil devant la fontaine qu’elle veut saisir en arrière-plan. Elle est noire et est habillée de blanc. C’est sûrement une religieuse. Coiffure : aucun cheveu ne dépasse de sa coiffe.

2. Il est assis sur un banc, les jambes pliées et jointes, les mains posées sagement sur ses genoux, et il regarde le parvis de l’église devant lui avec le visage paisible. Il a la peau sombre et luisante, il est habillé de gris. C’est sûrement un moine. Coiffure : cheveux courts.

3. Elle saute sur les carreaux du dallage devant l’entrée de l’église comme si elle jouait à une marelle imaginaire, ses cheveux sont emportés par les bonds successifs et semblent flotter en l’air. Elle porte une jupe et des socquettes blanches, elle attend sûrement ses parents. Coiffure : cheveux longs blonds lâchés.

4. Il marche vite la tête basse et les mains enfouies dans les manches de sa tunique en s’éloignant de l’église et s’apprête à emprunter un passage piéton pour traverser la chaussée. C’est sûrement un personnage d’Assassin’s creed, ou alors un moine pressé. Coiffure : impossible à distinguer sous sa capuche.

5. Elle avance lentement en déplaçant le déambulateur auquel elle se cramponne devant elle par petites avancées d’une dizaine de centimètres, pas plus, et ses petits pieds progressent à tout petits pas. Elle a sûrement hâte d’arriver chez elle. Coiffure : permanente argentée et figée à la laque.

6. Il est posté au coin de la rue et tourne sur lui-même en agitant un bras et en parlant fort, le bras immobile étant contraint de garder le téléphone collé à son oreille, comme s’il était manchot et emprisonné dans une cage invisible. Il a sûrement appris que sa femme avait oublié d’acheter du café. Coiffure : soignée, cou dégagé, mèche brune flottante.

7. Elle marche fièrement toute de blanc vêtue avec son étole rouge négligemment posée autour de son cou flottant derrière elle comme un drapeau que le courant d’air anime. Elle est sûrement une religieuse qui veut se faire remarquer, ce qui est peu courant. Coiffure : la coiffe blanche couvre partiellement les cheveux qu’elle a châtains.

8. Il se tient debout près d’un banc et regarde fixement ses mains qu’il frotte négligemment l’une contre l’autre en marchant lentement et en égrenant du bout des lèvres le comptage silencieux de choses mystérieuses. C’est sûrement un homme qui a perdu son carnet de notes et qui fouille dans sa mémoire. Coiffure : aucune, il est impeccablement chauve.

9. Il porte sur une main un imposant plateau rempli de bouteilles, de verres et de tasses de café et essuie de l’autre main la surface d’une table du Café de la Mairie tout en invitant un couple à s’asseoir à la table bientôt nettoyée. C’est un serveur de bar qui aimerait sûrement passer son dimanche ailleurs. Coiffure : dégarni sur le dessus, plus moine que les moines d’à-côté.

10. Elle déplie la plaque de carton qu’elle avait rangée avant la messe pour reprendre la place qui est la sienne l’essentiel de la journée sur les marches d’accès à l’entrée de l’église en prenant soin de se placer pour profiter au mieux du soleil qui brille. Elle espère sûrement glaner quelques pièces avec les fidèles restants. Coiffure : cheveux gris, filasse et gras.

11. Elle pointe l’index tendu vers le ciel pendant qu’elle s’adresse à son chien tenu en laisse et assis à ses pieds devant le passage piéton destiné à traverser la rue. Le chien se demande sûrement comment il va réussir à traverser en restant assis. Coiffures : chignon serré pour l’une, poils ras et brillants pour l’autre.

12. Il est assis sur un banc et remplit au crayon gris les pages d’un petit carnet genre Moleskine avec rabat supérieur d’une écriture serrée et passionnée tout en levant la tête de temps en temps pour regarder autour de lui. C’est sûrement un écrivain en herbe qui joue à être Georges Perec pendant quelques instants. Coiffure : Cheveux mi-longs bruns retenus au-dessus de sa nuque dans un catogan.

13. Elle se trouve au centre d’un groupe de personnes qui l’entourent, les mines sont hilares, certains tapent dans leurs mains tandis qu’elle continue à raconter son histoire en prenant à témoin son public, à force de détails croustillants et d’évidences appuyées. Elle se demande sûrement comment elle va en terminer, car à ce moment précis, elle n’en sait encore rien. Coiffure : simple, une barrette et une queue de cheval.

14. Il regarde passer les voitures avec un intérêt particulier comme s’il attendait quelque chose, comme si la solution à son problème pouvait venir de la voiture suivante, puis de la suivante, puis de la suivante. Il compte les voitures noires, blanches et grises et semble attendre vainement qu’une voiture de couleur se présente à ses yeux. Coiffure : une casquette avec une large visière.

15. Elle porte un haut rose fluo et un legging noir collé à la peau de ses jambes fines et vient de traverser en courant la place dans toute sa longueur avec une baguette de pain à la main, juste avant de disparaître au coin de la rue. Elle espère ne pas être en retard. Coiffure : un bandeau blanc sur le front et les cheveux mi-longs retenus en arrière par un élastique.

16. Il dort allongé sur le banc, mais il est tellement immobile qu’il est invisible, personne ne le voit, sauf ceux qui passent près de lui et le découvrent presque par hasard, se demandant s’il l’homme qu’ils distinguent n’est pas mort. Il se dit qu’il devrait arrêter de boire, mais d’un autre côté, il ne sait pas quoi faire d’autre. Coiffure : sans.

17. Elle est plantée debout sur le parvis de l’église à une dizaine de mètres devant l’entrée principale et regarde la tête en l’air, les tours de l’édifice, les détails de sa façade, les arches, jusqu’à ce qu’une douleur aux cervicales la contraigne à baisser la tête. Elle se dit sûrement que l’être humain n’est pas fait pour regarder en l’air. Coiffure : léger dégradé pour une chevelure abondante qui blanchit aux racines.

18. Elle jette un œil à son immense rétroviseur côté gauche avec les mains sur le large volant horizontal, prête à anticiper le départ de l’autobus affublé du numéro 70 sur son fronton à côté de sa destination qui indique la porte de Passy, pendant qu’une voix artificielle confirme que le terminus de l’autobus est bien la porte de Passy. Elle se dit qu’elle ne connaît personne porte de Passy. Coiffure : cheveux courts retenus en arrière par un bandeau à fleurs.

19. Il s’apprête à monter dans l’autobus avec son sac en cuir en bandoulière contenant des partitions complexes pour orgue et se demande s’il aura l’occasion, un jour, de jouer la Symphonie Gothique de Widor sur le grand orgue de l’église Saint-Sulpice. Il se dit aussi qu’il doit lui rester du fromage dans le réfrigérateur. Coiffure : coupe au bol parce qu’il trouve que ça fait Moyen-Âge.

20. Il est assis sur un plot en béton qui est relié à d’autres plots en béton par une énorme chaîne en acier peinte en vert, les yeux rivés sur l’écran de son téléphone sur lequel il fait danser son index pour scroller à toute vitesse à la recherche du message de sa mère qui lui a demandé de ramener quelque chose à la maison, mais il ne se souvient plus quoi. Il se dit qu’il va sûrement se faire engueuler. Coiffure : Bien peigné, raie sur le côté, coiffure de messe du dimanche.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

2 commentaires à propos de “#histoire #03 | place Saint-Sulpice, en désordre”

  1. Impressionnant. Impressionnée. J’aime beaucoup tes sûrement à chaque fin et ce détail concernant la coiffure, qui donnent un unité à ces vingt présentations Merci, Jean-Luc.