L’homme au pull-over rouge traverse le Campo un sac à dos arrimé aux épaules. Ses cheveux courts hésitent entre le gris et le blanc. Les jambes assez alertes recouvertes d’un pantalon en velours beige ou marron clair, le visage tourné à l’opposé des monuments à admirer. Il y a comme une crispation dans l’expression du regard.
La femme devant l’entrée de l’hôpital tient entre ses mains des dossiers blancs sans doute médicaux. Vêtue de bleu sombre avec une doudoune dont la capuche à l’arrière de la tête cache partiellement sa chevelure longue et brune. De profil, elle donne l’impression d’hésiter en se tenant sur le seuil.
La vieille femme au pied du pont Cavallo figée dans l’attente, la main posée sur le parapet sur sa gauche. La tête recouverte d’un fichu sans âge qui cache ses cheveux, le regard abaissé vers ses pieds et la première marche à grimper, elle semble dans l’attente d’un miracle.
On ne sait si l’homme devant l’église San Zanipolo entre ou sort de l’édifice. Rien sur le visage permet de le dire. Il n’a ni chapeau ni casquette mais cela ne suffit pas à dire qu’il vient de se confronter à quelques sculptures ou tableaux inoubliables. Il semble vide de toute résonance spirituelle ou artistique.
L’homme qui lit, assis sur les marches qui descendent vers le rio, est vêtu d’un costume noir, élégant, les cheveux grisonnant mais pas encore totalement blanchis par les ans. Légèrement penché sur le livre qu’il tient entre les mains, on sent bien que de temps à autre il lève les yeux du livre pour contempler les reflets qui n’en finissent pas de donner vie aux ondulations de l’eau. Il se tient dans cet entre-deux du songe et de la réalité.
En demi-silhouette à la fenêtre, elle semble plongée dans un épisode de silence s’évaporant sur les eaux colorées du canal. Ce sont ses longs cheveux d’argent qui captent le regard ainsi que sa main posée sous son menton qui la fait croire statue posée là pour le regard des touristes à l’affût. Lorsqu’elle se redresse, ses yeux ont la froideur fière d’une vénitienne qui ne se laisse pas impressionner.
C’est une vénitienne qui traverse la place. On le sait à son regard baissé sur les dalles de pierre, marchant à vive allure. Elle n’est qu’une silhouette dessinant des arabesques dans une sorte d’errance bien contrôlée. Elle ne lèvera pas les yeux et l’on ne saura rien des pensées qui l’agitent sous une chevelure sombre, serrée par un ruban rouge qui donne un peu de vie au personnage.
Dans la démarche et le visage du serveur de café, quelque chose rappelle, sans qu’on l’ait connu à cette époque là, l’enfant qu’il a dû être. Un sourire est suspendu à la rondeur de son visage, délivrant une sorte de joie continue qui se reflète dans ses yeux: face à lui, on se sent respirer large et beau. Il a préparé son centième espresso du jour, et le pose devant le client attablé en terrasse. Sous son crâne dégarni, on sent une joie de vivre.
Elle n’est plus qu’une apparition, un fantôme qui a traversé maintes et maintes fois l’espace du campo. Une femme aux cheveux bruns et frisés, séduisante, élancée, au pas qui résonnait avec fierté lorsqu’elle arpentait les ruelles de la ville, le regard vif, affûté, perçant, pour pouvoir relater devant la feuille blanche tout ce qui pourrait dire l’envers de Venise.
Un homme accoudé à la fenêtre, une cigarette entre les doigts, le regard suit les passants qui traversent le campo. Brun, plutôt jeune, enserré dans un t.shirt blanc trop étroit, les avant-bras apposés sur le rebord de la fenêtre, il est celui qui regarde, les yeux vides sans savoir ce qu’il faut retenir du passage du temps.