#histoire #04 | chercher dans ses yeux une réponse

Pourquoi il n’a jamais su faire semblant d’être là, avec cette raideur qu’on prend pour de la dignité, alors que c’est seulement l’absence, et même au delà de l’absence, alors que c’est la folie déjà, alors qu’il ne fait que tenir debout, tenir comme on apprend à tenir quand on n’a plus la foi, tenir quand on voudrait se laisser tomber.

Pourquoi il s’efface, bras le long du corps, ce serait presque idiot de se demander pourquoi il y a dans son regard tant de mélancolie, alors que c’est la guerre, alors qu’il est seul, alors qu’il est obligé au silence.

Pourquoi cette douceur flottante dans le regard, et ses mains qu’il referme sur le vide ?

Alors qu’elle a tant pensé aux enfants, arrangeant les cheveux, les cols, veillant aux détails, aux plis des robes, aux sourires bien tenus, pourquoi elle ne s’est pas regardée attentivement prêtant si peu d’attention à elle même, jusqu’à laisser filer un bouton de corsage, pourquoi cette fatigue dans les yeux et le sourire, pourquoi cette impatience à en finir avec la pose ?

Pourquoi elle sourit si large, c’est presque un rire qui glisse entre ses dents écartées, peut être qu’elle rit pour eux tous, pour alléger la photo, peut-être qu’elle rit pour remplir le vide que les adultes laissent entre eux.

Pourquoi l’aïeule tient l’enfant si fort, comme si elle savait déjà qu’il faudra la protéger, les yeux baissés, souriant avec une tendresse mêlée d’inquiétude.

Pourquoi cette gravité posée dans des yeux d’enfant ? Elle, ses doigts ronds froissant le tissu de sa robe, ses yeux fixant l’objectif sans ciller, pourquoi ce regard-là, si droit, si intense, presque trop pour son âge, on dirait qu’elle voit au-delà, qu’elle sait quelque chose que les autres ignorent, un pressentiment, quelque chose qui se dépose dans le corps avant les mots, elle sait les absences, les disparitions, le silence qu’il faudra apprendre à traverser. Peut être qu’elle sait déjà que cette photo lui survivra, qu’un jour je viendrais chercher dans ses yeux une réponse.

C’est toujours la même photo, toujours la même immobilité, et pourtant je pourrais sentir les mouvements, les tremblements, les regards qui s’échappent, les mains qui froissent les tissus, dans la lumière qui les rassemble imaginer ce qui les traverse alors qu’ils regardent l’objectif, droites et droits, avec le menton qui parfois se lève, sans même savoir qu’iels sont déjà des fantômes.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/