#histoire#04 Inquiétudes

Pourquoi se lever ce matin, alors que tout est fondu en gris, que le brouillard écrase le vallon, que le froid transit les membres, que le soleil fait des promesses qu’il ne tiendra pas…

Pourquoi faire des efforts, alors que cette journée grise ressemblera à celle d’hier, à celle de demain et peut-être même à celle d’après-demain, que penser plus loin n’accroche à rien, que la grisaille a déjà tout avalé…

Pourquoi les cloches du village sonnent-elles à toute volée, de toute force, des sons longs et profonds qui n’ont rien de joyeux…

Pourquoi l’automne, d’habitude si coloré en rouge et jaune sous un ciel bleu roi, pourquoi cet automne-là est-il si triste, si perdu, si pleins de soupirs et de sanglots…

Et pourquoi est-ce moi qui soupire dans cette décrépitude des saisons et des éléments au lieu de relever le défi…en changeant de préoccupation… il y a une maison qui attend mon histoire…

Pourquoi est-ce toujours cette maison qui émerge quand je veux écrire, aux escaliers tournants en marbre, aux rampes bien cirées, aux couloirs sentant l’ancien, odeurs de poussière, de plâtre, d’humidité et de passé, qui semble ne jamais changer et pourtant évolue…

Et pourquoi, dans cette maison bien tenue, bien soignée, est-il possible qu’une locataire ait pu trébucher, chuter, glisser jusqu’en bas, alors qu’elle connaît chaque marche, qu’elle fréquente ces escaliers depuis si longtemps et qu’elle a toujours été très prudente…

Et on pourrait se demander, pourquoi cette dame du deuxième est toujours collée à la fenêtre, matin, midi et soir, regardant la rue dans le calme ou dans l’agitation, n’aurait-elle pas d’autres intérêts, d’autres occupations que cette indiscrétion, cette surveillance, cette manie d’épier la maisonnée, le va et vient des locataires, des visiteurs, des démarcheurs, des recenseurs…ennui, angoisse, curiosité, malveillance… ou juste solitude…

Et pourquoi ce jeune garçon qui vient épisodiquement, traîne-t-il avec lui un étui à forme de trompette, est-ce vraiment une trompette, prend-il des leçons, mais alors chez qui, il n’y a pas de plaintes de bruit chez la concierge, il ne semble y avoir aucun professeur dans les étages, étrange, ces passages fréquents dans une indifférence polie…

Et pourquoi y a-t-il ce cheval qui trotte tous les matins dans cette rue, une petite rue de ville, même pas une allée, les allées sont plus loin dans la ceinture verte, ici il y a les wagons des trams et les bus rouges, il y a le marronnier au coin de la rue, il y a un petit parc avec des buissons à fleurs, il n’y a pas de piste pour les chevaux, mais tous les matins le cavalier se tient tout droit sur son cheval blanc, immobile comme une statue, il n’y a que le cheval qui bouge, qui avance, qui va on ne sait où…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “#histoire#04 Inquiétudes”

  1. Au petit matin, je lis ton petit matin inquiet. Je suis entrée dans ta maison et j’ai entendu les sabots en bas, dans la rue.

  2. Merci, Yael, pour ces mots de réconfort après grisaille, je me suis ressaisie et j’espère que ma maison continuera à vivre son histoire…