#histoire #05 | le jardin habité

Dans les après-midis sèches d’été qui font fuir les humains derrière la torpeur des volets, je me faufile d’une pierre chaude à l’autre en chasse des insectes paresseux qui se croient tapis derrière les longues lianes de lierre. Le soleil est au plus haut de sa course, les rayons tombent obliques sur la sauge écarlate, la terre craquelée s’effrite sur mon passage. J’attends le frère aventureux qui accompagnera ma course folle de tige en tige jusqu’en haut du mur dans le frou frou des feuilles froissées.

Jamais à découvert, je circule de cachette en cachette comme le font les proies, les êtres de rien qui se nourrissent de débris et de restes ingrats. Je fuis ainsi que les humains le lourd soleil des jours trop vifs, la pierre trop chaude, les lieux trop secs, pour l’ombre délicieusement malodorante du local à poubelle, loin des couleurs vives, de l’agitation des reptiles et des terrains sablonneux. À l’abri dans une caverne creuse j’attends le crépuscule du soir mais prête à échapper encore aux rapaces dont la vue perce le noir.

Un œil ouvert l’autre fermé dans mon refuge de résineux, je reçois les bruits du monde dans un brouhaha diffus, un bruissement de feuilles, une onde douce le long du tronc, des odeurs de roses fanées par la canicule. Dans l’ombre rose du soir qui s’avance déjà je répète le chant funèbre de ma chasse, dans un trépignement d’impatience j’entonne le péan du mort. De ce morne paysage, je ne retiens que l’allure élancée des grands arbres, terrain des conquêtes désirées.

À pas feutrés pour ne pas effrayer les bêtes apeurées, j’avance ventre à terre les oreilles dressées le long de la bordure de pierres, un coup d’œil jeté au passage dans le massif de sauge grouillant de sphynx, prêt à grimper d’un bond en haut de l’arbre déloger l’oiseau empêtré dans un vol maladroit. Le ventre lourd du dîner déjà pris, chaque geste effectué au ralenti, j’inspecte mon territoire, je vérifie les effractions, inquiété cependant par le bruit de la petite chouette en sortie parfois anticipée, prêt à trouver refuge en bon domestique chez les humains gâteux de mon confort princier.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.