02 – Les témoins
A l’heure où notre présence est inutile, celle ou les bureaux se vident et où nous rentrons chez nous même si nous n’y sommes jamais vraiment, c’est à cette heure là que ces genres de choses surviennent, surprenant même ceux qui s’y attendent, comme si la longue litanie des erreurs passés s’était égarée quelque part entre celui du matin et celui du soir, mais nous n’en saurons rien avant lundi, rentrant à cette heure ci chez nous, sans y être vraiment, sachant sans le savoir déjà que la liste des garçons massacrés s’allonge
A l’heure où les petits sachets disparaissent nous sommes toujours assis et celui qui dira le contraire mentirait il y a des fois ou ca ferait du bien de pouvoir se défouler, aller plus loin et marcher bien, pas comme des tas de petits pas ramassés sur un mètre carrés mais dérouler la basket non lacée plus loin, sur des petits chemins que l’on n’avait pas encore empruntés, ceux qui vont dans le cœur de la nuit des villes, mais on pourrait aussi aller après, là où certains disent qu’il n’y a plus rien, plus de ville, ni de tour, ni d’épicerie ouverte la nuit avec des néons fluos et les cigarettes à l’unité, plus de recoins ni de boites aux lettres défoncées, on n’y est jamais allé là-bas mais à cette heure-là parfois on pourrait presque se dire pourquoi pas
A l’heure où les enfants vont au lit vous ne pouvez pas penser à autre choses, au mari, à la liste des choses qu’il faudrait faire comme remettre ce qui traine dans l’endroit où ce sera rangé, sans penser petits cahiers restés fermés des autres enfants devant le lit vide du frère, vous ne pouvez que rester là devant un lit qui est comme un trou, comme si on pouvait tomber dedans nous aussi et disparaitre comme disparaissent nos enfants
A l’heure où les heures supplémentaires ne peuvent même plus porter ce nom, nous avons sur nos gueules de quoi faire taire et cela sans raison à cette heure-là on pourrait penser qu’ici n’a jamais été autre chose que notre seul condition, que les uniformes ont fini par teintée la peau et que pour ceux qui un jour vont se coucher il y a comme quelque chose qui reste derrière les yeux finalement fermés
03- postures
Le premier garçon est face contre terre les mains semblent retenir le béton et le reste du corps est allongé. Habits : sweat-shirt noir à capuche et jogging noir, une de ses chaussures a les lacets défaits. Expression : on ne peut pas voir son visage
Le deuxième garçon est recroquevillé comme un enfant qui dormirait mais il ne reste plus grand-chose d’autre de lui qu’une posture. Habits : impossible de savoir, le feu n’a pas laissé trace de ça. Expression : impossible de savoir, le feu n’a pas laissé trace de ça.
Le troisième garçon est étendu sur le dos mais son corps a comme tourné, son flanc appuie le long de son bras droit comme si il voulait se relever. Habits : t-shirt jaune et bas de jogging bleu foncé, chaussures noires striés de gris. Expression : hébétée
Le quatrième garçon est sur le ventre son bras gauche en l’air sa main présente de nombreuses plaies, ses jambes sont droites. Habits : pull gris tâché de rouge sur les manches, jogging gris foncé lacéré sur les cuisses, tâches rouges. Expression : Peur
Le cinquième garçon a un trou dans l’épaule et un autre en haut de la cuisse. Habits : t-shirt kaki, short noir, claquettes noires retrouvées à proximité, pas de chaussettes. Expression : Apaisée
Le sixième garçon a les mains attachées et les chevilles aussi. Habits : impossible de savoir, le feu n’a pas laissé de traces de ça. Expression : impossible de savoir, le feu n’a pas laissé de trace de ça.
Le septième garçon a des plaies ouvertes sur le torse. Habits : il n’en avait pas quand les gendarmes l’ont sorti du fleuve. Expression : ennuyé
Le huitième garçon a un trou dans la tête. Habits : t shirt rouge partiellement calciné, caleçon gris partiellement calciné. Expression : Rieuse
04- où l’on se demande pourquoi
pourquoi il avait pas arrêté comme il avait dit qu’il le ferait et pourquoi surtout on avait pas su, nous, le faire arrêter ce qu’on n’arrive même pas à qualifier alors pourquoi s’acharner à essayer de les retirer de là si on ne sait même pas dire ce que c’est ce lieu là et pourquoi on ne croit plus en rien soudain comme si tout ce qu’on faisait avant ne servait plus à rien d’autre qu’à se demander pourquoi on est là
pourquoi il fait ça, pourquoi il veut me rendre triste parce que je le sais qu’il le fait exprès, et qu’après tout ce que j’ai fait pour lui je ne penses pas mériter ça alors que moi et son père même s’il n’est pas là, alors qu’on lui répète tous les jours pourquoi il ne répond pas et alors que on leur a tout donné à ses gamins et que moi je n’avais rien là-bas, ils ne comprennent rien ces gamins et c’est comme si tu faisais des ronds inutiles dans l’eau pour continuer à te noyer, la voisine m’a dit un jour, pourquoi tu continues à essayer de le sauver ?
Pourquoi dis-tu que tu n’y étais pas alors que sur les images relevées de la caméra vidéosurveillance à l’angle de la place des marronniers on te voit distinctement ? Pourquoi tu es sorti ce jour-là ? Pourquoi tu as arrêté l’école ? Pourquoi tu as été placé ? Pourquoi il y a des notes dans ton téléphone avec un genre de comptabilité ? Pourquoi tu ne dis rien ?
Pour entrer dans notre nuit il faut fermer les yeux, vous direz que c’est bizarre, non ? pourquoi fermer les yeux si on veut suivre quelqu’un, ou suivre un chemin. Il n’y a pas de chemin qui nous mène ou nous ramène, si vous voulez nous suivre plus loin dans la nuit vous devez fermer les yeux. Les yeux ouverts ne servent à rien quand il n’y a rien à voir, rien à comprendre, personne à appréhender comme ayant été responsable de tout ça, ouvrir les yeux ne sert à rien puisqu’il n’y a pas de début ni de fin, qu’il n’y a pas de témoin, pas de fil à relier entre notre présence ici et ce qu’il s’y déroule, pourquoi voulez-vous mettre du sens sur quelque chose qui n’en a pas ? vous qui voulez comprendre, venez puisque nous ne pourrons pas vous raisonner, mais d’abord, fermez les yeux.
06- promenades avec Z.
Il pleuvait je marchais à petit pas rapides sur la plage sachant que Z. étais juste devant moi. Ses lacets roses étaient défaits et il pouvait tomber. Mes pas semblaient faire du sur place chaque caillou mouillé tordant mes chevilles. Z. continuait à marcher sans faire attention à moi, vers un but qui me semblait aussi clair que demain. J’atteignais le bout de la plage et fixait l’eau qui coulait à l’envers. Une mouette s’envolait avec un cri alors que quelque part un téléphone sonnait
Je me promenais dans les Moulins en sachant très bien que j’errais dans un rêve dans lequel le nom de Z. revenait comme une rengaine. Je parcourais les allées de spirales et les tours tout au-dessus de ma tête faisait comme une forêt à l’automne, par terre les centaines de téléphones écrasés et abandonnés là donnaient aussi bien qu’un tapis de feuilles orangées. Je croisais une première fois un agent de police municipal qui laissait de longues traces noires derrière lui. Arrivée à sa hauteur pour la quatrième fois je m’entendis lui demander où je pouvais trouver Z. Il ne prit pas la peine de me répondre et parti. La rue ponctuée de voitures en triples file devient soudain une coulée de boue qu’il me fallait descendre avec lenteur et précision pour ne pas tomber. La brume soudain tombait et je ne pouvais que renoncer.
Comme j’arrivais avenue des Amaryllis j’entendis la voix de Z. qui me disais à l’oreille que si les gros chiens aboient au fond de la vallée, c’est surement de ma faute. Il faisait les cents pas devant le restaurant dont la façade a fondu et il y avait dans l’air une odeur de caoutchouc neuf qui ne voulait pas s’en aller. Je mettrais mes pas dans les siens cent fois s’il le faut. Mais à chaque fois le restaurant changeait d’apparence et il devenait parfois une petite église qui était invisible à l’aller. Z apparaissait et disparaissait derrière des écrans de fumées qui étaient comme une brume sur un lac éclairée au néon violet fluo de la chambre de Momo. Alors que je m’entendais dire que j’avais mal aux mollets des volontés s’évanouissaient au rythme d’une musique auto-tunée.
Le temps était beau, il faisait chaud, je traversais la ville en voiture avec Z. mais la route était plus longue qu’espérée. Je regardais dans le rétroviseur et ne voyais pas la tête de Z, un nuage m’en cachait le sommet. Soudain, au feu rouge il sautait de la voiture en marche sans prévenir. Trois fois je failli l’écraser.
J’étais dans une villa. Un escalier attirait mon attention car je savais qu’il menait à la chambre de la mère de Z. Arrivée devant la porte je n’avais pas le temps de l’ouvrir que la maison entière disparaissait et j’étais soudain sur les berges asséchées du grand lac noir. Z. se noyait quelque part mais je ne pouvait pas l’aider, l’image se brouillait de pluie.
Tout lu d’une traite, poignant et j’aime beaucoup les partis-pris stylistiques/formels. Cela constitue déjà un ensemble, fragmentaire assemblage qui se tient. Je vais suivre la suite avec attention
Merveilleuses promenades avec Z. Merci