#histoire 06 | Rêves en quête de personnages

Fanny et Clémence
Je remontais les quais de Seine en direction du Carrousel du Louvre. C’était le printemps, les fleuristes vendaient les derniers bouquets de mimosa. Le ciel bleu regorgeait de nuages blancs comme de la ouate. Soudain, j’aperçus Fanny et Clémence marchant côte à côte comme si jamais rien n’était arrivé. Au fur et à mesure qu’elles se rapprochaient, je remarquais que Fanny portait désormais un carré long. Des cheveux gris éclaircissaient toute sa chevelure. Si j’avais dû la décrire à nouveau, je ne suis pas certaine que je l’aurais dite brune. Clémence n’avait pas changé, elle portait toujours un chignon blond savamment négligé. Quand elles arrivèrent à ma hauteur, Fanny était perdue dans ses pensées. Clémence me toisa, une pointe de haine dans le regard. Quand elle me chuchota « je te déconseille d’écrire un second volume », un frisson glacé m’envahit.

La frêle Irène
Je traversais le Jardin du Luxembourg. Je venais de la rue Soufflot et comptais ressortir par la porte qui faisait face à la rue Vavin. Alors que je passais près des ruches, je remarquais plusieurs frelons asiatiques en vol stationnaire, à l’affût. Soudain, la frêle Irène s’arrêta près de moi « comme ces vilaines bestioles sont féroces et impitoyables ». Un frelon qui tenait une abeille décapitée passa près de nous en bourdonnant. Je m’alarmais. « Irène, que faites-vous ici ? » « N’ayez crainte, moi aussi je rêve de là où je repose. Faisons quelques pas. » Je ne trouve pas les mots pour décrire le trouble qui m’envahissait. Irène, la plus sensible personne de Maux dormants passa son maigre bras autour du mien. Je m’appliquais à ne pas avancer trop vite. Je regardais devant moi. Je n’osais pas croiser son regard. Elle me dit d’une voix douce, sans acrimonie aucune, « très chère, j’espère que dans le prochain volume, vous serez plus gentille avec Charles. » Je me tournais vivement. Rien. Personne à mon bras. Il flottait dans l’air une senteur d’eau de Cologne fleurie.

Vous pouvez m’appeler Sido
J’arrivais avenue de France. Comme toujours, je levais les yeux vers les Tours Duo. En traversant, je jetais un œil vers la longue cheminée de l’incinérateur d’Ivry. Sa fumée blanche se mêlait au ciel. Au loin, de gros nuages gris avançaient rapidement. Je pressais le pas afin de parvenir à la BnF avant l’averse quand Colette s’accrocha à mon bras d’un geste joyeux pour rejoindre l’exposition en cours dit-elle. Elle était jeune et un air espiègle soulignait son regard. Elle portait un manteau de fourrure sombre et un chapeau qui lui descendait un peu sur le front. Ses talons claquaient sur le trottoir tandis que nous avancions. J’étais bien trop impressionnée pour commenter son apparition. « Vous pouvez m’appeler Sido, lâcha-t-elle » Je faillis m’étouffer. M’agrippant plus fort le bras, elle freina notre marche et me demanda sans préambule « Sauriez-vous vous occuper d’un institut de beauté ? » Bouche ouverte, yeux écarquillés, je stoppais net. Colette avait disparu. Un rire que je semblais être la seule à entendre résonnait. Il me fallut quelques minutes pour reprendre ma route vers la bibliothèque.

Robes longues à Étretat
J’arrivais près de la plage d’Étretat. Je longeais la corniche en direction de « l’éléphant ». Autour de moi, des femmes portant ombrelles et robes longues serrées à la taille baguenaudaient. J’avais l’impression d’être hors du temps. Il faisait beau et un vent frais soulevait les rubans noués dans les cheveux d’enfants. Face à moi, l’une de ces femmes allait au bras d’un homme vêtu d’un costume clair à rayures. Elle me salua d’un discret mouvement de tête, un air de connivence sur les lèvres. Elle était brune, arborait un teint de nacre et des lèvres roses. L’homme ne remarqua rien. Elle m’avait saluée comme s’il existait entre nous une amitié discrète ou secrète, comme si quelque chose nous unissait malgré les deux siècles séparant nos vies. Je marchais encore plus loin. Je me retournais et vis le couple de dos qui s’éloignait. La mer jetait des vagues incessantes contre les galets. Son grondement m’apaisait. La marée était haute. J’entendais le bruit des pas des gens qui flânaient sur la jetée. Il régnait une ambiance de dimanche après-midi. Deux enfants en culottes courtes marchaient devant un couple âgé. L’un jouait avec un bilboquet et l’autre avec un diabolo qu’il maniait avec dextérité.

3 commentaires à propos de “#histoire 06 | Rêves en quête de personnages”

  1. Je ne connais pas l’histoire mais quelles belles promenades (dans la 2e, tu ne passes pas loin de mon histoire place Saint-Sulpice…). L’impression de flotter, avec cette immatérialité propre aux rêves. Bien agréable.

  2. Merci pour cette lecture, je vais aller voir de ce pas ce qui se passe place Saint-Sulpice.

  3. Ballade bien agréable , c ‘est vrai. Paris, et son quartier étudiant ou Etretat entre littérature et nostalgie..; que de belle rencontre , on a envie d’y être …