Format paysage ils veulent, horizontal ils ont dit, horizontal, mais alors pourquoi prendre en portrait? Pour la contre-plongée, bonne idée, vu que pas bien grande la maison, et sombre, sombre, auraient pu choisir un jour de soleil, ou d’été, glauque le lieu, sombre la photo, grise la façade, et ces ardoises, pas croyable comment on n’est pas foutu de voir, l’ont prise pour un château leur baraque, une héroïne cette maisonnette, grand format ils veulent, ils vont devoir casquer, grand format et en couleur, j’imagine ça sur mon mur dans le salon, sûr qu’ils vont la mettre dans un salon la photo, rien à faire pour donner plus de luminosité, plus d’éclat, suis au maxi, quand le modèle n’est pas bon, vaut mieux en rabattre sur les dimensions, mais après tout, combien de photos de mariés qui pousseraient au célibat?
La semaine prochaine peut-être, ça fait du bien quand les volets sont ouverts, les transats dans le jardin, la cage des canaris sur le rebord de la fenêtre et un petit signe de la main. Il va avoir du boulot, n’aime pas voir des herbes entre les graviers, ils sont drôles ces citadins avec leur portillon et leur grillage, n’ont qu’un mouchoir de poche de terrain avec trois fleurs et un prunier et ils te bouclent tout ça à clef. Même pas besoin d’élan pour le sauter leur portillon si je voulais, mais ça viendrait à l’idée de qui?
Un paradis pour elle, une maison à la campagne, sa maison à elle, avec son jardin, et du vert à chaque fenêtre, le lilas en fleur depuis la cuisine, le prunier dans l’entrebâillement de la porte, et les prés, les champs à perte de vue depuis la fenêtre de l’escalier. A la ville, il faut qu’elle se torde le cou pour apercevoir une étoile au-dessus des murs gris, des toits, ou alors qu’elle traverse l’avenue et marche dans les allées du cimetière pour voir du vert, sinistres cyprès qui prennent racine dans les ossements et recouvrent de leur ombre, raide et tutélaire, les tombes silencieuses. Ici le soleil dans son dos quand elle cuisine, le facteur qu’elle aperçoit depuis la fenêtre, qu’elle salue, des visages qui surgissent, le facteur donc, Jean-Michel et le troupeau de moutons, madame Caminade et ses brassées de genêts, parfois des scouts, des odeurs, des sons, tout est son, le vent dans les rideaux en plastique, la cloche du bélier, le klaxon du facteur, quand là-bas tout n’est que silence sinon le bruit sourd du courrier qui tombe sur les pavés au rez-de-chaussée, et puis le silence, encore le silence, mais ici l’odeur du bois de l’escalier, du plancher, des fleurs de lilas, du crottin du cheval, des crottes des moutons, de l’herbe fraichement tondue, des fleurs dans le vase au pied de la vierge, du lapin au clapier, et le chant des oiseaux, et le bourdonnement des abeilles, et les sauts des sauterelles, tout est vivant, la maison respire et elle revit.
Quel intérêt de la garder cette maison? Trop petite! Une seule chambre à l’étage! Monter une cloison? Mais mansardée et avec deux misérables fenestrous en tout et pour tout! Et pas de chauffage! Et la cave si humide! Et la pièce à vivre mal fichue, pas bien grande, et cette pièce derrière qui ne sert à rien, et toujours pas de fenêtre dans cette pièce! Et la salle de bain spartiate et étroite! Bon d’accord, un jardin…, mais pas bien grand le jardin non plus! Et ce hameau, c’est un trou ce hameau! Qu’est-ce qu’il viendrait faire ici? S’enterrer ici? Sans façon!
De lui-même ne l’aurait jamais achetée cette maison. Un jardin à soi, comment aurait-il pu y songer? Une maison pour en profiter, pour se reposer, pour paresser. Une maison de vacances. Autant d’expressions qu’il n’aurait jamais pensé être pour lui. Une maison qui n’est pas à construire. Lui, le bâtisseur, n’aurait qu’à choisir. Choisir et payer. Il l’a choisie saine. Solide. Simple. Résistante. Avec rien à faire. S’installer, tout simplement. Repeindre le portillon, voilà tout ce qu’il a fait. Parce que ça protège le bois. Les murs de la maison ne sont pas peints, mais quelle importance? Ils ont été crépis, cela est bien assez. Le balcon est solide, la toiture sans fissure, les tuiles bien scellées. La maison bien exposée surtout et le jardin et la terrasse ensoleillés dans la journée. Se contenter de l’habiter. Pas soulever, porter, casser, maçonner, pas cimenter, pas plâtrer, pas de gravier, de cairons, de tuiles, de sacs de ciment à porter, à déplacer, à transbahuter, pas de mains à crevasse, à rougeur, à engelures, pas de dos, d’épaules, de jambes meurtris, douloureux, pas de toupie, de truelle, de seaux, de niveau à bulle, de mètre, d’échelle, de burin, de pelle, de pelle et de seau, de truelle et de sac de ciment, d’engelures et de corps brisé. Une simple signature, un rendez-vous chez le notaire, des liasses de billets. La première fois. Une maison sans effort. Une maison déjà là. Jusqu’aux meubles. S’installer, poser un transat en bois, s’allonger, le journal entre les mains, au soleil. La terrasse, le jardin. Passent devant lui, à ses pieds, le troupeau et les gens d’ici. Ils travaillent. La terre. Ils conduisent les bêtes. Ils sèment. Ils sarclent. Lui lit le journal, lit des romans, allongé sur sa chaise longue, sur son balcon, dans son jardin, au soleil.
Elle connaît chaque recoin. La maison recèle mille recoins, mille espaces de jeux. Les espaces vides laissés par les noeuds du bois du plancher -la lumière du jour passe à travers- il suffit de s’allonger sur le parquet, de coller son oeil dans la fente et c’est la vie de la maison qu’elle aperçoit, le monde à distance, le monde vu à travers une caméra, la pièce d’en-dessous devient une scène, la grand-mère un personnage de roman, ses gestes soudain prennent de l’épaisseur, celle d’un monde devenu plus étrange, plus obscur, plus dense, ce n’est plus grand-mère en train de crocheter mais une inconnue portant tout un monde invisible -à quoi songe-t-elle quand personne, croit-elle, pour l’apercevoir?- la gamine sait bien qu’il lui suffit de descendre et qu’avant d’avoir atteint la dernière marche, le visage de la grand-mère se sera recomposé, devenu sourire, devenu grand-mère, devenu disponible pour autrui, devenu -comment dire?- ouverture, quand là, en ce moment, il est opaque – à quoi, à qui songe-t-elle, où s’échappe-t-elle? Elle aime espionner, épier, observer à distance. Le jardin à travers la rosace de fer qui tient lieu d’aération. L’une se cache dans la salle de bain, l’autre dans le placard, sous l’évier, juste derrière la poubelle, à genou elle regarde les iris, le jardin à hauteur d’un chat, d’un lézard peut-être, visons partielles et le jardin se démultiplie, et la pièce principale se démultiplie également, et le crâne du grand père aperçu à travers les lamelles en plastique du rideau, et depuis le fenestrou de la chambre à condition de bien se pencher, les observer par-devers eux, la maison comme poste d’observation.
Il a hâte que la maison soit ouverte, espère la venue de la petite. Matin et soir, il espère. Au moment où il mène les bêtes au pré. Elle connaît le chemin, la montée, elle reconnaît sous ses pas le virage en S, elle sent le dénivelé dans ses mollets, elle a même un jour touché de la main, des doigts, les planches du portillon, approché son visage des fleurs de lilas, mais la maison aux murs gris, au volets bleus, comment l’imaginer? Bleus, comme le ciel, comme la combinaison du mari, comme le jupe de Christine, bleus comme le coup sur la cuisse, comme les yeux de la cousine. Ça ressemble à quoi? Et le bleu clair, le bleu marine, le bleu azur? Elle ne le lui dit à personne mais pour elle la maison au portillon et aux volets bleus a un goût de myrtille.
Chapeau comme tu réussis à faire de chaque personnage une voix complètement différente, mais toujours bien reconnaissable la même maison dans le regard et la langue de chacun. Envie de la visiter aussi, cette maison !
Merci Juliette pour ce retour et surtout d’avoir pris le temps de me lire et de me le dire. C’est vraiment important, stimulant, ces retours. Le savoir et pourtant ne pas toujours le faire. Pas faute de lire les textes des autres pourtant, et d’être très souvent épatée par ce que je lis, mais souvent parce que je ne sais trop que dire. Et la crainte aussi que ce soit mal interprété, vu comme comme intéressé, demande d’un retour en retour… Alors même que si fondamentaux ces commentaires. Quel intérêt sinon de mettre en ligne sur ce site Tiers Livre et le donner à lire à la communauté de l’atelier? Donc merci Juliette 😊