#histoire#06 Gilles en six

La Traque

Dans une rue connue de tous, celle-là où il y a une boulangerie, un tabac, et un Lavomatic.
Au pied d’un immeuble que vous ne connaissez peut-être pas, une porte s’ouvre et un homme d’une cinquantaine d’années sort en robe de chambre et pantoufle en cette matinée de décembre.
Il fronce les sourcils et crie :

— Je t’aurais Gilles !

Et derechef, il se met à courir sur place, certain d’atteindre sa destination.

— Pff ! Pff ! Gilles ! Je t’aurais !

Ça fatigue vite, mais il continue toujours. C’est qu’il est hardi le bougre.

Pour l’instant, aucune voiture de police aux alentours, simplement quelques badauds qui prennent des photos.

La Détention

Dans le bureau de l’inspecteur en chef, tous les officiers présents sifflotent, regardent en quelle matière est fait le plafond et leurs chaussures.
L’air renfrogné, l’inspecteur boude presque, sa tronche racle le parquet.
Il est certain que dans sa cellule de dégrisement se trouve ce salaud de Gilles.
Une petite nouvelle a eu la bouche cousue parce qu’elle avait osé prétendre que :

— Mais voyons Dominique, la cellule est vide !

Quelques officiers avaient même entonné :

— Vide de chez vide !

Tous en chœur avaient repris l’assistance. Ce qui avait fait bondir le Big Boss.

— Non d’un Bolduc ! avait-il martelé, puisque je vous dis que c’est lui !

La Joie

— Resserre-m’en un, Mimi !

— Bah, pourquoi mon Domi, t’as un truc à fêter ?

— Tout dans la tête, ma belle ! Ça y est, la clé de mon énigme, la raison de ma tristesse passée.

Pendant qu’elle verse, il boit.

— L’ombre s’est éclairée, s’est densifiée, mon petit bonhomme a un cœur, une âme, il peut marcher…

— Ah, tu l’as enfin ton nouveau perso ! Oh, ça te fait moins de soucis.

— Infiniment, fichtrement ! Immensément…

Elle le regarde avec tendresse.

— Et c’est quoi son blase à celui-là ?

La Disparition

Il fait nuit et pourtant les gens sont tous dehors.
Il y en a même qui sont installés avec des chaises de camping, juste devant la maison du gars du 2 rue de la Spirale à Beaujean.

— Au début, on avait appelé les flics. Ils lui ont parlé.

— Bah oui, madame, fallait qu’il lui parle quand même !

— Casser sa maison !

— Tout d’un coup !

— En plein milieu de la nuit.

— De celle des honnêtes gens !

— Tu l’as dit !

— Ouais !

— Ouais !

— C’est vrai !

— C’est pas faux !

— Et puis finalement, ils sont revenus.

— Et qu’est-ce qu’y ont dit ?

— Qu’il faisait de mal à personne, que c’était sa maison.

— Il a aussi dit qu’il paierait l’amende.

— Pour nuisance !

— Oui, il faut qu’il paie !

— Il va le payer !

— Non, mais si c’est pas triste de voir ça !

— Dans un beau quartier comme le nôtre !

— Ouais, on est des honnêtes gens !

— Vous êtes bien braves !

À quelques mètres de là, derrière une maison à moitié écroulée, un homme au demeurant bien sympathique hurle à la nuit, comme un loup, en visant la lune de ses mirettes emplies de larmes.

— Gilles ! Où es-tuuuuuuu !

— C’est-y pas malheureux !

— En tout cas, c’est mieux que les séries où il faut s’abonner.

— C’est moins cher !

— Et puis, c’est pas moi qui paie !

Les Miroirs

La vendeuse de ce magasin d’antiquité manie avec dextérité les billets qui gonflent sa main.
Ce n’est pas que le bruit ne la dérange pas, mais elle doit se dépêcher de balayer les débris, c’est elle-même qui a calculé le prix.
Elle sursaute et sur le sol se dispersent comme des minots à la récrée les petits bouts du miroir que l’homme vient de briser.
Il observe son œuvre avec un visage hagard et furieux.

Giselle sait se servir de tous les fusils de son magasin, Dutronc et fils.
Son père lui a montré comment les nettoyer, les charger et tirer.

— Voulez-vous un siège ?

— Non.

— C’est le septième.

— C’est pas le bon.

— Ah !

— J’en veux un autre.

— Il n’est pas un peu tard ?

— Vous croyez ? Il est à peine 14h.

— Ah, je croyais qu’avec le décalage horaire…

— Quoi ?

— Vous venez d’un pays chaud, non ?

— Je suis français madame, de père en fils !

— Oui, mais avant.

— Un petit dernier et je m’en vais.

— Jamais sept sans huit comme on dit.

— Oui !

Elle sursaute. Elle se bouche les oreilles, c’est sa première fois.
Elle entend résonner depuis le passé les sept miroirs qu’il a déjà fracassés à la recherche du reflet de Gilles.
C’est qu’elle n’est pas sûre qu’il le trouvera.
Dans sa tête, un concert de batterie s’organise, et c’est Noël avant l’heure : elle voit scintiller des myriades d’étoiles.

Alors maugréait-il, avide d’user de son marteau.
Alors que Gisèle a perdu la foi, mais pas le sens des affaires, poussée par son système nerveux, elle articule :

— Un tout petit instant, je suis à vous.

Les Morceaux de soi

— Mais je vous dis qu’il est vivant !

— Vous êtes sûr docteur ?

En réponse, l’homme tape délicatement de son stylo sur la table, ça finit par faire un refrain inquiétant.
L’autre baisse les épaules.

— Je sais bien que c’est l’écrivain qui parle, mais tout de même, vous ne croyez pas.

L’impatience a poussé comme un gros champignon dans la pièce.

— Mon petit Guyguy…

— Gustave !

Gustave se tourne vers l’assemblée et, animé de la plus grande passion, s’écrie :

— Toute personne à ma place aurait appelé la sécurité, aurait peut-être tenté de le maîtriser.

— Oh !

— Oui !

— Oui-oui !

— Eh bien, moi, messieurs, j’ai décidé de l’écouter jusqu’au bout, oui.

— Jusqu’au bout du bout !

— Oh !

— Ah !

— Hein ?

— Vous m’écoutez, Guyguy ?

— Oui !

— Contrôlez-vous mon petit, que diraient nos confrères de l’académie ! L’art nous attend, voyons !

— Je n’en suis plus très sûr, Docteur Ludin.

— Ne m’appelez pas Docteur !

— Mais comment dois-je vous appeler alors ?

— Regardez !

Le docteur Ludin, bien qu’il n’apprécie pas qu’on l’appelle de la sorte, lorsqu’il a retiré sa blouse blanche — pour lui, c’est Ludin tout simplement —, bon bah, notre bonhomme se jette sur un tas de morceaux de corps dispersés qu’il assemble et qu’il emboîte.
Ça fait ploc, comme tout jeu de construction qui se respecte.

Guyguy Docteur est soufflé.
Il s’arrache les cheveux, qu’il pose dans un microscope, il se touche le bout du nez plusieurs fois et saute sur Ludin pour l’embrasser.
Mais quelle trouvaille !

— Vous êtes un génie !

Son visage disparaît. Il se recule.

— Vous êtes un…

À quelques centimètres de là, le bonhomme qui vient d’être assemblé ouvre les yeux.

— Je m’appelle Gilles, j’ai 35 ans, j’ai toujours été heureux.

— Quoi ? lâche Guy.

— Ah, vous voyez pourquoi je ne suis pas satisfait ?

Guy ne dit rien.
Il se gratte le caillou, émet un petit son gastrique, peu élégant mais éloquent.

— Il n’a pas d’âme.

Ledan ouvre la fenêtre.

— Ça fait du bien, un peu d’air frais, murmure Guyton.

— C’est ce que je me disais.

— On n’est pas sorti de l’auberge.

— Je ne vous le fais pas dire, Guy !

A propos de Dominique Desplan

Je suis un créatif plutôt bohème. J'ai occupé différents emplois alimentaires. J'écris des histoires courtes, des pièces de théâtre et des scénarios. L'atelier est une occasion de revisiter ma pratique de l'écriture, de la nourrir. Peut-être aussi de questionner ma perception de l'écriture de roman et sûrement celle de l'écriture dramaturgique dans laquelle je suis porté disparu. Mais, notre hôte est un magicien et peu à peu je me retrouve.

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