#histoire #06 | Le jardin

Le jardin avait la réputation d’être mal famé. On ne savait pourquoi. Personne ne savait au juste pourquoi il était peu recommandable de le fréquenter mais c’est un fait que nous hésitions à pousser son portillon. Une fois franchie cette barrière à claire-voie, traverser ses allées se faisait au pas de course. Souvent, nous n’y croisions personne et nous étions étonnés presque inquiets lorsque nous voyions un banc occupé. Pourquoi ne pas s’en approcher prudemment et signaler qu’il n’est pas bon rester ici ? Pourquoi hésiter à parler sinon parce-que nous nous sentions démunis. Comment expliquer nos craintes ? Nous ne savions pas vraiment ce qui suscitait notre peur. Il se pourrait aussi que ces gens assis sur ce banc fissent partie du problème. Comment savoir ? Et puis voulions-nous seulement le savoir ? Ce jardin maléfique avait en son sein le pouvoir de nous inonder d’un mystère qui nous rendait fébriles tout en nous maintenant vivants. Plusieurs récits avaient cours et chacun de nous avions son préféré. Les voici :

Il y avait ce jeune garçon qui se dit être champignon
. Tapi sous un amoncellement de feuilles brunes, il ne parle qu’au vent. Été comme hiver, il est vêtu d’un pantalon de toile immaculée tenu par une cordelette de lierre sur son torse nu. Pourquoi n’a-t-il jamais froid ? Pourquoi cette blancheur de l’habit alors que du jardin, il ne connait que le sol empoussiéré ? Pourquoi aucune nourriture ne franchit son palais ? Il soudoie, dit-on, les âmes des défunts qui rodent sous les racines des arbres centenaires, sous la terre méticuleusement ratissée de ses mains. Que veut cet enfant qui manifestement ne ressemble à aucun autre ? Certains de nous pensent qu’il est l’innocence des morts et qu’il ne nous veut que du bien. Sait-on jamais . Nous sommes prudents.

Il y avait ce toboggan au fond de l’allée aux pigeons. Rouille et moisissures de toutes sortes le recouvrent lui donnant la forme d’un personnage géant tout autant que grotesque. Plus personne ne glisse sur lui et évidemment aucun cri de joie ne le traverse plus. Il reste, abritée sous son ample jupe de fer, une vieille névrose prompte à attraper nos pensées vagabondes, à nous emporter dans des délires hautement préjudiciables. Tout lourd qu’il est, il semble être légèrement en suspens, porté par un ciel compatissant. Nous ne nous approchons pas de ce côté du jardin. Pourquoi voudrions-nous risquer d’être happé au passage et soulevé de terre ? Nous laissons cet endroit aux oiseaux qui ne craignent pas l’envol.

Il y avait ce rêve récurrent aux couleurs de feu
. On ne le voit jamais. Il arrive par surprise et comme les mirages, il prend nos têtes et nos jambes et plie le tout et nous ficelle. Comme un paquet nous sommes. Il paraît qu’ensuite, il nous emporte en son royaume où seulement là commence notre délivrance. Il nous appartient de nous délier nous-même. Et de nous déplier. Il paraît que pour certains, cela prend un temps fou et que pendant ces opérations, nous devons garder le silence. A la fin, nous sommes devenus ce que l’on appelle des Sages. Et à notre tour, nous pouvons rêver tout notre saoul et capturer, si telle est notre volonté, la vérité. Par principe, nous nous détournons de cette belle promesse.

Codicille : N'étant pas arrivée à écrire quoique ce soit pour les 04,05,06, j'essaie ce texte qui est censé les combiner.

A propos de Louise T.

Des fragments de vies dans divers lieux Afrique du Nord/France/Côte d'ivoire/ France. Villes et campagnes. Ecriture et Lecture. Aimerais être en lien plus étroit avec moi.

2 commentaires à propos de “#histoire #06 | Le jardin”

  1. Il te réussit celui-là. Le champignon créé un écho troublant au livre de Peter Handke que je lis en ce moment (avec difficulté) « par une nuit tranquille… »
    Bonne continuation !