1
Après le grand virage, j’attaque la ligne droite. Les enfant derrière moi crient : plus vite ! plus vite ! le ralentisseur approche, j’accélère et sur la bosse tout le monde décolle. Je me souviens de la 4l de maman, chaque mercredi elle nous emmenait à la bibliothèque de l’autre côté de la quatre voies. Je me souviens des ralentisseurs de l’avenue des Gonthières que maman prenait à toute vitesse, nous sautions en hurlant de joie. Je me souviens aussi qu’il a fallu changer les amortisseurs de la voiture, mon père ne comprenait pas pourquoi. Personne n’a rien dit mais cette année-là comme il a fallu payer la réparation nous ne sommes pas allés au ski.
Au deuxième ralentisseur, je lève le pied malgré les petits qui voudraient que j’accélère. Je leur dis : une fois suffit.
2
Il y a cette cheminée en brique rouge. Je rêve de m’en approcher mais j’ai du mal à évaluer les distances. De la cheminée s’échappent parfois des odeurs pestilentielles. Les habitants ferment les fenêtres en se pinçant le nez. Ils râlent : c’est reparti pour un tour ! La cheminée monte très haut, tout est plat autour d’elle, on la voit de loin, c’est bien. Elle fume comme une vieille locomotive. Au-dessus flottent les petits nuages qu’elle vient de fabriquer. C’est joli mais ça sent mauvais. J’ai roulé longtemps sur mon petit vélo. La route est recouverte de plaques de boue, difficile de la distinguer des champs alentours. Des camions remplis de betteraves alimentent la sucrerie de Moissy-Cramahel dans un va-et-vient incessant. Je finis par déraper, je glisse, tombe et me retrouve allongé sous mon vélo dans le fossé. Même pas mal ! La nuit est tombée. Les camions foncent sur la route tout phares allumés. Ils m’éclaboussent au passage. Je pense que la meilleure solution est encore de rester allongé dans le fossé en attendant que l’on vienne me chercher. Après tout, je ne suis pas si mal. La boue c’est sale mais c’est doux. Et comme d’habitude on finit par me retrouver.
3
J’ai traversé le pont sur la Seine laissant Notre-Dame derrière moi. Je ne suis plus ce petit garçon qui fuguait, sillonnant les sentiers le long des canaux et mettant le quartier en émoi. Ce qui n’a pas changé en revanche c’est je ne saurais vivre loin de l’eau, que ce soit le bord d’un lac, d’un fleuve, d’une mer… Je remonte la Seine vers la Bibliothèque Nationale, je descends sur la berge et m’assieds sur un banc pour regarder le fleuve s’écouler, rien d’autre.