L’eau de la borne / #histoire #08

Je reviens de chez Adrien et Etiennette, remontant la rue Sainte-Hélène. Elle est devenue difficile à remonter pour moi, la rue Sainte-Hélène, alors qu’autrefois, j’y ai couru si souvent pour retrouver Ernest. Ce qui m’aide, c’est la perspective de la borne à eau. A cette saison, quand le soleil du soir filtre par la rue Raoul-Ponchon, il vient faire briller la petite boule qui guide le volant de la borne. Elle a été polie par les dizaines de mains qui l’ont serrée pour faire tourner le volant et faire jaillir l’eau. Qui s’en sert encore aujourd’hui ? Y a-t-il encore parfois des rires au moment où l’eau jaillit ? Je souffle et je tends l’oreille, au cas où il se ferait entendre des pas pressés et même des pas dansants comme il m’en venait parfois pour rejoindre Ernest. Des gens m’ont-ils vue alors ? Le monde extérieur n’existait vraiment plus pour moi, il n’y avait que l’espoir de ce qui allait jaillir et jaillir même sans qu’on se saisisse de la petite boule polie. Parce que nos corps en se frottant l’un à l’autre finissaient aussi par frotter le volant et le faire tourner. Maintenant que j’y repense, je me dis qu’Ernest le faisait peut-être exprès. Moi, j’étais toujours prise par surprise et je riais. Et il disait qu’il aimait mon rire. A entendre ça, je m’arrêtais de rire parce qu’une autre émotion me venait. Mais il y avait quand même cette force de l’eau jaillissante tout contre nous. Mon tablier en était trempé et c’était bon et je riais de plus belle. Et si je tendais la main, maintenant que je suis tout près de la borne, si je serrais la petite boule encore bien polie, si je faisais tourner un peu le volant, si l’eau venait à jaillir, quel goût aurait-elle pour moi aujourd’hui ?

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