#histoire #08 | Retour de fugue

Les volets sont fermés. Sur toutes les fenêtres les volets sont fermés. Quand je suis parti, les volets étaient ouverts. Les fenêtres étaient ouvertes. Si les volets sont fermés, avec leur double loquet à l’intérieur, je ne peux pas passer par la fenêtre. Il faut que je frappe à la porte. Je ne veux pas frapper à la porte, la grande porte en vieux bois, comme les volets, parce que je ne suis pas censé être parti. Je devrais être à la maison, dans ma chambre, dans mon lit et pas dehors. Le vent a balayé devant l’allée. Le paillasson est de travers, sur les graviers. Il a glissé comme si lui aussi avait voulu partir. Il sert à rien à cet endroit là. Il y a comme une poussière dans l’air, une poussière un peu jaune et on dirait que la maison a vieilli. Qu’elle est dans un autre temps. C’est peut-être moi qui suis dans un autre temps. Il y a comme une lisière entre la maison et moi. Ces murs sont ocrés par la poussière du sable et des graviers. Elle m’a l’air comme… plus petite. C’est une sensation étrange, comme si j’étais devenu plus grand que la maison, comme si j’étais trop grand pour la maison avec ce qui s’est passé sur la plage. Les marguerites se plient sous le souffle du vent. Ca me met de la poussière dans les yeux. Je prends le paillasson qui traîne à côté de moi et je le ramène sur le perron. Je le repose à sa place mais j’arrive pas à frapper. Ma main reste en l’air. Il y a le pot, avec sa fougère, sur le pas de la maison et je sais que sous le pot il doit y avoir la clé. Je pourrais entrer sans frapper, comme je suis parti sans prévenir, en glissant par la fenêtre de ma chambre maintenant que je suis assez grand. Mais si les volets sont fermés, tous les volets, celui de ma chambre aussi alors Joseph sait que je ne suis pas à la maison. Il a dû aller dans la chambre et voir la fenêtre à double battant ouverte car je ne peux pas la refermer de l’intérieur. Et fermer les deux volets, les claquer peut-être l’un contre l’autre, énervé même. Je n’ai pas envie de soulever le pot pour savoir si il y a la clé. Je ne sais pas si Joseph est à l’intérieur. Il commence à y avoir du crachin. J’ai froid dans la nuque. Ca fait couler la poussière sur les murs blancs. La maison est sale. La maison pleure. Elle est fatiguée. Moi aussi, je suis fatigué. Peut-être à l’intérieur Joseph boit le thé. Il m’attend. Peut-être dans l’éternité qu’a été cette journée il est parti. Pourquoi ne m’attend-il pas sur le pas de la porte ? Pourquoi n’a-t-il pas laissé ma chambre ouverte pour que je reste encore un gosse, qu’on fasse un peu semblant ? Le soleil décline et ce soir Joseph me dit d’être responsable. Je ne suis pas certain de savoir comment on fait. Je tremble un peu. Il commence à faire froid. 

A propos de Léa Yasmine Djenadi

Psychologue. Métisse. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. En création d'une newsletter... (comme tout le monde, non ?)

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