#histoire #08 | Enfin


Ce que je croyais impossible s’est réalisé. Je suis à nouveau à Venise, et l’appartement que j’ai loué se trouve dans le quartier que j’affectionne : le Castello. Je prends le temps sur le parvis de la gare Santa Lucia de croire que je suis bien revenu, alors que j’imaginais ne plus pouvoir marcher dans les ruelles, ne plus pouvoir enjamber l’eau par les ponts, ne plus pouvoir tirer ma valise, monter les marches, les redescendre. Le dernier séjour avait été si douloureux, mon dos m’avait fait tant souffrir que je me croyais incapable de vivre debout. Et puis, me voilà : le Grand canal est toujours aussi animé et bruyant, aussi vénitien qu’il le peut, et je suis là pour deux semaines, à me prouver que tout va mieux, que le possible est possible. J’ai pris quelques années depuis mon dernier séjour, et je me doute un peu que cela pourrait bien être la dernière fois que je viens ici, et donc j’ouvre grand les yeux ! Je vais aller à pied dans mon appartement, je reconnais le trajet. Je vais prendre mon temps puisqu’il m’appartient encore ! La dernière fois, je me souviens m’être arrêté dans le Parc Savorgnan, pas très loin de la gare, mais je ne veux pas revivre le même séjour, alors en premier je vais prendre un café campo san Geremia avec une petite brioche que je pensais ne jamais plus pouvoir grignoter ; je ne sais plus comment elle s’appelle mais je vais croquer dedans avec délice ! Je prends mon temps pour tout, cela suffit de courir dans tous les sens et de vouloir tout voir, tout visiter, tout comprendre. Cette fois-ci je viens simplement pour marcher dans Venise et regarder. Serai-je assez sage pour ne pas emporter l’appareil photo ? Ce n’est pas sûr…J’avance et mes jambes savent d’elles-mêmes par où passer, je n’hésite pas, mais sans me hâter, j’emprunte la Strada nova, cette rue que j’avais surnommée l’autoroute tant elle est envahie de touristes, ensuite j’hésite un peu entre deux itinéraires et rejoins le ponte Cavallo, mais je dois tourner juste avant sur la gauche puisque c’est sur la calle della testa que se situe mon logement. Je note le café qui est à l’angle, il sera parfait pour moi ; il me semble que j’y étais déjà allé la dernière fois. Voilà, la maison est tout près : la propriétaire m’attend en bas, nous sommes à l’heure tous les deux. L’appartement est au premier étage. Elle ouvre la porte, j’entre : oui, c’est exactement cela qu’il me fallait. J’ai hâte de la voir partir car je suis désormais chez moi. Mais j’ai quelque chose à faire avant de m’installer. Je redescend l’escalier, la clé bien en poche, enjambe le ponte Cavallo et me dirige vers le Colleoni, l’immense statue qui domine fièrement toute le campo San Zanipolo. Je le regarde comme si c’était la première fois que nous nous trouvions face à face. Je le regarde avec plus de fierté qu’il n’en a lui-même. Je le regarde comme pendant toutes ces années où je pensais ne plus pouvoir marcher dans cette ville et que je fixais alors la photo au-dessus de mon bureau d’où il semblait me narguer. Je le regarde, bien droit sur mes deux jambes et je lui dis : je suis de retour !

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

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