De la falaise à la maison, il y avait plusieurs chemins possibles. Ivan pouvait couper par le bois ou remonter le chemin en sable qui longeait le village. Ivan et Myrrha marchait à côté l’un de l’autre, très près, pour laisser leur bras nus s’effleurer. Il tendait parfois la main, il semblait vouloir attraper la sienne. Il avait un pas mal assuré. Parfois il ralentissait, comme pour la laisser passer et se mettre entre elle et le corps derrière sur la falaise. Sur d’autres pas il allait plus vite, comme pour se mettre devant elle. Ils ne se parlaient pas. La lune commençait à se lever dans le ciel. Toute ronde, posée là. L’iode poussait derrière eux, les effluves s’attrapaient par l’envers. Naturellement, ils se dirigèrent vers le chemin de la forêt. Tous les sentiers menaient à la maison. Mais certains permettaient de se retourner et de voir ce qu’il y avait derrière. Pas celui qu’ils prirent. Le chemin était rugueux. Il avait plus de terre, de galets et de brindilles sèches que de sable. Une poussière légère flottait dans l’air. Ivan attrapa au sol un grand bout de bois. Il ne savait pas trop quoi en faire. Il repoussait les débris du bord du chemin. Parfois il s’appuyait dessus pour avancer. Le chemin paraissait différent avec la nuit qui montait. Ils auraient pu croire que les arbres tendaient leurs branches vers eux. Comme pour les entendre parler mais ils ne parlaient toujours pas. La forêt aussi semblait retenir son souffle. Myrrha se rapprocha d’Ivan, glissait vraiment cette fois ses doigts dans les siens. Elle sentait le chaud. Ils durent adapter leur pas à celui de l’autre, il était plus grand qu’elle d’une bonne tête. Mais c’est elle qui adapta son pas au sien. Pour aller plus vite. Alors Ivan accéléra aussi son pas et Myrrha le sien et ils se mirent à marcher plus rapidement, plus fermement. Des ombres glissaient entre les troncs noueux. Les arbres feignaient parfois d’ouvrir un chemin dans lequel Ivan prenait soin de ne pas s’enfoncer, regardant toujours droit devant lui, là où paraissait la lumière pulsante du phare, où le village se découpait comme dans du carton. Un bruit de froissement agita la cime des arbres. “C’est le Vent ?” demanda Myrrha aux aguets. Ivan leva la tête. La nuit s’était mise entre son corps et le ciel et il fût pris d’un vertige. Tout était grand. Le chemin lui paraissait plus long qu’à l’aller. Pourtant lui aussi se sentait plus grand. Il voulut se retourner pour voir le trajet déjà parcouru mais quelque chose le retenait. La peur de se mettre à courir comme un gosse sûrement. Il n’était plus un gosse. Il avait vu un cadavre. Et sans s’être concertés avec Myrrha ils avaient décidé de ne pas se comporter comme des gosses. Myrrha se pencha sur le bas côté pour attraper quelques marguerites. Elle fit un minuscule bouquet. Elle ne tenait plus la main d’Ivan. Enfin la forêt sembla se dérouler d’elle-même et apparu le premier chemin du village. Myrrha tourna vers la droite pour rejoindre la grande route vers sa maison, sans se retourner. Sous les rais du phare, sa silhouette sembla chuter. Il remonta le deuxième sentier vers la maison de son grand-père qui semblait l’attendre derrière l’allée. Il réalisa soudain qu’il avait oublié son vélo sur la falaise. Il était venu en vélo. Il réalisa soudain qu’il avait oublié son vélo sur la falaise. Il était venu en vélo. Par l’autre chemin. Il y a quelques heures. Quand il était encore un gosse. Les chemins mentent. Ils ne ramènent jamais au même endroit, ne reviennent pas. Ce n’est pas une boucle. C’est une spirale. Ivan n’était plus le même qu’en partant.