Voilà comme elles sont : mère et fille trainant des valises, avançant lourdement, les mains accrochées, cheminant péniblement à travers les différents portiques.
Non, voilà comme elles sont réduites : arrêtées dans leur parcours, sommées de reculer, mises à part.
Non voilà comme l’enfant est : hurlant, pleurant, encerclée d’uniformes, de bras et de mâchoires crispées, assiégée par les frontières, les portiques de sécurité -qui protègent-il – les frontières – que coupent-elles, projetant sa douleur à ces visages impassibles.
Non voilà comme elle est : revenant à la charge, redoublant ses cris et ses colères, à la porte de l’avion fermée, à l’officier demandant une autorisation paternelle pour quitter le territoire, il a dit « Madame, il faut que son père donne son autorisation pour que vous la sortiez du territoire », explosant, depuis qu’elle a compris qu’elle ne verrait pas son père aujourd’hui, alors qu’elle ne le voit déjà plus depuis des mois, et rageant quand elle entend la voix de sa mère « mais c’est lui que nous rejoignons, comment pourrait-il donner son autorisation alors qu’il n’est pas là, s’il était là, nous n’aurions pas besoin d’autorisation ».
Non, voilà comme elle est : les battements de son cœur gonflant à en éclater les coutures, ses mains tremblant, ses dents crissant face à l’incompréhension.
Non voilà ce qu’elle n’est pas : la défaite et l’effroi, l’étroitesse et la résignation, le calme soumis.
Non voilà comme elle est : debout, fixant le regard d’un gradé, résistant face à lui qui lui fait les gros yeux, il lui fait les gros yeux comme enfant il cherchait à faire peur, elle, s’accrochant à ce regard, les sourcils haut, l’œil brulant de vouloir ciller, résistant toujours, prenant le défi de l’adulte au mot, ne fléchissant pas.
Non voilà comme elle est : la limite comme épiphanie, le courage comme résilience, la dignité comme seule liberté, le mouvement, celui des vagues, se redressant, empoignant la main de sa mère, initiant le mouvement, emportant sa mère, l’emmenant vers d’autres rives.
Non voilà comme elles sont : se dirigeant vers la sortie, dans le bruit de leurs pas, entourées du silence d’une foule éteinte, l’immensité face aux verrous.
Poignante. Poignantes.
Merci, et mille mercis !
C’est très réussi. Une forme qui va bien à la situation. Bravo !
Merci beaucoup, c’est encourageant.
Longtemps que je ne t’avais plus lue, Lamia. Quel bonheur de retrouver ton écriture, cette force incroyable du texte qui avance en faisant image et rage et impuissance. Magnifique.
Oh, merci Anne, je suis très touchée par ta lecture, et cela m’encourage à continuer/reprendre.
Texte très émouvant avec une écriture dense
Merci pour votre lecture !
un texte très fort. Merci.