Tes mains tout doux, tout ronds, mains potelées de bébé, qui découvrent, pouce à sucer ou alors deux ou trois doigts, toi c’est le pouce, les autres doigts bien repliés, les lèvres bien partagées par ton pouce, le haut qui pointe, le bas qui se retire, et les adultes te surveillent, ne te laissent pas faire, tu auras de vilaines dents plus tard et on te retire ce pouce qui fait doudou
Tes mains touche-à-tout qui se promènent sur le sol, le tapis, l’herbe, sur la table, qui attrapent les bonbons comme la purée dans l’assiette, il ne faut pas manger avec les doigts et tu vas te brûler et tu vas te salir et non ça ne se fait pas
Tes mains pleins de taches de couleur d’encre d’herbe verte de sirop rouge collant et tu te régales, tu fais tes découvertes tes expériences, tu taches à ton tour papier, table et chaise, robe et pull, tu te fais gronder encore, tu te caches et tu souris en cachette
Tu grandis, tes mains grandissent avec toi, s’allongent, s’affinent, tu les regardes, tu les soignes, tu les trouves jolies, tes ongles brillent de vernis à la mode, comme les grands, du rouge, du bleu, même du noir avec des étoiles d’argent, tu as de la fantaisie et ils peuvent dire ce qu’ils veulent et ils disent que tu es trop jeune, que ce n’est pas beau, que tu ferais mieux de te laver les mains, et toi, tu vis dans ton nouveau monde de presque ado, et tu t’affirmes comme tu peux
Tes mains papillons volubiles voletant voltigeant virevoltant devant toi, au-dessus de toi, gestes amples ou mesurés, près du corps, loin dans l’air, dans l’espace autour de toi, elles accompagnent tes paroles, appuient, tapent, tapotent, valsent et se posent, gestes doux ou saccadés qui soulignent ce que tu n’arrives parfois pas à dire
Tes mains s’occupent frottent tricotent tapotent sur un clavier d’ordinateur ou sur des touches de piano, tes mains créent écrivent peignent sculptent applaudissent et font des signes d’amitié et d’affection
Et puis tes mains caressent d’autres mains, des grandes fortes puissantes, et puis des petites mains dodues qui s’accrochent à toi qui ont besoin de toi qui remplissent ta vie
Et tes mains se rident, se colorent, se font rêches, s’ankylosent, tu n’as pas le temps, tu n’y penses même pas, on te réclame, on te demande, on a besoin de toi, et toi, tu oublies tes mains, tu oublies ton corps, tu t’oublies
Et puis tes mains se reposent, se reposent sur tes genoux, se reposent sur la table, se recroquevillent, deviennent vaines, pleurent en silence, et meurent.
Une vie de mains de femme…