#40jours #19 | derrière eux leurs mouvements

Qu’as-tu fait dans ta ville ? J’ai attendu qu’elle disparaisse.

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Sur ce banc. La Rotonde sur la gauche. A quelques dizaines de mètres. On en sort on y entre. Les cigarettes des hommes accoudés à la rambarde surplombent la place du marché. Le rendez-vous a été fixé ici. Sur ce banc. Sous cet arbre. A côté de cette aire de jeux. Une balançoire mesure le temps sans enfant. Il est déjà parti mais quand. Son balancier est lent. Semble ne pas ralentir. Ne pas accélérer. Elle compte obstinément mais quoi. Le tourniquet fait ce pourquoi il a été posé là. Il tourne. Autour de rien. Il tourne. Sans enfant. Résolu qu’il est, il tourne. Même la lumière a le tournis. Se reflète diagonale dans les poignées polies de milliers de mains serrées, passées ici. Le rendez-vous. Une femme est traînée par une poussette. Sans enfant. Elle avance. Passe devant le banc du rendez-vous. Le sac à son épaule glisse doucement. Ses cheveux sont longs. Les racines plus sombres. Son épaule est pâle. Sa main. La lanière du sac petit sac brille rouge. Le retient. A son cou fin collier d’argent. Le cheval à ressorts tressaille. Ruades. Sans cavalier sans obstacle. Sans enfant. Tout vibre à côté de l’arbre dans cette aire de jeux et la femme passe. La poussette passe. Le sac passe. L’arbre au-dessus du lieu du rendez-vous frémit à son tour. La vibration se propage dans la ville qui attend. Les cigarettes sont éteintes. Ecrasées et jetées. Les hommes rentrent. Voix éteintes. Ecrasées par la porte jetée derrière eux. La poussette sans enfant s’éloigne. Avec elle les pas de la femme. Dans le silence qui l’entoure et s’éloigne avec elle. Les feuilles de l’arbre et l’air disent que cet instant existe, qu’il est là. Dialogue discret du feuillage et du vent. Et le banc qui attend. Dans la vibration du moment. Balancier du temps. Une porte claque. Lentement mais comment. C’est-à-dire sans sursaut. Elle claque. Mais sur ce banc près des cigarettes fumées près des jeux désertés sous l’arbre rien ne sourcille. Tout attend. Les immeubles ne tremblent pas quand la femme s’éloigne encore et que ça claque. Le tourniquet tourne la balançoire mesure le cheval cabre. Où sont les enfants. Le rendez-vous est fixé. Ne bouge pas. Il s’attend. Il n’est pas là et est là à la fois. Il existe comme La Rotonde. La poussette. Il existe. Comme existent les enfants absents qui ont laissé derrière eux leurs mouvements. La poussière à tourner les mains dans les dos à pousser les courses cravachées. Il existe comme l’arbre. Comme les fourmis en colonne occupées mais à quoi. Pénètrent l’écorce une à une. Une à une disparaissent dans l’arbre. Le rendez-vous existe. Il est régulier. Il attend chaque fois. Là ici-même. Il attend de se rencontrer. Il est deux choses à la fois. Sa propre attente et sa propre rencontre. Il lui suffit d’un banc pour se matérialiser mais quand.

A propos de Rebecca Armstrong

J'aime la voix alors j'ai fait de la radio (associative), je produis des podcasts et mon métier c'est de faire lien avec ma voix. J'ai écrit, vraiment pour la première fois, récemment. Un manuscrit instinctif est né: des flashs d'un temps passé disons. Il s'appelle "1.2.3". Je souhaite désormais explorer l'écrire avec la profondeur que je sens ici, avec tout l'enthousiasme de la novice. (Et au fait, j'aime les tatouages, les apéros, les lecture à voix haute, mon potager minuscule, courir le matin et lire)

4 commentaires à propos de “#40jours #19 | derrière eux leurs mouvements”

    • La photo je l’ai prise il y a quelques semaines en Lituanie lors d’un spectacle nocturne, énigmatique dans une forêt… (c’était assez magique cette déambulation guidée de saynètes en saynètes dans le noir). Et le texte, oui, j’avais envie de tenter une atmosphère où les questions « mais quand » « mais quoi » sont posées dans le texte alors même qu’elles se posent au texte tout entier. D’installer une sorte d’instant suspendu étrange où ça bouge et où c’est immobile à la fois, une attente où l’on ne sait rien… de rien! 😉

  1. Beau travail sur la suspension…
    Les cigarettes écrasées, le tourniquet qui bouge tout seul, … On dirait un flash photographique, ou un court-métrage, à la fois mouvant et se retenant d’avancer.
    Quant au style, il me fait penser à celui de Duras ou Marie Ndiaye, que j’adore.
    Continuez à écrire !

  2. inquiétants fascinants cet espace de jeu déserté et hanté ( et la photo est impressionnante ) Merci Rebecca