#40jours #23 | tout droit bam !

Descendu du train tout doit dévalé tout droit l’escalier les figures affalées Asie Afrique couchées sous les regards la honte ravalée la civilisation tout droit le boulevard enfilade de façades façonnées par des ouvriers dont le nom n’est pas marqué tout droit tracé tout droit d’où diagonales et perpendiculaires partent des artères, le sex shop sur la droite où est morte Louise Michel quand c’était un hôtel, Gibert sur la gauche neuf et occasion, flics au coin là où que y’a cent ans hôtel chic, avec verrière et cantine associative, théâtre à l’emplacement des sœurs bernardines tout droit motos à vendre motos à vendre motos à vendre le long du cours Lieutaud, tout droit les immeubles sous leur toit tout bleu le ciel soudain barré par le pont qui enjambe pour aller du cours Julien à la rue d’Aubagne tout droit sont tombés les immeubles 5 novembre 2018 tout direct le maire a dit c’est la pluie il pleuvait dru les gouttes tombaient droit c’est la pluie pas l’incurie pas les profits pas les fissures dans le tissu de la ville et des siens, toute droite la colonne qui porte le buste d’Homère, aveugle mais pas sourd, tout droit le grondement de la colère de l’effondrement dans les tripes des habitants, tout droit cours Lieutaud puis on traverse boulevard Baille et bam! primeur pommes tomates pastèques giclent jusqu’à la vitrine du traiteur le plus fameux de la place, arrière boutique zinzin musique radio gazelle radio zinzine bam! les sans-papiers en tablier à découper les oignons et le poisson tout droit la trajectoire de la lame l’impact du hachoir bam! dans les penderies des affaires du Monoprix des mètres linéaires de coton Bengladesh, de blue-jeans globetrotters, de sandales soldées polyamide viscose et cellulose bam! la loge de concierge réunie à l’atelier attenant a été transformée en un loft très prisé bam! on entend les gammes de la petite voisine du dessus bam! une rue bam! la nef sent l’encens, les bancs sont vernis les murs sont blancs un fidèle prie bam! les cris des écoliers dans la cour du Sacré Cœur ne sont pas plus catholiques qu’ailleurs bam! bam! bam! tout droit dans les immeubles une autre rue immeuble un patient se rhabille le visage fermé pendant que le médecin se lave les mains bam! file d’ordinateurs et de colonnes de chiffres, une employée à lunettes, une autre, coquette, un chef de service vicieux, sortant du centre des impôts une administrée devient piétonne puis, descendant l’escalier au métro Périer, usagère des transports en commun, une autre administrée glisse soigneusement une feuille de papier dans une pochette, regarde sa montre, regarde autour d’elle, s’éloigne à petits pas, se ravise, revient, appuie sur le bouton d’une clef, ouvre une portière, devient automobiliste bam! impasse du gaz bam! le trou béant d’un chantier s’enfonce de plusieurs étages palissade de tôle bam! rue bam! entre eux consultations la médecin, portable à l’oreille, appelle son carreleur, dans la salle d’attente les patients patientent bam! sirène de l’ambulance à fond bam! un rez-de-chaussée où un vieux somnole devant la télé allumée bam! un œil au beurre noir qu’on maquille bam! boulevard Rabatau klaxon gaz d’échappement vrombissement bam! les espaces trop vides du Palais des arts bam! la sève d’un arbre bam! l’esplanade sans ombre du parc des expositions quelques voitures garées, une allée longe le palais des congrès bam! centre commercial bam! droit au but des gradins à perte de vue, sous un ciel de poutrelles soutenant le vélum et un ovale de ciel, de tondeuses passent sur la pelouse du vélodrome, tout droit demi-tour tout droit demi-tour bam! des skateurs sur le parvis le long du virage sud bam! un homme en blouse frotte le sol devant les boîtes aux lettres toutes neuves, un résident entre, s’excuse pardon, laisse des empreintes humides dans le couloir vers l’ascenseur, la porte vitrée de l’entrée de la copropriété se referme lourdement, dehors tout droit la rue à double sens entre deux murs de béton qui se font face, ouvertures de bunker sur celui de la clinique, escalier de secours sur la tranche de l’immeuble, une rangée de poteaux serrés matérialise le trottoir, des motos sont garées d’un côté des voitures de l’autre, sur le trottoir, deux femmes marchent sur la chaussée, le vent s’est levé, tout droit la berge plantations et déchets, quelques branches tombées sur le sentier qui longe l’Huveaune, l’eau verte et rare l’autre berge des résineux, des coussins sur des palettes, un lampadaire qui éclaire la terrasse de la résidence étudiante, bam! vestiaire femmes salle d’escalade tout droit bam! tilleuls et cyprès dans les allées années 50 résidence allées bam! ça sent bon croissants et pain frais, bonne journée ! Bonjour, tout droit, rues, résidences, les immeubles sont moins hauts les platanes des jardinets ombragent les cuisines des maisons particulières, tout droit dans les rues en impasse derrière le boulevard Michelet, arbres bicentenaires autour de la bastide du jardin de la Magalone, fleurettes dans la pelouse bam! tout droit murets rues murets jardinets garage jardinet muret jardinet cuisine cour portail rue muret cour chambre à coucher couloir cuisine jardinet muret rue tout droit ça continue chemin Joseph Aiguier, aussi bitumé que les rues qui portent toutes des noms d’aviateur, maisons particulières aux toits de tuile aux volets clos dans les façades années 50 ou art déco tout droit arbre voiture mur de propriété tout droit toujours tout droit une butte plantée d’herbes et de grands arbres on dirait un tumulus étrusque bam! petit bassin grand bassin bam! gymnase bam! collège tout droit les maisonnettes s’alignent en lotissements bien rangés les rues portent des noms de musiciens, tout droit les voitures sont garées bien rangées en bas de barres aux fenêtres pareilles bam! les marches en terrazzo une liste de noms jusqu’au 5e étage bam! voitures garées la barre d’à côté en a quinze tout droit ça continue petites maisons résidences cliniques tout droit regarde à gauche regarde à droite traverse l’avenue les stèles bien alignées tout droit sur la pelouse du cimetière de guerre bam! les grands pins parasols se contorsionnent au-dessus de plus anciens mausolées bam! rues à maisonnettes aux grillages fatigués, les rues sont en impasses, maisons de ville serrées, grilles, toits de tuile, des cours plus que des jardinets, murets, bam! le chemin de Morgiou où deux voitures se croisent, rasant des murs plus hauts qui cachent des vergers, plus vieillots et plus vastes, les arbres moins taillés, les murets se prolongent et derrière eux les immeubles et les maison s’espacent, les commerces presque tous ont disparu, on longe une boulangerie, et la cour d’un carrossier, la rue est longue elle monte, à l’angle près d’un poteau électrique un grand panneau de publicité pointe d’une flèche la direction d’une grande surface tout droit revient sur le côté la façade d’un grand ensemble, en face le mur repeint de neuf d’une école très fermée aux fenêtres très petites, à la cheminée comme un mirador, tout droit des maisons derrière des murs et des vergers autour, une pharmacie, un salon de coiffure au rez-de-chaussée de maisons particulières, tout droit, la maison d’arrêt, son mur de grosses pierres, le drapeau des Baumettes, ses bas-reliefs édifiants, figures tassées carrées, les sept péchés capitaux, les voitures sont garées en épi des deux côtés du chemin de Morgiou, devant les murets des jardinets des maisonnettes aussi on croise l’avenue Rimbaud tout droit tout droit entre les résidences basses et les villas, ça monte, un bus va tout droit, tout droit, personne aux arrêts, ça monte long le long de maisons, de jardinets, tout droit, un panneau parc national des Calanques en blanc sur fond marron, le bitume se défonce, le chemin de Morgiou monte et se rétrécit, un muret, une haie, des pins et puis la roche, la colline, les pins, en face encore un grillage et des allures de verger, quelques hangars et puis le parking sable et gravier en voiture seuls passent les autorisés tout droit pas de sentier le calcaire les pierriers, les interstices de la roche, tout droit, pierre sèche et source secrète, une racine profonde tout droit tombant sur la mer tout droit tout droit bleu devant bleu droit bleu bleu bleu bleu Ziama Mansouriah.

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

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