Un homme dont le prénom était Pedro. A côté, un numéro de téléphone, sur un papier froissé, au fond de ma poche. D’abord, composer le numéro sur l’écran, écouter la sonnerie, longtemps, attendre jusqu’à ce que cela raccroche automatiquement. Rappeler juste après. Laisser sonner à nouveau. Après une vingtaine de sonneries, ça décroche :
– Allo ?
– Allo, oui, euh, je suis un ami de Pablo, il m’a donné ton numéro.
-Ah ?
– Oui, il m’a dit que tu pourrais m’aider.
– Je crois pas, moi.
Ce n’était pas mon style de démarcher quelqu’un comme ça. Mais je n’avais pas le choix, je ne connaissais personne ici et je ne pouvais pas continuer à m’assomer de joints et d’alcool, il me fallait quelque chose de plus fort. Cette pensée me donna du courage.
– J’ai besoin de 200, ajoutais-je rapidement de peur qu’il ne raccroche.
– Pas la peine de t’énerver s’était-il radouçit. Demain midi, la place de l’église, la ronde, j’y prends mon café, on verra.
J’avais encore la bouche ouverte, prêt à bredouiller un merci, quand j’entendis que l’autre avait déjà raccroché. La haine s’immisçait doucement dans mon corps. Mes membres se relâchaient. Demain, peut-être pensais-je en me grattant l’avant-bras. Je m’anesthésiais consciencieusement au rhum, j’étais complètement soûl quand l’obscurité descendit sur la ville, je me décidais à sortir de la petite chambre que je louais. Je marchais beaucoup, sans autre but que celui de mettre un pied devant l’autre et de faire passer l’ivresse qui me tordait l’estomac. Je sillonnais la ville : des trajets en ligne droite, musique psychédélique dans les écouteurs. J’arpentais les bords de canal aux lampadaires jaunes, je galopais sur les grandes avenues, je flânais dans les recoins sombres. Je croisais des piétons éméchés à la sortie des bars, des passant solitaires promenant leur chien, des cyclistes qui ne roulaient plus très droit. J’évitais les contacts. Je marchais plusieurs heures avant de m’arrêter dans un coffee shop à cause de la pluie qui avait recouvert la ville d’une chappe grise et humide. J’achetais quelques joints déjà roulés que je fumais assis en terrasse, à quelques centimètres du chauffage, entouré de touristes en plein fou rire. Moi, je n’avais pas envie de rire, j’observais les gouttes de pluie dessiner leur trajet sur les vitres. Un autre voyage raté. Mais qu’est-ce que je m’étais imaginé ? Qu’on allait m’accueillir à bras ouverts ? Qu’ai-je fait pour qu’elle refuse de me parler ? Je donnerais tout pour la voir, même de loin. J’irai à la sortie de l’école demain. On verra bien. Je m’endormis le bras replié sur la table.
Quelques minutes avant midi, je dévalais les escaliers de la Pension Zonneweelde. Je courrais au distributeur, y essayais plusieurs des cartes de crédit que j’avais en ma possession. Une douleur sourde resserrait ma boîte crânienne, tandis que dans ma bouche pâteuse, ma langue ressemblait à un vieux buvard tout sec. L’espoir de trouver Pedro me donnait l’énergie. L’espoir qu’il ait ce dont j’avais besoin me dota de l’élan pour faire marcher mes jambes plus vite. Il ne fallait pas le louper. Pedro avait dit à midi sur la place de l’église et il était déjà midi. La tirette faisait des siennes, niait mes opérations. Je frappais encore un code que je copiais de mon téléphone. Accès refusé. J’essayais avec une autre. Heureusement, la Barclays, mon âme sœur, mon sauveur, renouvelait toujours mon crédit en milieu de mois. Je récupérais quatre billets jaunes et balançais les cartes dans la corbeille à tickets.
Sur la place ronde, une église en forme de château médiéval, plusieurs cafés avaient installés leur terrasse. Pedro n’avait pas dit lequel, je fis le tour au pas de course, sans voir personne qui pourrait bien être le dealer. Les billets brûlaient dans la poche de mon jean. Je les caressais de ma paume moite. Leur présence me rassurait, tout allait bien se passer. Mes yeux inquiets scannaient en vitesse les silhouettes sur la terrasse : une mémé à chien, des touristes en goguette, un couple en pleine dispute, un homme seul, lisant le journal, un autre parlant au téléphone. Je n’osais pas m’approcher. Je déglutis, avalant péniblement une salive salée. Le mal de tête s’était bien installé, mes jambes étaient tellement molles que j’ai eu peur de tomber. Je m’accroupis contre une porte pour reprendre ma respiration et réfléchir à la situation. Comment avais-je pu le louper ? Il était parti, c’était certain. Je m’avançais vers la terrasse et m’asseyais à mi-chemin sur un banc. J’essuyais mes mains en sueur sur mon jean crasseux, quand un homme au visage buriné par le soleil s’assit à mes côtés. Sans un mot, il appuya sa main sur le banc, juste à côté de la mienne. En un fragment de seconde, il la retourna et j’aperçus un pochon de plastique rond, une petite boule qui occupait la moitié de sa paume.
– T’as le fric ? chuchota-t-il.
Je sortis lentement les billets de ma poche et lui tendis la main comme pour le saluer. Avec dextérité, il empoigna ma main, attrapa l’argent et y laissa tomber le pochon.
– Elle est forte, vas-y doucement ajouta-t-il en se levant.
Ma main était déjà dans ma poche alors que je me levais d’un bond et partais dans l’autre sens. Je tatais la boule. Immédiatement, mon ventre grogna de contentement, il fallait que je trouve en vitesse des toilettes où vider mes intestins.
Scène de manque tout à fait bien décrite. On s’y croirait vraiment.
Merci pour ton texte si réaliste !
Ah oui bravo Irène on y est complètement. J’ai bien aimé le rythme qui s’accentue au fur et à mesure du manque.
Fil, Véronique, un grand merci pour vos lectures et commentaires.