#40 jours. #09 Portraits effleurés

Elle pense dur comme fer qu’elle n’en a plus pour longtemps. Alors dans sa tête deux élans s’entrechoquent : profiter de chaque jour et préparer ses enfants à son départ, le mieux possible. Son mari, lui, ne veut plus en entendre parler. Cela fait trois ans déjà qu’elle doit mourir bientôt. Elle met de l’argent de côté, puis s’achète sur un coup de tête une pélerine, oui une pélerine à 400 euros, revient avec les cheveux teints en bleu, se remet à fumer pour arrêter de nouveau. Le reste du temps, elle écrit des lettres d’adieu à ses enfants qu’elle glisse dans des enveloppes de couleur pour que ce soit moins triste.

Il se dit qu’il aimerait bien être cireur de pompes, au sens propre, après tout il passe son temps à répondre aux demandes du patron dans l’espoir d’une promotion alors quitte à y être… Cireur de pompes avec une petite chaise facile à transporter et le repose pieds, tous les camaïeux de cirages noir, gris, brun, un bon coup de chiffon dans le poignet. Il lui faudrait un peu de couleurs aussi pour les jolies femmes. Les femmes viendraient-elles ? Pourrait-il se mettre à leurs pieds, ravivant le lustre de leurs escarpins tendus au bout des longues jambes toutes lisses. Il glisse dans le fantasme et regardant les femmes autour de lui se mord l’intérieur des joues. Il réaffirme la prise sur son attaché-case, regarde l’heure sans la voir et repart d’un bon pied laissant à ce coin de rue, toujours le même, l’idée de cirer des chaussures mais pas de se mettre à genoux.

Ses enfants l’encombrent. Ça se voit que ses enfants l’encombrent, elle répond évasivement, a la main lâche dans la leur, hume l’air du matin, le regard dans un ailleurs. Les épaules basses, mais l’esprit haut, elle ne pense pas en mots, elle plane. Elle a une tête de montgolfière et ses pieds sont ancrés. Ses enfants sont des lestes qu’elle ne peut faire basculer par-dessus bord. Elle les aime quand même, ses enfants, mais là tout de suite, maintenant, elle a la tête montgolfière.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.

4 commentaires à propos de “#40 jours. #09 Portraits effleurés”

  1. J’aime beaucoup vos portraits effleurés en poésie. Peu de mots pour décrire l’essentiel croqué.