# Carnets individuels | Irène Garmendia

40/40- Instructions pour écrire:

1-      Position du corps : assis, étirer la nuque, dos droit, jambes perpendiculaires, éviter de les croiser, on voudra favoriser la circulation du sang même dans les extrémités. Les bras en angle droit avec la table, les mains propres, sans ornements, les ongles courts, sur un clavier quelconque.

2-      Manger peu, boire beaucoup : café, thé ou infusions (éviter les euphorisants).

3-      Regarder dehors, laisser trainer son regard, s’envoler ses pensées.

4-      Noter toutes les idées tout le temps, sur un carnet, des feuilles volantes, une app.

5-      Éviter les distractions : quitter les groupes whatsapp, ignorer les enfants affamés, les sollicitations amicales ou autres activités professionnelles.

6-      Commencer et terminer ses journées par lire.

7-      Écrire le reste du temps. 

37/40-Les sanglots longs/ Des violons / De l’automne / Blessent mon cœur/ D’une langueur Monotone. – Tout suffocant/ Et blême, quand /Sonne l’heure, /Je me souviens /Des jours anciens / Et je pleure-Et je m’en vais/ Au vent mauvais/ Qui m’emporte /Deçà, delà, /Pareil à la Feuille morte. Paul Verlaine, Chanson d’automne, Poèmes saturniens.

Dix ou douze ans, j’ignore qui est Verlaine. Je dois apprendre par cœur un poème pour l’école. Des lettres à l’encre bleue sur les rayures Seyes. Peur de me tromper, peur du ridicule, peur d’exister au milieu des autres qui m’impressionnent. Et cette chanson qui resonne dans ma tête, ces sanglots longs qui parlent d’une autre vie. J’entrevois qu’un autre monde existe, celui des mots et des émotions. Les mots me parviennent, ils me parlent d’une langueur monotone, ils me parlent du vent mauvais qui déjà, me ballotte. Je sais que c’est là où j’habite depuis toujours.

36/40- Amsterdam, Noord-Holland, Nederland – écouter une meditation sur mon téléphone, sortir du lit, enfiler ma veste de laine, mettre un pied devant l’autre, descendre dans la cuisine sans faire de bruit, les portes des chambres sont fermées, donner à manger aux chats, préparer le café, installer l’ordinateur sur la table de la cuisine, regarder l’obscurité par la fenêtre en écoutant le borborymes de la cafetière, allumer l’ordinateur, ouvrir mon carnet à côté, ouvrir une page Internet, l’un des chats se frotte à ma jambe, l’autre sort sur le balcon, éviter les sites habituels, les e-mails et facebook, seulement celui du CRNTL, parfois celui du dicctionaire, ouvrir un fichier word, me lever remplir la tasse de café, enclencher le timer sur 25 minutes et quand je me rassois, écrire.

35/40-ouvrir la fenêtre, faire marche arrière, boire un verre d’eau à l’envers, se boucher le nez, faire trois fois le tour du pâté de maison, sortir les livres de l’étagère un par un, les empiler et les y reposer, rembobiner la cassette, chantonner, marcher à reculons, se gratter la tête, interroger le plafond, incliner la tête vers l’épaule droite, poser un doigt sur la bouche arrondie, souffler, râler et balbutier, marmonner, cracher le mot de la bouche, avec les postillons

34/40-Ça serait une histoire qui commencerait avec un cadavre, la tension de la mort en ouverture. Ça serait un personage qui fume, une femme fumant des clopes au bord d’une route gelée ce matin avec la fumée qui brûle l’air cotonneux; une femme qui fume des clopes sur un balcon une nuit d’été, une femme qui fume des clopes dans les histoires de la nuit de Mauvignier. Ça serait une histoire où des lettres disparaissent.

32/40-Ton nom ? sans doute l’ai-je su- mais comme toutes les choses importantes, je l’ai oublié. Je ne connais pas ton visage, je ne sais rien de ce que tu aimais, tes origines, ton sang. Je n’ai de toi que quelques mots grapillés chez les autres. Des mots chuchotés, de ceux qu’on ne sortait qu’à l’occasion, des mots cachés, brouillés par la grisaille. Écrire pour essayer de dire ton nom.

31/40- Alone | avec toi | et le monde y est pour si peu | un monde de tourments et d’orages | un monde vrai | parfois envie que tout s’arrête | surtout la terre de tourner | et imaginer la stupeur d’un monde sans toi | pleurer, crier, hurler ton absence | le vide de toi comme une tumeur en moi | rien d’autre à faire que se glisser dans la fiction | d’autres horizons, d’autres quais, d’autres paysages | sans bagages | et moi seule, à la porte d’embarquement |

30/40- rapper néerlandais |usage d’arme à feu | cavale | arrêté errant sur une autoroute de Málaga | lien avec des trafiquants | appel enlèvement d’une femme | résistance | il ne cesse de répéter: je vais tuer quelqu’un  | camisole chimique |en attente d’une évaluation psychiatrique | sous substance |alertée par la police du comportement violent, Grace 61 ans se rend sur place | sa mère| elle est retrouvée morte par les voisins | le lendemain| étranglée | la porte ouverte |

26/40-L’homme est debout devant son bakfiet chargé des lettres et paquets, prêt à partir pour la distribution. La température est nulle. Il porte un gros manteau, un chapeau de trappeur sur la tête. Ses mains sont nues, il les lève jusqu’à son visage qu’il palpe du bout des doigts. Il les pose sur les cavités orbitales, sur les pommettes. Je me demande s’il cherche à verifier qu’il a toujours des yeux ou que ses doigts n’ont pas perdu leur sensibilité.

24/40-Le corps mou, posé sur la chaise. Les jambes en équerre, perpendiculaires au sol. La tête légèrement inclinée sur le côté, les yeux fixes sur le mur crépi qu’il ne regarde même plus. La bouche dessine une moue, un sourire à l’envers qui fait serrer les dents et renifler. Les épaules basses, les mains posées sur les cuisses, l’index qui gratte le menton, qui arrange une mèche de cheveux, qui joue avec la médaille accrochée au cou. 

23/40-Autour de la table ronde, een, twee, drie, vier, vijf, zes, zeven, acht, negen tien. Une par une, dire son numero et tourner la tête à sa droite : elf, twaalf, dertien, veertien, vijftien, zestien, zeventien, achttien, negentien, twintig. Syriennes, ukrainiennes, néerlandaises, seulement des femmes. Plus vite ! Eenentwintig, tweeëntwinter, drieëntwinter, vierentwinter, zesentwinter, achtentwinter, negenentwinter, on accélère! On va jusqu’à cent! Eenendertig, tweeendertig, drieendertig, vierendertig, vijfendertig, zesendertig, zevenendertig, achtendertig, negenendertig, veertig. C’est à toi. Eenenveertig, tweeenveertig, drieenveertig, vierenveertig, vijfenveertig, zesenveertig, ah je sais plus, je me suis perdue. Elles répondent toutes ensemble en ukranien Zevenenveertig et elles rient. Achtenveertig, negenenveertig, vijftig.

22/40- Assis sur un petit tabouret dans une arrière-boutique éclairée au néon, l’homme est entouré de plusieurs piles de livres. Dehors, la nuit est tombée juste après les grilles de la librairie. Seule l’ombre des passants animent les murs de la boutique vide. Il prend un livre, l’attrape à pleines mains, le retourne, ouvre sa couverture dépliée. Maintenant l’objet de la main gauche, il saisit les deux plats, les fait se rejoindre entre le pouce et l’index. D’un mouvement sec du coude, il arrache la couverture du corps du livre. C’est le même bruit que quand on déchire une page, un chuintement feutré et sec. Au caractère définitif, la même sensation que lorsqu’on renverse un verre d’eau. Il jette d’un côté les couvertures, de l’autre les corps démembrés s’entassent sur une nouvelle pile. Il sourit, comme quand il est gêné. Lui, l’homme aux livres, surpris en pleine destruction massive d’ouvrages littéraires. Il s’empare d’un autre exemplaire, en arrache la couverture qui vole rejoindre les autres peaux. Des livres non vendus, qui n’ont pas assez de valeur pour être retournés aux éditeurs. On demande aux libraires d’envoyer une preuve de leur destruction. L’homme baisse le regard et choisit ceux qu’il va sauver de la benne à ordure. Parce qu’il ne peut pas s’en empêcher. Il les déplace et les entasse à nouveau. De ces cadavres, il bâtit un fort sur son bureau. Les pages denudées sont exposées à tous les vents, elles se froissent et jaunissent en même temps que la poussière s’y depose.

18/40-Quand je suis au dehors, ma personne est néantisée. Je n’existe pas. Je suis traversée par les gens et leur existence, j’ai vraiment cette impression d’être moi-même un lieu de passage. Et ce journal est une tentative de dire l’extériorité pour exprimer l’intériorité. C’est un journal intime extérieur. Je crois très fortement que c’est dans les autres que l’on découvre des vérités sur soi.

Flou d’un soi sans cesse tu. Présence, absence, solitude à plusieurs. Incommunicabilité. Tu te dois d’être un soi. Articuler des syllabes, en face on n’entend pas. Aspirer ses émotions, les avaler à la paille et puis périr, mourir d’en trop boire. Écrire, c’est rentrer chez soi.

15/40- Cuando vas a Chile? Es verdad? Menos mal. Oh my god! You know? Oui, c’est l’adresse. On peut créer mais on ne peut pas faire. Soit, soit, exactement. Voilà. Et ça, c’est dans Berekeneing. Impossible de trouver. J’ai cherché. Voilà. Il va la recevoir son antwoord. Ja en nu, lezen. Ja, zekker. C’est clair, maintenant.  Sorry? On ne devrait pas savoir. Fijne. C’est pas vrai? Ben dis donc! No hace falta tanto jaleo, no? Don’t you think?

14/40-Braaaam! Un branle-bas de combat ! Un bruit énorme qui tombe du ciel ! Tu braques le braquemard sur le brancart ou quoi? Faut faire un effort là: un bras brinquebalant traîne en pleine brasserie. Allez liquidez moi tout ça! Du propre !

Braaaam! Un branle-bas de combat ! Pas un borborisme, non ! Un bruit énorme qui tombe du ciel ! Le branleur, les breloques au vent, de nulle part, il est sorti. Il est tout brouillon au milieu des clowns à cravate, à ressasser les promesses du prime time. Il traine de son pas brinquebalant. Et tout ce noir qui y est tombé, ya plus que l’église et le bar qui sont allumés. Elle est toute seule à l’abris-bus. Des brassées de vent et des brimées, voilà ce qu’il pense, l’abruti. Pas besoin d’avoir son brevet pour comprendre. Qu’elle en attend une bien pointue. Regarde poupée : be on time et il brandit son braquemard. Prends ça ou rentre au bercail. Brèles pas comme une brebis, ça m’attendrit. L’uppercut en pleine gueule ? Il s’y attendait pas, le blaireau. Ça braille dans tous les sens et toi, tu brèles, tu ris à gorge déployée. Il l’aura pas volée celle-là ! Bravo, lui faudra un brancard ? Allez liquidez moi tout ça! Du propre !

13/40- S’incruster dans l’interstice- Glisser sur la flaque- Manquer de saisir/ de désir – Il était là, j’ai l’ai senti sur le bout de mes doigts- Il s’est échappé envolé. Je sens encore sa présence vide. A peine.

11/40- Raconter un souvenir d’enfance: la consigne est facile à comprendre, pourtant, je décide de mentir ou plutôt d’inventer le souvenir. À cette époque je dévore Bazin et Mauriac et je m’inspire des grandes émotions que je vis dans ces pages. Je raconte la fausse mort d’un grand-père que je n’ai pas connu. La prof est émue, j’ai la meilleure note de la classe. Mon premier pas dans la fiction me laisse le gout amer de la trahison, je ne suis pas celle que vous croyez.  

10/40- pendant pendu pendé pendeau pendaison pédant purulent paravant passant pédu repu pedalant prodant produit préscient prudence prodoncule précieux pétale pragmatique préfabriqué préfiguré préambule provenant pravart pravant préscient prevert prévent prévenu prémonitoire prénue prétentieux prioritaire printannier prévenant proéminent prairie pandémie palimpseste palindrome pari pas vu parent perpétuité pas vrai pas tendre parisien parentèle pérou péruvien prendre partant polémique prédominant parenthèse primaire probiotique bureautique biomécanique mortique épilectique orphique apocalyptique générique soviétique ahbontique précieutique maieutique

09/40- Cette matière gluante qui colle aux doigts. Qui s’immisce entre les corps. Qu’on retrouve dans les interstices. Sur les parois. Il serait temps d’aller s’y frotter. Tiempo de involucrarse ! J’aimerais t’attraper à bout de bras, te secouer, comme quand on fait voler les draps dans l’air frais. J’aimerais aspirer le venin avec ma bouche et le recracher d’un geste viril. J’aimerais te délester du poids qui t’empêche de respirer. J’aimerais tant et tant de choses, mais je ne ferais rien.  

08/40- Céline Garay Luis Ortiz Penades Felix New Gabriel Ortiz Garay Minuit Simari Garay Joel Dicker Jack Wolfskin Joleen McFarlane Sylvie Carteaud Sigrid Höttges Apraku Diederik Rinia Kasandimedjo-Doelsaman Linda van Kerkhof Griffioen Guevork Aivazian Nadine Leloup Justin Cairo Beate A. Jahnel Bart Lem Joëlle Horn Imelda Purnomo Julia van Rosmalen Philippe Noel Charlotte Browaeys Ludovic Lautussier Bruno Boissavit Pilar Toledo Damien Petiot Marieken Koopmans Alessandro Denti Irene Kosten Olav van Dijk Ronald Olij Alicia Framis Jose Martin Mark Aerial Waller Miguel Ángel Ramos Maria Luisa Estela Alejandro Gadea Jelle Bloem Ana Isabel Carmona López Michel Giorgis Comte Ana  Mira Vidal Thomas Vautrin Vincent Hugonnot Mohannad Akroum Dirk Raes Maarten Hepp Tim Crispijn Ana María Rodríguez Otero Rebeca Sánchez Hernández Paloma del Olmo Rosa Luján González Miguel Ángel Asturias Luis Zendrera Florine Pépin Ari Marcopoulos Carlos Ortiz Amy Pratt Ouachel Meskine Rania Elkouaa Nera de Haas Alan MacNiven Catalina Garcia Marti­n Andrade Perez Luis Roman Latoya Manouska Graute Christiaan Moonen Morwenna Lebillon Anne- Isabelle Cador Hélène Diao Amel Brahma Hicham Sabir Océane Dorange Iris Kingma Sabrine Clara Bosco Ingrid Cayet Nathalie Douchez Labinski Máté Lachegyi John Matthew Fox Yotam Ottolenghi Ente Buurma Donna Piet Régine Detambel Sonia González Martín Abdul Imamdi Shameeda Mahmood Sarah Bures Laura Van Gastel Nick Pope Juan P. Rubio Antonio Machado Lorenzo Oliván Raya Morag Rosana Toledo Julia Bruna Illana Fernando Mir Paloma Calvé Garcia Cees Nooteboom Azucena María Stolle Arranz Jaione Cortázar Arruiz Carmen Vaquero Saez Elena Marcos Rosalía de Castro François Bon Anna Fors Iborra Philippe Jaenada Alain Laprie Elizabeth Wicha-Wauben Reinier van der Plas George Mulder Marta Blas Agüeros Ana González da Costa Philippe Da Costa Laure Garay Adam Da Costa Garay Lucie Minvielle Patrick Garay Laura Nogales Sandy Smith Fabienne van Dillen Elena Vilanova Pepe Alamar Alice Cordier Isabelle Lépine Tido Visser Judith van der Lans-Sikilo Fiona Laycock Wai Lau Barbara Casalini Giovanni Boselli Patricia O’Loughlin Hans McIlveen Annemarie Fennema Els Planje Xose Manuel Figueiras Gerdine van den Heuvel Concha Santa María Stéphanie Briand Estrella Ortiz Amparo Penades Franco Simari Silvia Bustos Yvette Le Loch Virginie Lepesteur Rosa Sixto Idurre Antxia Marie Louise Bore Loreto Meza Facuse Verónica Rodríguez Jocelyn Echeverria Cesar Yepez Jose Antonio Gomez Claudia Catalan Angela Aída Peragallo Fabrizio Paolo Bua Aurora Romero Inge Reist Malcolm Baker Norman Dowling Mercedes García Brigitte Benkemoun Dora Maar

J’ai noté tous les noms qui ont défilé dans ma journée dans l’ordre chronologique de leur apparition: mes proches, mes collègues, mes amis, mes clients, mêlés à ceux qui apparaissaient par hasard, écrits sur un livre ou une enseigne. Puis, je me suis promené entre vous prenant conscience que j’avais écrit votre nom dans mon carnet d’aujourd’hui. J’ai senti que je faisais quelque chose que vous ignoriez. Etait-ce une trahison? Je vous ai nommé, je vous ai introduit malgré vous dans mon univers fictionnel. Je vous ai livré en pâture au regard des autres. Vous? Non, votre nom. J’ai essayé de faire marche arrière, mais il était trop tard. Vous faites partie de ma liste, au mépris des règles de confidentialité, vous avez fait irruption dans ma vie ce jour-là et j’ai déposé votre nom aux côtés de miens.

07/40-Les sourcils froncés, la moustache qui lui barre le visage  |  les cheveux en arrière, patinés de gel  | des bagues à tous les doigts, des bracelets qui tintent à chaque geste, le portable à la main  |

06/40-Madame, la vie est belle de Lancôme ? interroge-t-elle en me tendant une rose en papier parfumé. Ce sont les premiers mots que j’entends en arrivant à Charles de Gaulle. Le visage fatigué, les jambes lourdes, elle essuie mon refus en fermant les yeux et passant à la personne suivante. Sa phrase continue de résonner à mesure que mes pas s’éloignent le long du couloir. Le bonheur ? A côté, un gamin au regard absent, aussi mince qu’un trombone déplié, une pince de métal à la main, attrape des pâtisseries colorées pour les mettre dans des boîtes à bijoux. Encore du bonheur, celui qu’on achète pour le mettre dans une boîte pastelle qui va traverser l’océan. Je reste avec la question: est-ce que la vie est belle à Charles de Gaulle?

05/40-ciel limpide- stop- couleur claire- stop- nuages bas- stop- sans risque d’averse- stop.

04/40-C’est le visage de ma mère de profil, je le regarde de très près. Elle est en train de dire le mot  »n’importe quoi ». Je regarde sa bouche articule, je m’approche encore plus de son visage et je pense qu’elle ressemble à sa soeur. C’est le refrain d’une chanson de Yo la Tengo que j’entends aussi et qui se répète: You can have it, have it all. 

03/40- On aurait dû parler (oui, on aurait dû l’ouvrir) on aurait dû se lever (se dresser sur ses ergots, oui) on aurait dû taper du poing sur la table et dire ce qu’on pensait. On a préféré le silence (on l’a fermé) on s’est arrêté net (on s’est planqué, oui) on a menti par omission, on a eu le courage de faire semblant (de vrais héros) d’aimer cette posture. On a eu peur de déplaire et on s’est perdu. On vit avec cette déception sur le dos maintenant, cela nous fait courber l’échine.

02/40-Le sol carrelé noir et blanc, d’une matière mate, presque moelleuse quand on posait le pied dessus. Un parfum anisé, du velours sombre quelque part dans la pièce. Des murs nus dans un décor baroque, un texte manuscrit de Cocteau sur l’opium. Le visage de l’écrivain dessiné d’une ligne, punaisé à même le mur. Les volets entre-ouverts en été, le tintement des rideaux de perles dérangés par la brise et les images de la télévision muette pendant la sieste.

01/40- On n’avait pas pensé que ça se passerait comme ça. Ce n’est pas ce qu’on voulait. Parce que tu crois que cela te servirait, un père? Parce que tu ne veux pas de père. Parce que les pères sont inconsistants. Un jour ils sont là et puis le jour d’après, ils ont disparu. Être père, ce serait comme un manteau qu’on enfile et qu’on retire quand on n’en veut plus. Est-ce qu’on peut s’en débarrasser quand on a trop chaud? Être père et suspendu à la patère. Être père et retourner sa veste. Cent hommes: et pourquoi pas un père dans tout ça ?

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

16 commentaires à propos de “# Carnets individuels | Irène Garmendia”

  1. attrapée par « mince comme un trombone déplié », je suis remontée jusqu’au #01 avec grand plaisir

  2. la 22 : un métier d’homme… ? et la preuve exigée… quelle pitié que ce monde (et puis merci, au 26 : j’ai appris bakfiet) (j’aime beaucoup le double sens de « la température est nulle »)

    • merci Piero de ton passage par ici, pas eu le temps de me triturer la tête avec une traduction correcte, zéro se dit  »nul » en néerlandais.

  3. J’aime beaucoup l’atmosphère de ce carnet, quelque chose d’étrange et familier à la fois… étonnant 22 (entre autres), très réussi