#compiles #02/40 | si loin, si loin

Ni avant-hier, ni il y a quinze, non trente ans, lorsqu’on venait de la rue derrière, puis de l’allée bordée de platanes, au numéro 15, où se trouvait la maison, notre première maison, derrière la porte à carreaux vitrés, en haut de trois marches, derrière une porte en bois, au fond d’un couloir, derrière une autre porte se trouvent les toilettes devenues au fil du temps bibliothèque : trois mètres sous plafond, bourrés d’étagères, bourrées de livres. Mon refuge. Un endroit calme où chante une rivière, en somme. ChG.

Ma mère était épileptique et lorsque j’étais petite fille, je la voyais souvent tomber, à la maison, dans la rue ou dans la queue d’un cinéma. Un jour, je devais être avec elle et mes petites soeurs, lorsque brusquement, elle est tombée dehors mais je ne sais plus où et je ne sais plus ce qui s’est passé entre le moment de sa chute et le moment où je me suis retrouvée assise dans une voiture de police entre deux policiers mais je me souviens que je venais de faire tomber ma glace au chocolat sur le pantalon de l’un d’entre eux. CM.

Aujourd’hui nous avons chanté pendant 3 heures, finalement l’idée d’opéra avec les élèves c’était pas si mal, ils ont fini par improviser un chant sur l’air de Happy Day « une comédie… » mais jamais seuls : chanter a capella, même quatre notes, c’était impossible, exactement comme vivre a capella devant les autres qui te regardent. Dans le 93, les élèves chantaient dans les couloirs, c’était normal de chanter, je les enregistrais, on chantait ensemble. Même des trucs jazzy. Maintenant, ça leur est douloureux, comme s’ils vivaient seuls dans une chambre sans écho. FB.

La légèreté des sept ans, les chevilles en bas des pulls grands. Le froid ou le chaud qui faisait le tour du corps. Les os de sept ans. MiT.

Quelle date était-ce ? Je me souviens parfaitement de notre rencontre. À moins que j’en aie oublié quelques détails. J’étais assis au bar. Tu es tombé dans mes bras. C’est ce que nous nous sommes toujours dit. Depuis le début. Pour être dit depuis le début, c’est que c’était vrai. Sinon, nous l’aurions raconté plus tard. La date ? Nous n’en connaissons tous les deux que le mois. C’est en ce moment. À quelques jours près. RBV.

À l’école, dans les toilettes, le lavabo pour se laver les mains était une cuve géante. On pouvait être plusieurs en même temps à se laver les mains. Il fallait appuyer avec notre pied sur un anneau au sol pour que l’eau coule d’un robinet circulaire placé au centre, comme une fontaine. C’était toujours la course pour poser son pied en premier et contrôler l’eau. Aujourd’hui, l’individualisme a tué ce genre d’aménagement collectif et les robinets sont automatisés. YSO.

Mon auréole est mon contour. Vous voyez une éclipse. Mon auréole est le halo. Elle est la manière dont mes contours s’indistinguent, s’effrangent. Non pas s’effacent : se mêlent. L’auréole est la manière propre à chacun d’être tout le monde : bien commun : comme personne. Vous avez dû me confondre avec moi-même. C’est une zone, de flou, une marge, il y a un jeu. Elle est mon bougé. (La photogénie en participe.) Mon auréole est ce qui se partage. Lumineuse — précieuse — en cela. CT.

Le groupe longe la rivière. Autour c’est un pays plein de lacs et de villes thermales. La nuit est claire. C’est l’été. Je n’ai plus l’odeur. Je n’ai plus le bruit, ni la température de l’air. Le groupe silencieux, fantomatique, longe la rivière. Dans l’air, voltigent des nuées de lucioles. MaT.

Elles et eux ce qu’ils cherchent c’est un voyage une fuite un espoir partis d’où arrivés comment Quel rapport entre cette migration et ce que je fais sur P. comprendre quoi Un couloir dans la maison nous avons monté un escalier pour y arriver du bois de chaque côté des vitrines chargées d’objets éclairé par une clarté haute je devine un grenier c’est vieux mon père guide Sais-tu ce qu’il cherchait sais tu ce que tu cherches sais-tu ce qui t’émeut devant ces œuvres à Baltimore. BD.

Les morts devraient être libre mouvement en terre les camisoles de bois pourrissent l’âme a des ailes un drap rouge en velours appelle ma main d’enfant je refuse je n’accueille pas la mort les églises sont sinistres malgré le grandiose seuls les vitraux noirs Conques trouve grâce pour le retournement de la lumière d’un requiem pleines voix. Je voudrais composter mes os qu’un arbre palpite par décomposition.  JenH.

11 novembre 2022 – 01.01
Une image revient souvent
Quand certains mots sont entendus 
Charleville-Mézières
Ardennes
Meuse 
Même Rimbaud s’en mêle
Et quelques autres aux abonnés absents à l’instant précis
Une image
Une écluse verticale
Cela est-il vrai ?
Est-ce possible ?
Une écluse verticale
Cette image revient souvent
DM

#2/40 « Si loin, si loin »
Pas de « A » ?
Ah…si. Des arbres. Un mur de pierres. L’odeur de Robert Redford 
(Amsterdamer). Cheveux blonds or. Souvenir ? Sous-venir ? Image comme 
Kaïros. Il passe, l’image passe et il n’y a pas de prises, comme un coup 
de vent.
Où ? Quand ? Qui ? Comment ?
—je vois mais je ne « sais » rien—
AH

Aucun souvenir de la première pleine lune observé, mais je me souviens d’avoir visionné le film Dersou Ouzala à la télévision, ou était-ce en salle ? À sa sortie ? Je ne sais plus. Avec mon grand frère (mon parrain) qui m’initiait alors au cinéma. J’avais cinq ou six ans. Et du retour en autobus / le passage sur le pont / la marche

sous les drapeaux, cette façon de refuser la nourriture (les magnifiques colis que TNPPI m’envoyait – makrouds manicottis pâtes d’amande – et que je distribuais aux voisins de chambrée) ou cette façon de manger dans les resto U ou les sandwichs qui les gâtent, voilà où nous en sommes ces jours-ci, il est certain qu’il y en eut trente deux, mais sans doute (je ne compte pas, non parce que c’est comme quand on aime, non je déteste souffrir comme c’est le cas à présent, mais parce que ça a tendance à m’effrayer) un quart – je passe je m’en vais PCH

jusqu’à la maison. [Emmanuelle Loyer, » L’impitoyable aujourd’hui » + Daniel Fabre & Jean Jamin]. EL.

Un moulin à roue pendante, dévolu désormais à l’accueil de séminaires et de manifestations culturelles, construit au XVe, dans une boucle du fleuve. On ne saurait en approcher sans éprouver un choc esthétique et émotionnel. S’il a existé un Paradis avant la création du monde, il était là. L’écho du fleuve, l’harmonie des masses végétales, les teintes mordorées des pierres du bâtiment, tout concourt à susciter la sensation qu’on devrait, sans délai, s’y installer et n’en plus bouger. On y entre et le cœur et l’esprit s’apaisent. On ne voudrait pas élever la voix, émettre un son discordant. Il y aura, à suivre, des discussions paisibles, des déjeuners et diners comme assortis au lieu, une dégustation de vins issus de la biodynamie, une exposition d’oeuvres d’art et une petite sculpture qui manque aujourd’hui encore. AB.

J’ai oublié le nom de la professeure de français de 4e. Elle m’a procuré mes premiers volumes de La Pléiade. Oui, la poésie de Victor Hugo, à 14 ans. Elle nous a emmenés au théâtre. Peut-être Michel Bouquet dans Le Malade imaginaire. C’est une possibilité floue. Les dates ne collent pas. Pas Beckett, je ne pense pas, pas déjà Beckett. Elle prenait le train avec moi pour Paris où j’allais seul pour raisons familiales. Elle a fait étudier des poèmes en ne dévoilant qu’à la fin de l’heure qu’un était de Rimbaud et l’autre de moi. SeB.

Une liste alors ce serait : la commode à trois tiroirs et le titre serait Ce qu’on garde et pourquoi celle-là qui venait d’une brocante où elle aimait chiner, elle avait acheté cette commode, quand dans l’atelier immense tout à côté de sa maison, son père en avait tant façonné, des meubles, construits de ses mains, de ses mains, il y aurait beaucoup à en dire de ses mains de ce qui ne se disait pas, ou rarement comme échappé d’une bouche ou d’une autre. A.D.

Mexico – Mexiiiicôô… Une pulsation monte, petit appui donné sur un pied remonté au bassin balancé de l’autre côté. Petit pas, tu appuies, petit pas, déhanché, coudes serrés à la taille. Avant-bras écartés, tes pieds dans un dimanche matin relâche, avec du temps pour rien, sous le soleil de Mexico, en vacances dans la salle à manger. L’étiquette 0,9F tient collée sur la cassette audio. NE.

le jardin de tes trois premières années, tu n’en sais que les murs qui l’entourent, schistes, pas même le dessin, terrasse ciment, un camélia immense (mais image du temps où tes grands-parents habitaient là, et toi tout gosse encore), la maison louée puis vendue, lieu inaccessible, avoir emmené Isabelle et depuis une impasse grimpé pour voir par-dessus le mur, mais rien de clair, sinon une pelouse, autre forme d’effacement quand là un potager, un poulailler, la campagne dans la ville mb

La forme de son corps ? Couleur de ses cheveux ? Noir sans doute. Le son de sa voix ? Peut-être titi parisienne. Une Bellevilloise pure. Se rappeler si peu. Le prénom de son copain ? Numéro de la rue Rebéval ? À peu près seulement un nom : Paquita. Et une des plus belles balades dans le quartier. Jeunesse. PhB.

 Ce que je ne ramènerai pas du voyage, réel ou onirique : ces pensées ânonnées au creux de la nuit, ces phrases évaporées au détour du chemin, ces mots échappés de leur sens, ces souvenirs entr’aperçus sur le bord du chemin. GAS.

La voix m’échappe. Je me rappelle les mots, la bouche qui les dit. Mais c’est comme s’il y avait un décalage entre le son et l’image. Je reconnais les modulations pourtant et la fréquence : du cœur. L’inflexion est juste mais la tonalité inexacte. La tessiture vibre dans une autre octave, inconnue et familière à la fois puisque retranscrite par mon cerveau. Je visualise les lèvres, le sourire mais la voix, elle, me fuit. PV.

C’était la nuit. Ça j’en suis certain car je me souviens que les flammes étaient l’unique source de lumière. Je n’avais pas osé la brûler sur le balcon, à cause de la fumée. J’avais fait ça au pied d’un arbre, un de ceux qui longent le canal, juste à côté. Je connaissais la lettre par coeur. C’est probablement la raison pour laquelle j’avais osé y mettre le feu. Je pensais que je pourrais toujours la reproduire, si nécessaire. Mais j’avais mésestimé mon désir d’oublier. J’ai vaguement en tête son écriture manuscrite, il me semble que l’encre était bleue. Je n’ai aucune certitude aujourd’hui des mots reçus, reçus comme des coups. Je me souviens seulement à quel point leur justesse m’avait heurté. AnM.

Brune cheveux raides sur les épaules, yeux noirs, peau halée, 7 ans, air timide, presque triste, voix posée, faible intensité. De temps en temps un sourire te défigurait, te transformait, tu rayonnais. Emerveillée par ce brusque changement. Odeur enveloppante, savon, lait corporel, mains douces, larges joues. Etre près de toi, même dans le silence, me calmait, me rassurait, moi agitée, angoissée, bruyante. 7 ans et stupéfaite par ta puissance invisible. Merci Florence Absire. CB.

Braver la défense d’entrer dans la chambre des parents – cette ouate de silence – j’empoigne une super 8 par le manche. Mon doigt sur la gâchette une mécanique s’enclenche. L’œil communiant avec le viseur (ou le judas?) savoure le plaisir d’enchâsser l’infini dans un cadre. FL.

Dans la lunette arrière, ils courent à l’arrêt, éternellement. La lumière est totale et fait danser la poussière de la route sur leurs petits corps sombres. Je peux encore toucher les cheveux de leurs têtes sans visages. Derrière mes paupières la petite main blanche de mes cinq ans. De l’autre côté du pare-brise, ils sont enfermés. CaB.

vision froissée et défroissée — authentique lichen de mémoire — nuit d’enfance — sept huit ans peut-être — allongée dans le lit près du mur — contre le chambranle de la porte un homme grand portant une moustache et souriant — une femme au visage sévère assise au bout du lit — ils me fixent d’intensité — croisement de regards — je ne les ai jamais vus — savoir sans savoir que ce sont mes grands-parents — mais ils sont morts depuis si longtemps — se cacher sous les couvertures vite — SV.

lLa Mini Austin bleu ciel. Son levier de vitesse, sans soufflet ; le volant, noir, fin, luisant et crénelé. Peut-être un regard dans le rétroviseur ? La route descend. FT.

L’odeur. Reconnue, là, immédiate, précise. Ça fait tilt. Mes pas arrêtés net. Concentrée. Un appel. Un écho qui se réverbère sur un coin de mémoire. Cette odeur particulière. Dans le fouillis du jardin. Je ne sais pas d’où elle émane. Quelque part, là, sous mes pieds. Tu sens? Deux énigmes qui coagulent. Quelle plante ici-même, quel appel du passé ? Ça fait trop pour mon cerveau. Je suis là et je suis ailleurs. Un ailleurs dont il faut retrouver la porte d’accès. Un petit trésor inconnu, une émanation. Ça ne se décrit pas, une odeur. Ça n’a pas de nom. Ça ne commence ni par a, ni par b, ni par c. Rester plantée là et plonger dedans, l’absorber toute entière. Ça finira bien par réveiller quoi? un lieu, un moment? Logiquement, voyons voir, un jardin, l’automne. Tous les jardins… ou une forêt? L’odeur me dévore, me retient, m’emprisonne. Tu ne bougeras pas avant d’avoir résolu cette énigme. Mais pourquoi? C’est donc vital? Son message urgent et personne pour m’aider. Quoi dire d’autre que « tu sens? »Sentir quoi? Évidemment les odeurs sont mêlées mais au milieu il y a cette note, cette note qui vibre juste pour moi, qui doit me relier à un éclat d’être, un reflet de mica dans les strates du temps. Une illumination… mais oui, bien sûr!  LL.

C’était au-dessus d’une plage en pleine chaleur, avec de grandes mouettes et leur cri, cette odeur salée et une lumière toute bleue. On marchait sur cette longue esplanade. Et là, dans les encoches de la muraille, un choc, j’étais dans le fût d’un canon, un tir et propulsée dans le fond de l’océan. Je me réveille un peu glauque ils tirent encore, et les gens où sont-ils hagards ils se dispersent, courent aux abris, meurent là par terre, encore et encore et tout le temps. Mais c’est où, , c’est où tout ça ? SW.

La perte des odeurs a rompu le monde. Ça ne fait plus mémoire. Comme si les choses étaient là, à la surface, sans retrouver le chemin de leur histoire. Sans vraiment avoir lieu. Étrange sentiment d’être du côté du résiduel. Après ce qui a été. MR.

Deuxième année de maternelle, spectacle de fin d’année. Tous les enfants de la classe étaient costumés en petits mousses avec une petite marinière et un pompon rouge sur la tête. Je me rappelle uniquement que nous devions tous ramer. Nous rejouions Vendredi ou les limbes du Pacifique que nous avions lu pendant l’année scolaire. Rires et gêne mélangés. EV.

cases de la mémoire reliées entre elles
les corps y sont vivants
soir d’été, festival sur une place avec platanes et panneaux colorés avec des étoiles, jazz pendant l’apéro, un grand écran de cinéma, ils avaient débarqué tard, deuxième fois que je le rencontrais lui avec elle, joyeux
visage fermé buriné, les mains le corps fermés comme le visage, quelques temps avant la fin
une cuisine avec table couverte d’une toile cirée crasseuse, les poules grattant dehors
lui si petit aux cheveux roux dans le berceau
la chambre toujours la même avec le sol en béton empreint de signes pareils à des marques de pattes d’oiseau sur le sable mouillé
carnet de long voyage rempli au stylo noir avec dessins intégrés, tickets de bus, cartes postales, tout autour le bruit d’une gare routière
FR.

Comment sommes-nous rentrés pieds nus de la plage et de quelle plage ? Dans ce coin là sur la carte il n’y a pas de plage, il y a des marais, « la Venise Verte », un fleuve qui arrivera bien à la mer mais plus loin. Pourtant c’est sur le bord d’une plage que nous avons oublié nos sandales et nous devons y retourner, les retrouver, à pied et pieds nus. Ce qui reste très clair c’est l’humiliation pour une histoire aussi dérisoire, mais à 10 ans…Je suis certaine que nous avons marché sur un pont et peut-être ensuite à gauche, sûrement la plage sur la berge et le fleuve qui paraissait une mer. Le retour encore plus terrible, traverser le restaurant de l’hôtel à l’heure du repas et les rires en voyant passer ces deux mômes avec leurs sandales plastique. IsC.

[Un sentiment Une sensation] Une odeur. [De chien d’animal] Sauvage, forte, musquée. Une odeur enveloppée d’une autre odeur. Une odeur [de feu, de fumée] de bois humide en train de brûler dans une cheminée. Et aussi, une odeur [sucrée douce] de cahiers, de crayons taillés, de colle blanche. Une odeur [de rentrée scolaire] de fin d’été– d’automne. Une odeur oubliée de souvenirs d’enfance. [Subtile] Puissante et multicolore. Une odeur d’hier. JLC.

l’ombre de l’arbre sur le mur agitée par le vent, dans le mur une fente étroite, la rupture des couches de papiers recouvertes de peinture, ça a cédé, comme une plaie sèche dont les chairs s’écartent. la petite fille sous les pins, son sourire dans l’image dégradée du VHS, la voix de l’oncle qui se trompe en la nommant. de longs silences. dans la nuit je fais la liste des choses que je voudrais filmer. l’exaltation. CD.

02- les yeux sont fermés, sensation à chercher retrouver. Sentir son propre corps s’emplir, de quoi? impression ténue de corps confus, odeur perdue, même les images, absentes, le noir de la paupière fermée ne suffit pas à les convoquer. Ce n’est pas un oubli, non, une recherche dans l’oublié, les images brouillées flottent, les bras se referment sur le vide de corps flous et froids, effacés sitôt aperçus, vacillants comme flammes d’une bougie sur une fenêtre dans la nuit de l’hiver. PhL.

Glisser le haut du corps sous le tulle blanc, s’accouder à l’appui de fenêtre, sans doute entre deux plantes vertes, ou deux bibelots, adroit comme un chat qu’on n’avait pas, regarder sans gêne les gens passer dans la rue, la sortie de l’école ; déménager, première maison perdue, maladroit casser un réveil de voyage, ne plus voir la rue, regarder le jardin, la tortue, les oiseaux et les chats des voisins. JMG.

brouillard d’automne roussi à l’aube de l’école faut-il qu’il m’en souvienne ? OS.

Il n’est pas possible de revenir à l’état d’avant la connaissance, et si je retrouve assez précisément l’image de cette chambre d’un hôtel cubique d’une station balnéaire dont je n’ai vu qu’un soir de hors-saison, il ne m’est plus donné de me remémorer comme je l’ai vécue l’attente du lendemain où, pour la première fois, je verrais Tarquinia. LH.

Une porte blanche disparue dans une rue rebaptisée depuis. Qu’il est bon de réécrire le monde en superposant couches de béton, plaques métalliques et slogans partisans. Renommer une rue, c’est raconter une histoire, limer le passé pour le rendre convenable. Assortir par un ravalement de façade de l’éclairage ne gâte rien. Champagne ! Tempête sonore d’applaudissements. Dans la gravité d’une larme d’enfant, le monde brûle sans bruit. Il faudra penser à réécrire cela. JT.

Les cailloux dans la cour crissent sous les roues de la voiture de F. . Exception faite de ce détail, et des fines rides qui bordent ses paupières, rien n’a changé. Les embrassades sont un peu gênées. On tâtonne, on effleure. Les corps sont toujours un peu plus craintifs, un peu plus sensibles à l’absence. Peut-être parce que la peau perçoit tout, sans aucun filtre. Et puis, ça fait combien de temps déjà ? Quinze ? peut-être vingt ans que l’on ne s’est pas vus ? Vertigineux ! On abrège les calculs de peur de se trouver trop vieux. Mieux vaut se raccrocher d’abord au présent : viens je te montre la maison, quel âge à ton petit dernier ?  Ce n’est qu’au moment de servir le  café que l’on cède  à l’ivresse des souvenirs. C’est lui qui s’y jette le premier. Tu te souviens de …?, comme une incantation que l’on répète à chaque début de phrase. On ne se souvient pas vraiment. Les détails nous ont, depuis longtemps, fait faux bon. On ressort un carton de photos poussiéreuses de la cave, pour combler les espaces. Le reste, on l’invente. Le chat saute sur les genoux de F.. Cette histoire n’est pas tout à fait exacte. Tout n’est pas tout à fait vrai. Les personnages et les lieux se mélangent et se confondent un peu. Nous le savons tous deux. Quelle importance ? Cette histoire, c’est la nôtre. GQ.

Déposé sur le miroir là-bas au loin désormais perdu, j’aurais dû mieux m’attarder le soir, le matin juste avant d’aller à l’école : ne me suis jamais donné la peine de cela (cela, est-ce regarder, est-ce comprendre, est-ce seulement envisager) — sur le miroir donc, moment précis où je commence à posséder des souvenirs : contours de mon visage d’enfant perdus quelque part dont il ne reste que des traits, des lignes comme sur les tablettes d’argiles brisées on n’observe que ce qui manque. ArM.

Mais que disait la voix qui venait de partout à la fois ? Sans doute aurait-il fallu mieux me taire pour mieux me souvenir, graver en moi tous ses échos. Ne pas répondre surtout, au risque de la couvrir. Écouter c’est l’art ultime. Faire silence immobile en moi, ouvrir en moi toutes mes pétales mes feuilles mes branches mon écorce mes racines elles-mêmes et me tenir uniquement là tout ouvert, tout droit dans sa voix. N’être qu’arbre pour graver le souvenir. TD.

11/11/22. Santorin, printemps deux-mille-trois, l’excursion au cratère, deux jeunes femmes japonaises en tongs sur le volcan. Puis on nage, dans le bleu, du bateau jusqu’aux eaux chaudes. Au retour, l’eau refroidissant, la fatigue, l’une des deux touristes japonaises commence à couler remonter couler remonter. Du bateau, tandis qu’on se hèle avec inquiétude et qu’on envoie la bouée rouge, l’autre la prend en photo. La légende : souvenir des vacances en Méditerranée. JCo.


J’avais, il me semble, un ange à mon chevet, emprisonné dans un cadre en argent et auquel on me demandait de recourir quand j’étais malade. Nous étions les seuls à ne jamais bouger. Mais ma mémoire est ce regard effarouché de l’Ange de l’Histoire qui voit s’élever devant lui la paroi écrasante du passé et la tempête de l’avenir le projetant chaque fois plus loin de lui-même. HB.

Il y a dans l’effort de ce jeune garçon, escaladant la grille du centre sportif dont l’accès est interdit à cette heure, juché tout en haut, suspendu, en équilibre, entre inquiétude et jubilation, qui discute avec son ami en contrebas, une insouciance juvénile qui me laisse rêveur. Le soleil brille dans leurs cheveux en bataille, le front perlé de sueur. Les feuilles cramoisies flottent dans les flaques d’eau. Leurs reflets s’accrochent aux branches des arbres. Comme une attente et une révélation. La carrosserie de la Trabant est un mélange de résine et de fibre de coton. PM.

Il avait neigé, je crois. Je devrais me souvenir mieux. Après tout, c’était notre première fois. Il y avait eu un film. Allemagne, Mère blafarde. La neige dehors convenait au titre et à mon âme à la sortie. Je pleurais. J’ai pleuré longtemps, sans contrôle. Je ne sais plus ce qui m’a calmé. Son désarroi, peut-être. Du film, je ne me souviens que des larmes. De lui, les yeux bruns, la tignasse en bataille. Il est parti… peu de temps après. B.F.

Une odeur de fleur une odeur rose pleine : une savonnette REXONA ovoïde au bord d’une bassine      non      d’une Cuvette en porcelaine blanche et bleue     peut-être des fleurs en motif      peut-être      et le soleil sentant le bois sur une     non     sur LA galerie accolée à la maison     pas maison non    Ferme     en dessous   dans la cour en terre   l’amie délaissée     sous les caquètements du matin. MACM.

Tout était prétexte à chanter : Dalida à la radio, un mot au détour d’une conversation, l’évocation d’une rue de Paris. Ses chansons venaient des crieurs qui parcouraient les rues dans les années 20 pour vendre les partitions des airs à la mode. Son répertoire de goualantes venait de là. Je ne me souviens d’aucune chanson, d’aucun titre, d’aucun air – ce qui a disparu avec mon grand-père c’est aussi ce monde-là, mélodique, insouciant, plein de R roulés et d’histoires d’amour des rues. XG.

Premier hiver là-bas, le son du blanc de l’hiver sous mes pieds, la vitesse des déneigeuses dans les rues, le rire du blanc de l’hiver sur mon visage, les cafés emmitouflés.
Un autre hiver là-bas, pas le premier mais lequel, on marchait entre les rails. Blanc tout autour. Et très grand froid.
« Ne frotte pas tes yeux, des cils pourraient rester collés sur tes doigts « .

Là où les courants se croisent, au bord du fleuve, on marchait. Vagues suspendues. Gelées. On marchait, écarquillés.
La nuit, le brise-glace le long du St Laurent. Ses lumières.
CdeC

ou c’était manger puis appeler puis ranger puis nettoyer ou d’abord appeler puis se doucher ou se doucher avant de manger et ranger ou c’était s’étirer et respirer avant de manger puis se doucher et partir ou c’était répondre et écrire après ranger mais avant s’étirer et respirer puis appeler puis nettoyer et  ou manger et partir ou c’était avant-hier ou semaine passée ou même pas tout ça avant après ou même pas moi ou même nulle part ou jamais ou zut tout m’évapore loin pfff. ClE.

Dans le premier carnet, une note « Ce matin j’ai joué à la balle avec mamie, après j’ai regardé les grenouilles cachées sous le lavoir ». Ce contentement-là, cette satisfaction limpide valaient la peine d’être consignés. La vie n’était que ça, pleine de seulement ça ; le carrelage frais, l’odeur de cire et de pâtisserie, le silence de sieste, la clarté de l’air. Le vent marin chatouille les feuilles du figuier. Ce grand calme, cet énorme calme. LD.

« Vous autres » allait avec son parfum (eau de Cologne du mont Saint Michel) et les petites boucles d’or suspendues à ses oreilles roses et fripées, comme si /vous/ pouvait être autre qu’un autre. Elle l’a dit avec l’assent, un o ouvert comme son cœur, elle était donc pour nous otres la maison dans la pinède sur laquelle lorgnaient selon elle les neveux de son mari, elle avait le sens de la tribu, nous otres, c’étaient pas les «estrangers du dehors ». CP.

Un sourire qui ponctue la conversation. Une invitation dans cette rue animée aux enseignes criardes. Nos deux corps plantés là et ces passants qui nous frôlent sans un regard. Il fait froid malgré le vin qui réchauffe. Et déjà cette amie qui s’éloigne avant de prendre conscience de l’appel. Trop tard. Penaud, une volée de marches puis refuge dans un sommeil amnésique. XW.

Les journées tard dans les villes, aux heures d’après minuit, les rues d’alcool, de corps, de gestes. Les journées tard dans les villes, la nuit basculée, les verres toujours pleins, et les corps qui s’énervent de faim. Les journées tard dans les villes, les lumières évanouies, les respirations retenues, l’écarquillement des pupilles, et le sonore de la nuit plus coupant et plus feutré. Les journées tard dans les villes, le noir à apprivoiser. CS.

Bottes trop grandes. Je les vois en-dessous de moi, avancer quand mes pieds glissent dedans. La pente est raide, l’herbe boueuse. Ça fait un moment qu’on monte là. Elle me tire par la main. « Arrête de chouiner, et si t’as faim, eh ben mange ta main et garde l’autre pour demain. » J’essaye d’imaginer… c’est absurde. HG.

Le sol carrelé noir et blanc, d’une matière mate, presque moelleuse quand on posait le pied dessus. Un parfum anisé, du velours sombre quelque part dans la pièce. Des murs nus dans un décor baroque, un texte manuscrit de Cocteau sur l’opium. Le visage de l’écrivain dessiné d’une ligne, punaisé à même le mur. Les volets entre-ouverts en été, le tintement des rideaux de perles dérangés par la brise et les images de la télévision muette pendant la sieste. IG.

Ma chambre d’enfance. Pas réellement une chambre d’enfant, je ne me souviens plus du papier peint, ni paysage, ni personnage. Mon lit une personne avec son cadre en bois rayé par une colère oubliée, mise en scène de poupées, des Comtesse de Ségur, un carnet chinois où les histoires s’inventent, pages 100 fois arrachées avec le regret aujourd’hui de ne pas me souvenir de ma graphie, de mes tournures de phrases, de mes plagiats, du voyage sur la carapace d’une torture sage. IsB.

Odeur qui sature le nez trop-plein qui rend l’écriture nécessaire besoin de s’immerger dans une bulle un endroit de silence un mouvement qui dépose qui repose quelques mots puis d’autres sans rapport brins de rimes résonances assonances différences vagabondages et errances sans queue ni tête le papier reçoit disperse et unifie cependant bâillement mot choisi hésitations gratouillis peut-être ah oui il me semble et non pourquoi pourtant CeC.

Bajoues, gravité vers le bas me rappelle ma mère. La photo se duplique à l’identique : même âge, yeux verts, cheveux châtain, clair, tout correspond, sourire en moins. Le sien éclate, blanc. Le mien, l’ai avalé. Je joue bas. C.G-H.

Quand on relit les notes prises au saut du lit
après un rêve que l’on a trouvé incroyable,
que l’on n’y trouve plus rien d’original
et qu’on se demande même pourquoi on a écrit /ça/
c’est peut-être à ce moment-là qu’il faut écrire. JCB.

J’entends ce bruit familier et rassurant de mon enfance, le son que je perçois derrière la porte, le bruit fait par une source audio, téléphone ou tablette, ressemble aux sons que j’entendais dans le passé. Les personnes qui regardaient la télévision ne sont plus là, mais je ne serai sûr de cela qu’une fois la porte franchie, et à ce moment je remercierai en silence celui qui regarde cet écran, il m’aura offert ce voyage. Il aurait fallu que j’enregistre ces sons qui m’ont fait du bien. L.S.

Quelle table de nuit ? Quel voyage ? Un parking, un port, un bar en bas de l’hôtel, était-ce un hôtel ? Un escalier miteux. Plus de souvenir du logement. Une voiture de location ou notre propre voiture ? Est-ce qu’on avait pris l’avion ? Du soleil, une ville indéfinissable, quelque chose à voir, à faire, juste une étape ? Sur quelle table de nuit l’ai-je oublié ce livre d’Isabelle Autissier, je voulais absolument le lire et le souvenir du titre et même de l’intrigue se dissout lui aussi. Peut-être ai-je refermé la couette sur lui ? ESM.

Très froide et humide la pièce de cette vieille maison où nous avons dormi. Une seule nuit. Je me souviens de l’âtre d’une immense cheminée, mais pas comment nous étions arrivés là. Les flammes éclairaient nos visages, un peu de nos corps et la couche posée à même le sol. Un tapis épais, presque confortable, recouvert de couvertures. Un lit de fortune, le plus près possible de la chaleur du feu. Aucune lumière dans le silence et l’obscurité de la nuit. Une bulle de vie dans un nulle part. P.S.

… juste au bord du réveil, demi sommeil, demi réveil, dans cet entre- deux qu’il est doux de prolonger le matin,  une image, une scène traverse l’apesanteur…  lieu flou… étrange sentiment d’une réalité lointaine et à la fois de quelque chose de vraiment  présent … clairement réveillée, je scrute les bribes , les filaments de cette réminiscence,  aussi légère  que les nuages … pourquoi maintenant … je cherche … je retisse des éléments les uns avec les autres … je me souviens aussi d’autres scènes un peu semblables … des récurrences énigmatiques qui questionneront une partie de ma journée … parfois il me semble reconnaitre, la maison d’une amie, des lieux où j’ai séjourné quelques jours, un dialogue  amical sur les sujets que nous aimions démêler  à l’époque … nostalgie de lieux aujourd’hui inaccessibles,  tristesse d’amies  disparues … des traces  précieuses … j’ai passé une partie de la soirée à écrire l’inventaire des lieux et des prénoms, inventaire qui se complètera au fil de l’eau … A.N.

Pas de souvenir du jour où ma première sœur est arrivée, où mes parents l’ont amenée de la clinique. L’appartement quitté il y a 47 ans, ses pièces très présentes encore. Sensation d’un volume dans la pénombre de ma chambre : le lit cage. Pas de souvenir des au moins trois fausses couches entre ma naissance et celle de cette sœur, de la déception de ma mère qui s’alitait en vain. Sensation de tristesse diffuse liée à cet appartement. JK.

Au moment de se coucher, F. évoque cette soirée de nos vingt ans à la belle étoile sur son balcon. J’ai envie de détails mais je n’ose pas lui demander de peur de repousser la complicité dont s’est paré son sourire à fossettes. C’est comme si elle me parlait d’une autre fille dont j’ai perdu la trace et que je retrouve dans son regard confiant. Sa mémoire pour la mienne. MTu.

fractures urbaines   partition de bitume   brouhaha   artère béante   circulation ininterrompue souterraine et aérienne des hommes dans tous les interstices de la ville   le trottoir livre énigmes   CM.

Cela n’a plus l’odeur du cigare, l’appartement, bientôt refait, dépoussiéré, délivré (le fait d’enlever les livres peut-il se dire ainsi ?) Trop longtemps qu’il est mort, humer, et ne rien trouver, alors essayer de faire flotter à nouveau les effluves qui indiquaient sa présence. C’est impossible de gonfler les joues comme lui, de produire un si gros nuage, Oui un cigare ça se crapote, ma petite ! Prends un cendrier-ses boites de cigare, pratiques, en fer à couvercle, les cendres s’éparpilleront pas. Il ne reste plus que des boites vides et l’odeur du tabac froid qui stagne dans son cœur. MCG.

La rue telle qu’elle était vraiment, sombre certainement, et quelle heure était-il aussi alors que nous rentrions ? ou l’instant juste avant comme chercher à tâtons, les doigts courant, s’arrêtant, le long des visages que l’on a oublié – humidifier la langue, là pour vérifier sans le vouloir si le goût désagréable de l’alcool au ginseng y est toujours resté, plus de dix ans après. L.DP.

Découverte ravie du trio n°1 de Rachmaninov, sa discrétion presque fragile | me demande comment le chef de l’orchestre Rameau a trouvé Paumée pour me remercier | souvenir du premier suicide de l’Europe et des rares mots discrets de mes anciens, effroi, tendresse | le ciel s’annonce lumière | entreprendre lecture du premier jour du grand carnet, pas un d’indifférent, me bouffe mon temps mais saute trois qui dépassent outrageusement limite | vie s’éternise trop et temps manque. BC.

Un mois de janvier qui s’éternise. L’avion de 6 heures du matin. De corneilles plantées sur le parvis d’une église devant un groupe de vielles personnes qui regardent s’éloigner le corbillard. Un ciel coton sans trouée, enrobant. Noté cette phrase d’un écrivain : Bien qu’un peu ivre, je sortis avec la gaucherie d’un homme nu. Un soleil plein pot sur le pelage d’un chat siamois, tellement qu’on dirait une hermine. SyB.

Une forme arrondie. Les traits sont flous les chercher un à un. Un front. Un nez peut-être. Une bouche. Un profil. Rien ne vient. Ne subsiste qu’une impression, une unique impression. Emerge des anciennes années non pas un regard, mais la sensation du regard sur soi porté par un visage sans traits, vide, absent. RA.

Sans doute très grand, un carré plié en deux, cachemire pas sûr car dans le vieux petit film de l’entre-deux-guerres elle danse avec dans un jardin … jeune fille pendant la grande guerre, jeune mère pendant la seconde… Le châle, un grand abri souple et doux qui tourne autour d’elle… et me voilà, quelques années après la fin des combats : ma grand-mère paternelle a posé son châle sur un fauteuil… elle ne le porte plus… j’ai sept ans peut-être, je m’enveloppe dans le beau tissu frangé, je fais comme elle… elle me surprend, sourit  me donne la main en marchant dans les feuilles mortes, disparait un an après…Ch.E.

La nuit, je marche. Dos calé contre l’oreiller, le sol crisse sous mes pieds : Goût d’oseille au potager. Porte de la maison de Robert avec sa mère, sa soeur et son père mort. Esplanade du foyer de la Roche Arnaud, séparée du précipice par un muret de pierres. Vertige. Soudain retour dans la nuit de ma chambre. Me concentrer à nouveau. Repartir : Odeur du plancher gris, lavé à grande eau. Courir et franchir sans la toucher la porte western qui mène à la cuisine du foyer. Ça sent le bouillon. Une porte vitrée ouvre sur la colline. Retrouver les champs, agencés en patchwork comme une couverture. Le coucou chante les heures dans le bon ordre mais mes pas échouent à relier esplanade, potager, maison de Robert, colline… Le précipice a tout avalé. Seuls, subsistent quelques lieux refuges, à partir desquels je tente de redessiner un paysage. FG.

Dans une armoire, le silence d’une photo de mariage. Huit demoiselles d’honneur en robe longue, entourent les mariés, quatre de chaque côté. Le bleu de ma robe, la transparence des manches et du bustier, les chaussures blanches avec une boucle argent. Nous tenons une rose. Je porte des gants. C’est la plus jolie robe, confectionnée sur mesure pour un autre mariage où j’étais témoin de la mariée. Je ne sais pourquoi, je pense au pain doré, aussi appelé pain perdu. Ma robe est perdue. MM.

Le froid du souvenir du froid indissociable de la file d’hommes attendant l’ouverture de l’asile de nuit dans une ville détestée, sensible encore, présent là, ineffaçable, y compris dans le confort privilégié de celui qui peut contempler la mer, s’y apaiser, sans oublier, jamais, ces navires qui réclament un port. UP.

…le visage de Léontine… les odeurs des maisons d’enfance… le visage du garçon dans les vagues de la plage de La Parée… le soir où j’ai brisé la douceur de l’été … le goût du bonbon à la menthe dans la chambre d’hôpital…le silence de la maison… la bibliothèque municipale… l’odeur des livres… la maison d’E. à La Baule… vague souvenir de cassettes éparpillées au sol, d’airs d’opéras… le jardin de Plantes à Nantes de ces années-là… mon premier voyage en train avec ma grand-mère… EM.

     présence        dans le souffle de mes pas          ta présence       
la lumière indéfinie du boulevard       à la fois douce et contrastée      
       cette atmosphère d’enfance         ma main dans la tienne          au retour
de nos promenades          les trottoirs aérés          mon corps de trois ans et ton corps de grand-mère Reine
         avançant             les grands arbres           l’odeur de la pluie          si loin        si près        MuB

Cousine Mimi ? Mais si, rappelle-toi ! En vacances ! La vieille ferme au-dessus de… Trou noir, puis un vague souvenir d’une montée de colline, campanules, œillets, insectes bourdonnant dans le soleil, clocher pointu d’une église… la cour de ferme, odeur âcre de fumier, cochons en liberté, poules qui caquètent… cuisine sombre, bancs en bois dur, une omelette géante qui grésille dans une mare d’huile sur le feu, ma sœur écœurée par le fumet… Mais la cousine Mimi est restée enfouie dans le passé. MEs.

Je voudrais voir l’image de sa main, ce soir. Je la verrais presque, levée lente dans la lumière, les doigts peine écartés, légèrement arrondis, son manque de beauté. Il n’y a presque rien qui manque. Tout manque. J’ai vécu des jours près d’elle, j’ai mangé ce qu’elle avait pétri, jamais frôlée, jamais étreinte. Je ne l’ai jamais vue dessiner. TM.

…  quoi deux syllabes ou plutôt la même répétée… pas comme une désignation mais un appel qui toujours m’étreint… le son est né comme récit… XGu.


Je suis en pleine conversation avec une amie. Soudain, alors qu’elle parle, un visage surgit, à peine aperçu et déjà enfui ; intuitivement, je sais qu’il vient du rêve de la nuit précédente. Image volatile furtive que je ne peux ni fixer, ni reconnaître, je voudrait la retenir, mais j’ai beau m’y accrocher, elle me file entre les doigts. Vivement la nuit prochaine… MC.

Je me souviens le ciel vibrait de mille couleurs la forêt s’éveillait les branches des chênes retenaient nos cheveux griffaient nos mains les coulemelles embaumaient nos bras se nouaient sur nos épaules nos bouches se dévoraient­ — je n’entends plus le son de sa voix je ne revois plus l’exacte couleur de ses yeux — le voile s’épaissit, espace vidé exsangue, jusqu’à son départ définitif sans mots. Ébranlement vide silence cicatrices à vie. J’ouvre les yeux. Plaies à vif sur l’Ocean Viking. HA.

Elle roulait les r comme son minuscule chignon gris, de la taille de mon poing d’alors, et corseté par de fines épingles. Il paraît qu’il enserrait la plus longue chevelure du monde. 

L’ai-je fait ou seulement rêvé ? Qu’importe, je la revois par l’entrebâillement, assise face à sa coiffeuse marbrée, ses cheveux libérés tombant jusqu’à la ceinture de son tablier, encore entortillés par leur forme contrainte. Je m’approche sur la pointe des pieds, saisis la brosse des deux mains, et la peigne doucement jusqu’à la fin des temps. ASD.


D’abord cette odeur enivrante, tenace, de goudron frais et de café brûlé. Le terrain vague, sa longue palissade de béton qui nous sépare du monde. Derrière, la mer de conteneurs, infinie, je le sais aujourd’hui. Mais nous, les petits, n’avons encore rien vu. Les grands nous aident à grimper sur le toit. De ce que j’ai vu, plus aucune image. Toujours en moi l’excitation de ce qu’elles suggéraient, quelque chose doit advenir, nous ne savons pas quoi, nous nous lançons à sa recherche. JH.

Je ne retourne plus sur Chalais. Impossible, rien ne vient. Il manque pourtant quelque chose. J’attends. Quoi ? — La chambre d’hôpital. Va savoir si tu y étais vraiment. Tu parles de l’escalier, donnant directement sur la chambre, la porte. Impossible ! — Bien sûr ! Peut-être. Mais le réagencement de l’oubli dans le souvenir dit que. Escalier, chambre, porte entrouverte. Le nez. — Et alors ? tu as poussé la porte ? tu as passé la tête ? et tu as vu… ? dis… ? — Rien. Pas vu, pas dit. Rien écrit.
(Chalais, en /x énigmatique/ de la ville, du travail, de la structure et de la maladie.). WL.

L’hiver et son petit jour gris entre deux nuits, le vent aux flancs des montagnes, l’odeur de la biscuiterie industrielle sur la ville : sucrée, douce, peut-être un peu caramel. JC.

Mouvement du poignet qui tourne le fouet à main dans la casserole pour mélanger lait et farine. Sauce béchamel, ne pas faire de grumeaux.
Corps droit devant la plaque de cuisson. Posture des femmes dans la cuisine. 
Je revois l’autre fouet, celui qui faisait du bruit : le batteur mécanique. 
Tourner la poignée en bois pour actionner la roue dentée qui vient s’emboîter dans l’axe cranté et enclenche par sa rotation la danse frénétique des fouets métalliques.
Cliquetis d’engrenage, parcelle d’atelier dans la cuisine. Cli, cli, cli, ,clic, clic…
Montent en neige les blancs d’œufs. C.G.

Alors rien. Rien ne reste. Comme si les souvenirs avaient été de longtemps convoqués, ratissés et que lisse comme la main était  la table où on les cherche. Lisse comme la main tiens voilà le début de la liste, expressions dont on ignore qui nous les a transmises. Il y a aussi des comptines chantées souvent et pourtant disparues. L’une d’elles a refait surface il n’y a pas longtemps au début d’un film d’Alfred Hitchcock. Marny je crois. Il est question dans la comptine d’une jeune fille à marier et d’un jeune homme qui est son préféré. Je pense que nous devions dire des noms d’enfants et que les intéressés protestaient bruyamment. RC.

Une rondelle de citron. Carolina Herrara pour homme. Le tabac froid. Un feu de bois. Le brouillard. La résine de pin. L’essence. L’herbe coupée. Un morceau de gingembre. L’humus. La menthe. Le pain grillé. Un cabinet dentaire. La rouille. Ma maison. L’iode. Ma fille. Le bois de santal. Les pages d’un vieux livre. La cire des meubles. Et le monde. Odorat absent. Lointains souvenirs de ces milliers d’odeurs perdues. Les garder en mémoire à défaut de les avoir. Définitivement. SL.

Journées de banlieue napolitaine à la recherche de l’éclat de la mer au-delà de la ville. Urbanité voluptueuse dans sa continuité, village après village, immeuble après immeuble, magasin après magasin, sans fin je me projette dans cet éclatement.
Odeur d’eucalyptus dévalé par le ciment armé.
S’éteindre dans la nuit des feux artificiels, dans la secousse des explosions. APP

Cela et rien d’autre, entre les mains : jour de rentrée, la première fois dans la salle de classe, et l’enfant qui se balance sur sa chaise contre le mur du fond, qui regarde de droite et de gauche et rit de toutes ses dents dont les deux de devant ne se touchent pas, se laissent de la place. Autour, des visages flous, planètes dérisoires. Toujours cette même image – sans cela, pas d’écriture – plus d’écriture après cela (ce que je crois). CLG.

« Qu’à poncer le sol, ces tomettes ocre-rose, on restaurerait la couleur perdue. Un nuage de poussière s’insinue. Ce sol poreux aux nuances diffuses c’est toi qui l’avais décidé. Dans la maison, il y avait un plancher et de la terre battue. Avant. Battre la terre; se faire battre. Tes pieds nus orteils rougis sur les carreaux gardaient le gel des marches en sabots dans la neige et la cicatrice au talon de ta blessure ancienne. Tu aimes marcher pieds nus. Tu aimes les tennis américains. On ne laisse pas partir un mort sans chaussures. Tu reviens les pieds nus. » NH.

Hier soir, le bateau quittant le dos lumineux de la rade s’est enfoncé dans la nuit. 
Papi déchargeant l’arme du lieutenant à côté, enlevant les bottes pour sortir du trou et courir sur le sable puis couché contre la coque cette fuite en flottant, et surtout le silence.
Je pourrais conclure un livre comme ça, sur la même mer, mais le silence fini maintenant, mais je suis incapable de vérifier si j’ai vraiment tout perdu dans le disque dur,  et il n’est plus là pour me raconter la scène.

Le plus petit de mes carnets de voyage. Quelques centimètres de long. Un centimètre de large. Une trentaine de pages. Perdu depuis longtemps. La couverture cartonnée peinte de la couleur des feuilles d’automne de la forêt proche. Sur les pages griffonnés les noms des lieux visités. Des aquarelles lilliputiennes. Des dates. Des brins d’herbes et fleurs séchées. Une page colorée avec la terre locale. Des pages blanches jamais complétées. Sans doute d’autres choses. Oubliées. Iva.

Dans l’entrée de l’appartement, le dimanche soir, elle, qui enlève ses chaussures. Elle a de longs cheveux noirs, je crois, et elle pleure sans bruit. Elle essuie les larmes sur ses joues et retient les sanglots. Elle, dont le visage et la silhouette, se confondent avec la photographie de la femme sur le carton du sèche-cheveux, celui rangé soigneusement dans le meuble orange, dans la salle de bain de l’enfance. CB.

Pas dans ceux de ma grand-mère (chausses noires, robe noire, sarrau noir avec minuscules violettes parsemées). Qu’est-ce qui m’accroche à ses pas, à sa silhouette fine et désarticulée par les rhumatismes ? Tube d’aspirine (blanc sur vert) à portée de main. La longue table. L’odeur des desserts. La vieille cuisinière en fonte, le four tapit dans les reins du foyer toujours chaud. Le lit rapporté dans la grande pièce, espace clos de rideaux, intime, inviolable. Cet affairement autour des desserts. Pas de baisers. Les injonctions qui glissent sur moi. Un relief de senteur (touche piquante d’un savon de Marseille, effluve de lavande dénaturée). Une attente d’elle sans savoir quoi ? Un plaisir d’être dans un univers calme. Le creux du cyclone avant de retrouver la spirale parentale dévastatrice. MaM.

Feuilles de platane semées en pas japonais sur le trottoir. Rousses, raides, sèches en attente d’un souffle pour se blottir l’une contre l’autre.Tapis orangé aux motifs parcellaires de jaune, de vert, de rouge de la cour voisine.
 Image d’une allée, si loin, si loin, jonchée d’un extraordinaire amas de feuilles en tapis moelleux. Une petite silhouette, au contentement radieux, avance, pieds invisibles, les trainent sans doute … emportant des sons et des odeurs d’automne. ES.

Ni vin, ni cigarette, mon corps les appelle et les rejette. Je me souviens rarement de mes premières rencontres. Des jeux de mots et des textures. Je peux rattacher chaque bonbon à un lieu précis. Les coquillages, leur relief dans la main, le creux qui épouse la langue, le goût familier du sirop des jours où on a été malade, la boulangerie à l’angle, au pied de la large rue en pente douce illuminée par l’automne, je dois avoir trois ans, l’industrie a breveté les mémoires. TH.

Les lignes de ma main. Ma main de toute jeune collégienne dans sa main à elle. A ses yeux clairs et à sa longue robe indienne, j’avais accordé toute ma confiance. Le regard plongé dans ma main, elle me parlait de mon avenir. J’ai bu ses paroles, elles m’ont animées le temps d’un été, un été formidable. J’aimerais tant me souvenir de ses mots. AC.

L’eau qu’on a fait bouillir, la peau qu’on lave au savon, qu’on rase et arrose de Betadine, le bruit du bistouri qui entaille le cuir, le silence, l’incroyable beauté des viscères luisants, dernière entaille, une tête encapuchonnée de lambeaux gluants, on tire, le corps est là tout entier, un coup œil sur le sexe avant de bouchonner, lui recoud les couches une à une, espérant que la nature fera bien les choses après lui. Sur son front, une goutte de sueur. DGL.

peut-être ces voix me rassuraient comme d’autres moi-même, toutes témoins des mêmes histoires, kaléidoscopes de timbres proches et bienveillants… une seule voix affectueuse estompait celles plus graves, d’une douceur chuchotée caressant mes yeux voyant soudainement dans les phonèmes les cachalots éventrés sur la plage rougie, les Indiens brandissant leurs flèches de l’autre rive du lac pour avoir profané leur sable scintillant… récits évanouis… petit format  d’un phalène à l’aquarelle sur une table de nuit MS

Si loin, si loin, sous mes lèvres qui l’effleurent, la peau de la joue de ma mère. À peine une surface de contact et l’odeur subtile, ténue, de la poudre de riz. Fugace douceur AM.

Il venait, il disait quoi, poussait quels cris ? Ses mains rêches, son sourire, sa gentillesse malgré les cris, et la mémoire, la sienne, qui aujourd’hui ne sait plus : mercredi ? samedi ? Ce nom aussi : le Pounana. VF.

Extraire du temps qu’il reste à partager, des fragments d’accroche pour mémoires mouvantes, qui flanchent, se renforcent en enfance, oubliant presque instantanément le tout proche présent.
Vagues et ressac mémoriels sourires tentant de cacher les failles de l’oubli à coup d’intactes données chiffrées.
Errements mnésiques éclipser même des pans de vie entière 
efface-souvenir Tes petits-enfants, parfaits inconnus : incompréhensible et insistante présence, chassés d’un revers de main. SG.

La voix de mon père sur le message du répondeur automatique, effacé par ma mère après sa mort et avant que j’aie pu le sauvegarder. Le message commençait par « désolé ». Ce mot qui colle à la vie des pauvres, les riches ne s’excusent que si rarement. Je me concentre pour retrouver la silhouette de sa voix, et puis le reste de cette phrase sans doute convenue. Rien. Comme un papillon épinglé dans sa cloche de verre et dont il ne resterait que le thorax. PhP.

«Le parfum tue le parfum, et sort le loup.» Parole enchâssée dans le sommeil, qui émerge à l’aube et y reste entêtée. Jusqu’à se dérouler devant moi en lettres fortes, tandis que je m’habille, prend le café, commence la journée. Ça parle d’un meurtre et d’une apparition, d’un animal et d’une odeur exquise. Venu d’un conte ? Loup y es-tu, Il y a un loup, Loup dans la bergerie… D’un récit de vie ? De la mienne ? La benne à ordures, dans la rue, vient à ma rescousse. Voilà plusieurs années, ce mort bien mort, trop mort peut-être, dans cette salle où les roses surabondent, yeux fermés énormes, joues crevées, visage terriblement allongé, reposant tel une statue de pierre, un gisant, oui, on pouvait croire à un gisant de pierre, tant la peau est grise, si ce n’est, dans l’air, le combat côte-côte entre exhalaisons florales et putréfaction montante, persistante pestilence, lutte où elles finissent par s’unir, remugle et crescendo, en un duo puant. SyS.

Sur lavabo, bouchon de parfum, depuis longtemps invisible, ce matin fleur dessinée (coquelicot, pavot?) appelle image, éveille odeur, nom odeur, shampoing à la pomme, j’ai quinze ans, capuchon vert pomme, odeur puissante, nouvelle, robe d’été, longue, lin blanc, larges carreaux mauves, col coton blanc brodé, nom associé, René Derhy, fillette modèle, trop tard, fillette ne suis plus, dans robe, honte. Le noter appelle zeugma hugolien. Un parfum et c’est Booz qui vient. BG.

Il fait froid sur le quai 
Mais pas aussi froid que …
Qu’en novembre.
En novembre ça pique parfois.
La brume au bout du quai.
Les rails disparaissent dans la mousse du gris du ciel de la terre qui crache son eau.
L’eau gelée
D’un bief
En Auvergne.
La petite siberie on l’appelle.
La haute loire
Dormir en caravane avec un bonnet. 
J’ai un bonnet d’Equateur 
la Yourte qu’ils m’appellent.
C’est il y a 20 ans je crois.
Il y a de l’amour et … du doute, de la peur, de l’inconnu. Dès qu’on s’approche la brume s’envole dans les phares de la voiture.
AL

Tard ce soir je ne reconnais pas son visage. Long voyage, train de Florange à Paganica, aucune trace. Juste, souvenir du noir, la porte s’ouvre sur la salle éclairée par flamme de la cheminée, ou le vieux lustre peut-être, plafonnier, une lumière diffuse, je ne reconnais pas cette maison. Entre deux pays, deux histoires, l’enfance. TdeP.

Dans la maison, le parfum de miel des coings murs que je viens de cueillir, en écho celui des gelées passées et à venir. Et ce souvenir vague, un arôme de jasmin, en un été lointain, dans un petit village grec.

C’était une grande place. La traverser, je m’en souviens, fut une épreuve. Une chaleur accablante tombait du ciel, faisait vibrer la blancheur des maisons, exaltait les odeurs et celle, entêtante du jasmin dont les longues pousses et leurs grappes de fleurs blanches montaient à l’assaut des façades. J’étais envoûtée par cette force végétale, sa puissance, émerveillée par ces étoiles de parfum. ChD.

Je n’entends plus sa voix, devenue image. Je la vois, la vis en mots, mots n’entendent pas. Comme si la langue s’était approprié le réel, mon grand-père souvenir. Je n’entends pas sa voix, mais je saurais la dire. Il me revient, silhouette courbée, présence de fenêtres. Depuis, j’ai l’amour des fenêtres, nécessité de ciel visible. Il ne me regardait ni n’écoutait. Plus tard il s’intéressera à moi, j’existerai. Je me répétais, sans arriver à l’accrocher de mes yeux qui le fixaient, impoliment commentait ma mère. GB.

Les feuilles de chêne ont un côté qui accepte l’eau, qui la laisse s’étendre sur toute sa surface, la recouvrir de brillant. L’autre côté s’obstine au mat. Les gouttes y restent gouttes, elles n’entreront jamais. Hydrophobe, imperméable. Il y a un autre mot pour ça, un mot qui ne te revient pas, que tu ne retrouves pas. Qui est portant là puisque tu t’en es déjà servi de ce mot. Tu le connais tu sais qu’il existe. Et il reste caché et toi tu cherches et pas moyen. Et tu ne veux pas de la mémoire qui part, pas l’oubli qui efface. Pas l’oubli, pas lui, pas déjà. JD.

Venelles. Les entrées par les failles dans les façades. Des passages secrets. Retrouver les passages les parcourir de mémoire. Pour réaliser une carte. Au début le jardin et l’arbre à coing. A la fin le jardin et les sept nains. L’origine c’est un arbre. Un baobab. LT.

 une image persistante. une friche comme un jardin déployé derrière cette façade somptueuse. on s’avance. on évite de marcher sur le verre cassé . on évite les ornières. là-bas, un escalier. 9 marches. attention les planches vermoulues, ici. en apesanteur. en haut, plate forme, les dessins sont posés sur de larges surfaces de bois. on est plusieurs. on est un seul. on s’aventure. ME.

Un alignement devant un mur, une comptine, quelque chose qui en s’approchant de cet objet prend du sens parce qu’on marche vers, parce qu’on cherche à comprendre, le sens d’une vision, parce qu’au départ cela intrigue, parce que c’est une surprise, parce que c’est encore peuplé de quelque chose et ce quelque chose c’est peut-être un récit mais – si on ne le sait pas encore,  un contenant qui pourrait servir plus tard, quelque chose de trop grand pour nous qu’on n’ose pas cueillir des yeux… quelque chose qui nous fait signe, peu importe quoi d’ailleurs, ce qui nous appelle à avancer vers, à projeter, que l’on ne croit pas être pour soi. C’est ce pour soi qui est important, ce petit trésor, ce miracle cette merveille : un présent du soir qui tombe, un poème entre chien et loup, pour le loup : on dit « convoquer ses souvenirs », c’est-à-dire reconstruire, le bruit du pas dans le sentier, sa respiration, le monde tout autour. L’objet secret, le mystère, ce qui ne se dévoile que pour soi dans l’entre-deux du jour tombant. Ou bien le contour d’un personnage, – une tonalité de gris dominant, un personnage en train d’essayer d’exister sur une toile déjà bien avancée, un personnage dont l’auteur cherche lui-même les contours, le personnage ne nous regarde pas, il est assis , il est resté dans la mémoire comme étant « La dame assise ». Cette dame a disparu, je n’ai pu la garder – elle s’est envolée dans d’autres mains… Et au fait, ses mains ? Y avait-il une difficulté à peindre ces mains ? quelque chose présentait une difficulté et il me demandait :  et comme ceci ? / et non! pas plutôt comme cela ? / Qu’est-ce que je voyais….. ? IdeM.

Saint-Bon. Ou Bond ? La tarte aux myrtilles. Toujours vous deux — pourquoi n’était-elle jamais de ce coup-là ? — Un bord d’eau. Tu lèves à peine les yeux. La tarte. Ça devait être beau autour. Familier. La montagne. Le lac… Il aimait probablement ces moments, seul avec toi. Il était toujours gentil. La tarte et tout… Mais la terreur était incrustée en profondeur, comme la crasse des pubs pour la lessive. Tu ne levais pas les yeux. Le bas de son visage, la vilaine barbe grise, à peine te restent. EC.

Le trajet commençait au portail en bois bleu foncé du jardin, entre ses deux piliers de pierre. Il se déroulait le long de la grande place, avec les maisons blanches et les ardoises grises. Sans doute traversait-il le boulevard des Déportés. Ensuite ? Allait-il vers le fond, à gauche, en oblique, vers le coin d’une autre place, un peu semblable à la première ? Il pourrait y avoir eu des haies à cet endroit-là, des haies de troènes très verts, mais après ? Comment arrivait-on aux grandes grilles de l’école ? VP.

Une odeur d’œufs, de la javel par-dessus, mon grand-père appelait cela l’odeur de chien mouillé, mon chien dans mes pattes, l’odeur est forte, elle est sale, ou alors c’est moi devenue chienne comme dans les Armoires vides, mais mon armoire est pleine, les premières pages, avant de vider les armoires, ou plutôt en attente que les armoires se vident, comme la narratrice qui se sent chienne. LG.

Ses doigts tapotent la toile cirée aux couleurs criardes. Les bûches se consument dans le poêle. Était-ce l’hiver ? La fin de journée ? Elle a la main verte, elle le dit. Elle dit que son épaule s’est déboîtée en jardinant. La chaleur devient étouffante, sa voix se déforme. Ses doigts tapotent encore, je ne vois plus qu’eux. Je n’entends plus les mots qui se noient, les couleurs s’estompent. Peu à peu la chaleur m’envahit. Et puis plus rien. FbS.

C’est un beau bébé, un sacré beau bébé même mais il ressemble à son père. Ce sont les mots de la mère quand elle rentre enfin avec le petit homme de l’orphelinat pour jeunes filles, une maison spéciale où son père a choisi de la faire enfermer pendant quatre mois. Oeuvres Saint-Raphaël Anthony 92. C’est là que l’affaire s’étouffera le temps que la honte s’écoule dans le caniveau, loin de la famille, et surtout loin des ragots du village qui font et défont les réputations des honnêtes gens comme on les appelle aussi par ici. CamB.

1970 , Il insère la cassette,  appuie sur la touche « enregistrer »  du petit appareil récemment acquis ,et débute l’interview improvisé de ses deux jeunes enfants de 3 et 4 ans . Il prononce mon prénom. Ses questions, je ne m’en souviens pas. Seuls sa jeune voix prononçant mon prénom, son espièglerie, sa fougue , son  immense joie résonnent encore à mon oreille .Mon père est né dans les années 30, marqué par la guerre avec son propre  père mort trop jeune,  victime d’une petite  mine  terrestre , ramené au château la tête  enfouie  sous un sac de jute . 23 ans plus tard  mon père a rencontré ma mère, est  chargé  d’une famille qui deviendra nombreuse. Mon père était un joueur, nageur, un  indomptable , il ne se tenait pas sur la rive faisait déjà un avec  le fleuve. SMR

Faire les courses. La sieste. Retrouver ma jupe à fleurs. Arrêter de fumer. Où est mon briquet ? 

Les bras de Papa, pas si souvent eus autour de moi. Son odeur parfois là, et plus souvent lui qui rigole, sans rien dire, à table. Faire un chocolat. La même saveur, que dans une autre cuisine. Le bol vide sur mon bureau, un point imaginaire entre lui et mes yeux qui ne voient rien. Où sont mes clopes ? AF.

fractures urbaines      partition de bitume      brouhaha      artère béante      circulation ininterrompue souterraine et aérienne des hommes dans tous les interstices de la ville      le trottoir livre énigmes   CM  

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12 commentaires à propos de “#compiles #02/40 | si loin, si loin”

  1. je suis prise au piège d’avoir oublié le thème du 2 en route… on s’en sortira
    En fait ce que voulais dire… j’essaie de lire les carnets individuels mais dois picorer et j’abandonne mes essais de commentaires… sais pas faire sauf idioties qui me rendent honteuse

  2. Enfin compris où ça se lit… Formidable source d’inspiration. Compris aussi l’idée que François avait dans la tête. Ahurissants l’amalgane et l’écho. Magnifique.