#nouvelles | Brigetoun

Table des chapitres

1 – mes non-bibliothèques

2 – caresser et acheter des livres

3 – choses perdues – le Cours Saint- Dominique

4 – souvenirs de lectures

5 – la quête

#05 – la quête

Elle avait le goût des lectures à elle non destinées, si possible autorisées, sinon volées ou lues en cachette par morceaux désordonnés, et il y avait dans la cave du nouvel appartement  au dessus de la dégringolade vers la rade cette caisse déclouée mais non entièrement vidée qu’elle avait découverte en descendant chercher, en tribu excitée mère et filles, dans la malle en bois de camphre, une ancienne tunique blanche brodée de perles, vestige de cérémonies anciennes pour en tirer un élément de déguisement | en fait le charme de ces retrouvailles avait fait que la tunique, intacte, avait été rangée soigneusement dans la penderie maternelle | caisse de livres qui n’avaient pas trouvé place dans le secrétaire, la petite vitrine du salon, ni dans le rayonnage plus intime de la chambre des parents, livres qui donc étaient sans doute confidents anciens du père et qui faisaient de cette caisse un aimant auquel elle cédait en lui rendant visites exploratoires dès que l’appartement était pour une durée prévisible en vacance d’autorités autres que celle de G3 (la troisième à porter ce nom partagé entre mère et « servantes » mais plus que ça, la moins importante ou la plus) l’indulgente chérie qui se gardait bien de ne pas accepter tout prétexte de sortie… visites qui s’étaient soldées par d’ennuyeuses déceptions jusqu’au moment où elle était tombée sur ce gros livre broché que les fouilles avaient déplacé et qui s’étalait, ouvert et aplati sur le fond, couverture absente et fils du dos en partie visibles, livre que, finalement, elle avait remonté dans sa chambre, installé derrière les chaussures en bas de l’armoire en pitchpin, qu’elle sortait de temps à autre pour assise sur son lit et un cahier prêt à le recouvrir, y picorer, fascinée par les premières pages incomplètes qui prétendaient chercher l’étymologie du mot désignant l’animal monstrueux, prétexte et héros de l’histoire tragique, ou par les pages qui se voulaient scientifiques, par certains chants de gaillard d’avant ou de chasse, par des envolées poétiques plus que par l’histoire et même la philosophie qui prétendait s’y deviner.

D’autres centres d’intérêt sont venus, elle s’est écartée du noyau, la famille a déménagé et il semble qu’à une date oubliée ou inconnue faute de l’attention dont il était privé depuis tant d’années, le livre ait disparu du bagage familial et même des esprits, si bien que lorsque, une allusion à l’histoire qu’il contait ou à cet animal quasi mythique qui était un de ses héros étant venue au détour d’une phrase dans une conversation bien des années plus tard, elle a évoqué le bouquin dépenaillé personne ne semblait même se souvenir de l’avoir vu un jour. Est-ce cet abandon ou le fait de passer visiblement une fois encore pour une fabulatrice ? le désir de retrouver ce livre, de le relire, lui est venu… livre trop ancien pensait-elle pour qu’une édition récente soit disponible et le fait est que si, dans la première librairie dans laquelle elle est entrée à Bougival en sortant de l’appartement paternel, la vendeuse consultée lui en a proposé deux éditions différentes elles venaient toutes deux, fort expurgées et débarrassées de ces pages inutiles à l’action qui étaient justement ce qu’elle désirait, du rayon de « littérature jeunesse »… et puis elle a oublié ou ce désir s’est fait de moins en moins présent, rangé dans une petite case reculée de son cerveau, revenant simplement de temps à autre lors de promenades-fouilles le long des quais et des rangées de bouquinistes, dans les solderies de livres ou au rayon occasions des poches chez Gibert Jeune.

D’autres années sont passées dans l’oubli de ce presque besoin de relecture. Quand elle cherchait des livres pour des adolescents amis, il ne figurait plus dans les rayons jeunes (ni adultes) de la Fnac… et elle n’avait pas établi avec les librairies les relations de familiarité nécessaires à des promenades-fouilles épisodiques. En passant devant l’antre d’un bouquiniste chez qui elle n’était jamais entrée, le fin couloir circulant entre des murailles de livres qu’elle devinait derrière ce qui était plus cloison vitrée sur la rue que vitrine étant dissuasif, elle est restée immobile un instant, discutant avec son jeune ami et ses yeux sont tombés sur les deux cartons déposés sur les dalles de la rue, l’un pour quelques livres offerts à qui en voudrait, l’autre pour ceux qui étaient soldés à un euro symbolique indiquant un semblant de considération, elle a repéré dans les soldés le titre sur la couverture très colorée qui évoquait un livre « jeunesse » ce qu’infirmait l’épaisseur du bouquin ; elle l’a pris en main, l’a ouvert, a constaté que manquaient les pages d’étymologie, s’est penchée pour le reposer en disant « dommage il n’es pas complet », le vieil homme, assis sur un pliant à côté de sa porte, a relevé la tête… « j’ai un exemplaire en très mauvais état de la première édition française, peu présentable mais complet, il devait venir dans les gratuits mais puisqu’il vous intéresse ce sera un euro…seulement il faut que je le cherche… cinq minutes au plus », mais ils étaient trop pressés. Par contre, comme les yeux de son ami brillaient, après lui avoir précisé que c’était un très bon livre mais plein de flots déchaînés elle a voulu le lui offrir ce qu’il a refusé, tenant à le payer et ils ont repris leur chemin, le grand adolescent portant son butin fripé comme un trésor.

Elle a vérifié et découvert qu’il y avait maintenant plusieurs éditions de traductions complètes du livre, que si les petits libraires ou la Fnac n’en disposaient pas il suffisait de le commander (ou de passer par Amazon en cas de flemme) mais pour que ce désir de remettre nez dans ces pages ne s’évanouit pas à nouveau, pour que son budget livres était encore plus riquiqui que cela, surtout par un semblant de fétichisme, un désir de retrouver cette édition ancienne en un exemplaire aussi déglingué que celui de sa première découverte, elle est retournée chez le bouquiniste, l’a accompagné dans son dédale, a tenu ravie le presque cadavre, le papier devenu un peu buvard mais sans odeur de chou-fleur (souvenir d’un Gaffiot racheté à une ancienne au temps du couvent) et comme son désir avait fait augmenter le prix et que l’idée l’a amusée elle l’a emporté pour le prix d’un Folio neuf, l’a recouvert d’un bout de carton plié sous un affreux papier de Noël envoyé par une bonne-oeuvre, l’a feuilleté, l’a remisé dans un rayonnage, le prend de temps à autre pour un coup d’oeil de quelques minutes, juste pour localiser l’histoire du spermaceti, minutes qui se transforment en une demi-heure ou davantage, sans spermaceti, juste avec les admonestations presque chantées d’un chef de canot.

#04 – souvenirs de lectures

Je me souviens, dans le bureau de mon grand-père, rue du Printemps à Paris, de sa main extrayant d’un rayon, à mi-hauteur des deux hauts rayonnages tapissant le coin entre la cheminée de banal marbre gris, vaguement directoire | à mes yeux tout au moins | et de la fenêtre sur cour, un livre broché à la couverture blanche cernée d’une bande rouge et me le tendant en me disant, « tu peux piocher dans ces livres, mais je te conseille celui-ci, ça devrait te plaire » et ce fut un éblouissement, la découverte de la gourmandise des mots à travers Edouard Glissant au sortir des Mazo de la Roche, Elizabeth Goudge ou des Maurois, des livres autorisés par ma mère ou même des extraits de classiques qui avaient le charme de ce qu’ils ne contenaient pas.. gourmandise qui m’est restée… quant à ce livre « La Lézarde » ne l’ai jamais relu, Glissant si.

Je me souviens des tomettes de la grande pièce boulevard Michelet à Toulon sur lesquelles je m’étais assise pour ouvrir « la Modification » que venait de terminer, perplexe et pas franchement conquise, ma mère et qu’elle m’avait prêté à ma demande | je viens de médire d’elle, en fait j’aurais sans doute dû plus souvent la solliciter | intriguée par une de ces conversations d’adultes aux lisières desquelles je m’incrustais, je me souviens du chemin de fer, je me souviens surtout de l’écriture qui me hissait, comme l’apparence sérieuse de ce livre, hors de la masse adolescente. Je me souviens du désir qui me venait quand j’entendais les noms de Butor ou Robbe-Grillet (pas encore de Sarraute ou Simon) que je n’ai pu assouvir que plus tard pour ceux qui paraissaient en poche… et justement je me souviens d’un des premiers de ma petite bibliothèque avec Butor encore et « le Passage de Milan ». Je n’ai maintenant aucun des deux et ne les ai pas relus depuis des années.

Je me souviens que la vieille édition brochée de mon père qui avait beaucoup vécu, au point de perdre quelques pages, de « Moby Dick » que m’étais accaparée, que j’ai lue et relue, un peu partout jusqu’au moment où l’ai perdue malgré sa taille je ne sais plus quand ; je me souviens de la découverte et de m’être passionnée pour les pages « scientifiques » en grattant mes jambes poisseuses d’un mélange de sable et de sève de pin, assise sur le toit d’un des blockhaus loués à la Base Aéronavale au Palyvestre là où il y a des immeubles vieillissants à l’arrière de la rangée d’immeubles bordant le port,  implantés là où il y avait la mer et un vague projet de port, et j’étais ravie il y a un an de trouver et acheter un exemplaire « en très mauvais état » presque comme le fugitif. 

Je me souviens des couvertures illustrées des minces livres de poche par lesquels j’ai découvert Sarraute et que je n’ai plus, les ayant remplacés, un peu avant de déménager, par le Pléiade, un de mes rares… acquis parce que c’était elle…

Je me souviens que j’ai lu très tard Proust parce que faisais un blocage et que j’avais décidé, isolée qu’étais dans mon univers de dactylos | ça je m’en étais extirpée | d’agents immobiliers, de gérants et entrepreneurs, que c’était un auteur qu’on ne lisait pas mais dont on parlait vêtu de flanelle grise en buvant du thé et écoutant des pièces pour piano de Chopin… Je me souviens que j’en avais petite curiosité mais que j’ai attendu qu’un peu après mes quarante ans un médecin ami de mes parents décide que je faisais une dépression | maigre à l’extrême étais, avec des crises de tétanie | et qu’on m’embarque pour une « maison de repos » à Pégomas pour mettre dans ma valise « Le côté de Guermantes » avec je ne sais plus quel dialogue de Platon en livres de poche, pensant que ce seraient là lectures solides qui me tiendrait occupée et hors de mon entourage un certain temps. Je me souviens que les découvrant dans ma chambre le jeune psychiatre a considéré que j’étais arrivée là, derrière cette fenêtre qui ne s’ouvrait pas, à la suite d’une erreur d’aiguillage et m’a dressé ordonnance verbale de me tenir à distance de mes co-malades navrants, et entre des séances d’intraveineuses pour me rendre forces de faire ami/amie avec les soignants et de me promener, par autorisation spéciale, dans les environs. La lecture m’a pris un certain temps parce que les bords de route n’y étaient guère propices mais a suffi à me faire entrer, en les prenant un peu en désordre, dans le monde des lecteurs de Proust.

Devant les deux premiers de mes rares Pléiade, le tome 1 des mémoires de Saint-Simon et le Montaigne, offerts par mes grands parents, sur ma demande, comme cadeaux de Noël les années de mes 16 et 17 ans, je n’ai pas besoin de me souvenir, ils le font. Surtout le Montaigne que j’ai pendant des années mis dans ma valise de vacancière et qui porte, taches, pliures, brins d’herbe et autres, traces de mes moments d’absence en sa compagnie et je souris en pensant aux débuts de matinées où, à plat ventre sur l’herbe rare d’une Cité Scolaire, route de Montfavet me semble-t-il, où nous étions hébergés avec les Cemea (ne sais plus comment j’en étais arrivée à découvrir la possibilité de les rejoindre) lors d’un festival d’Avignon, je piochais dans sa pensée, ses lectures etc…  en attendant que nous partions avec quelques amis professeurs et un grand hindou ne parlant à peu près pas le français, arrivé là par mystère, chargé d’un oreiller pour amortir le contact de mes fesses pointues et des bancs qui meublaient alors les premières salles du off naissant, circuler entre rencontres, lectures et spectacles.

#03 – choses perdues – le Cours Saint-Dominique à Toulon

Inventaire des choses perdues

— le marabout de l’Amirauté  à Alger

— la villa de La Pérouse/Tamenfoust

— le Cours Saint-Dominique à Toulon

— le terrain de Lamalgue à Toulon

— le boulevard du Littoral à Toulon

— la ferme et le château de Brégançon

— la ferme de Féterne

— les blockauss d’Hyères-plage ou Le Palyvestre

— les Héliades  à Toulon

— la maison de Publier

— le deux pièces de la rue des Saints Pères

— la fenêtre sur le quai de la place Dauphine

Le Cours Saint Dominique à Toulon

C’était près de l’église Saint Georges, en sortant de la ville dans la direction du Cap Brun. C’était un grand terrain avec des bâtisses anciennes et l’ajout de  bâtiments neufs qui avaient transformé cette petite propriété en une école pour jeunes-filles tenue par des dominicaines. Et tant d’années après ce sont elles et les silhouettes des élèves, celles que je n’ai perdu de vue que bien plus tard et les autres, qui priment entourées par la présence flottante des arbres, des murs comme une image qui n’échappe à l’usure des tons, au sépia que par le souvenir de la lumière violente qui y est associée. D’ailleurs elles et nous avons changé, comme a changé le monde depuis presque soixante six ou soixante sept ans… | ne sais plus très bien | quand les ai quittées, elles et la ville, pour aller faire ma philo à Paris dans l’horrible Lycée Molière, lestée de la curiosité qu’elles, mère Marie-André et surtout Françou la radieuse, du moins la voyais telle, avec sa coquetterie qui la faisait se cambrer pouces passées dans sa ceinture de cuir pour mettre en évidence sa sveltesse au milieu des lourdes silhouettes de ses compagnes, m’avaient inculquée et qui avait achevé de m’éloigner du côté religieux de leur enseignement, ne gardant que la gourmandise de l’ouverture aux livres. Elles (qu’importe si elles sont maintenant vraisemblablement mortes) qui toléraient ou faisaient semblant de ne pas deviner mon éloignement croissant de l’appartenance à leur foi et dont j’ai appris un jour, au détour d’une conversation — je n’ai jamais fait partie du groupe des « anciennes de Saint Do » qui se réunissent ou se réunissaient régulièrement, n’étant plus Toulonnaise et ce genre de choses m’étant parfaitement antinomique — qu’elles avaient fait allégeance à la dérive intégriste de je ne sais plus quel évêque et que le couvent avait déménagé, ce qui m’a paru une invraisemblable trahison. J’ai essayé de localiser la longue allée qui nous servait de terrain de course entre des haies, les deux espaces de terre battue superposés qui étaient cours de récréation avec la restanque et son figuier dont nous nous réservions, nous les élèves des classes terminales, les branches près du sol sur lesquelles nous nous asseyions pour manger les figues confites sur leur reste de sucre à la rentrée de septembre, au dessus des allées du potager, les grands et  ingrats bâtiments construits pour être salles de classe | je contemplais en troisième le Faron derrière les vitres hautes pour m’abstraire des cours ennuyeux | sauf les terminales nichées dans ce que l’on disait une ancienne ânerie, sur une cour en contrebas limitée par un banc de pierre sous les arbres et la terrasse ombragée, dallée de rouge, devant l’ancienne maison de maître qui abritait les chambres de la plupart des nonnes, l’administration, leurs lieux de vie, avec dans l’annexe la cuisine et notre cantine, le toit baigné d’une belle brume d’incertitudes… n’ai pas retrouvé mon chemin dans  les rues qui se sont civilisées. J’ai cherché sur Google « Cours Saint Dominique – Toulon » et je les ai retrouvées, elles ou tout du moins une école libre nommée Cours Saint Dominique, plus proche que le pensais, 3100 route de la Roquebrussanne | un de ces noms qu’on ne peut prononcer sans prendre l’accent ou un accent qui s’en rapproche | à La Celle. Alors lentement ai entrepris le chemin sur Street View vers Carcès et le Thoronet… avant d’abandonner, la route est longue, de tricher, de pointer sur l’adresse, de trouver une allée qui part à côté de vignes et qui mêne à un quai de transfert des ordures ménagères et une unité de production de béton prêt à l’emploi… ai poursuivi un peu jusqu’à l’embranchement  vers l’Abbaye de La Celle, le long d’une petite route bordée d’arbres tordus et de broussailles, le Cours Saint Dominique figure sur la carte un peu au sud avec la mention « fermé temporairement », mais la Google-car n’a pas suivi le chemin qui y conduit et je l’ai laissé à sa vie ou non vie, il ne saurait me concerner.

#02 – caresser et acheter des livres

Pourquoi pas vraiment librairies familières

Je pousse très très rarement la porte d’une librairie. Timidité ou refus instinctif de laisser quelqu’un se glisser dans l’intimité de ma rencontre avec un livre. Grand respect à priori pour les libraires les sachants les gardiens mais certitude | me connais ou du moins me connaissais puisque je me corrige | que tout conseil me dissuade. Mais suis attirée par les tables posées devant leurs portes, surtout si elles sont couvertes de livres de poche…. N’étais pas concernée ou ne me sentais pas concernée par la nouveauté; En vérité ne le suis toujours as réellement, me borne à la sympathie pour ceux qui le sont, et parfois à l’amitié curieuse. M’attiraient aussi les tables et rayonnages des librairies de musée (mes livres Beaubourg surtout et des catalogues de la Collection Lambert), du théâtre de la Colline et de la Maison de la Poésie ou les boites des bouquinistes, ces endroits où j’étais certaine d’avoir la paix. Depuis une quinzaine d’années, depuis Avignon ma principale librairie est internet, Amazon le plus souvent pour les occasions, ou pour les livres que la conversation sur le web me donne (me donnait.. veux relire) le désir soudain d’aller voir ce que recouvre tel titre, l’éditeur le plus souvent sûre que je suis que les libraires locaux ne les auront pas..

Un beau cadre

Des tables et vitrines pourtant où trouvais mon miel, occasion ou neuf, et livres de poche bien entendu, mais pas tout à fait ceux qu’on trouvait un peu partout, et sous la garde chaleureuse de belles reliures. Quand n’allais pas visiter les salles de Drouot à l’heure du déjeuner, ni ne m’amusais à dessiner sur l’écran de mon ordinateur, faisais un détour, sur mon chemin vers les galeries du Palais Royal où m’asseoir à la limite de la galerie, sur le sol, les jambes étendues devant moi au soleil du jardin, par la Galerie Vivienne et l’angle entre la branche venant de la rue du même nom et la longue galerie à trésors vers la rue du Faubourg Saint Honoré, fouiller dans les tables au fond, sous la verrière rectangulaire où ils étaient posés verticalement par ordre alphabétique avec juste assez de jeu pour qu’on « feuillette » les volumes en les ramenant vers soi à la découverte des Dickens ou des colloques littéraires chez 10/18 et dans une autre collection dont j’ai oublié le nom « Pauvre Belgique » de Baudelaire, Marivaux en romans, Restif de la Bretonne, d’autres… et la collection de l’Evolution de l’humanité |tous livres qui ont tranquillement pourri dans ma cave et que je regrette | avant de traverser la galerie et d’aller payer le butin du jour au libraire, penché sur des livres de comptes ou autres, à l’entrée de son antre peuplé de livres que je regardais respectueusement derrière les vitres de son local (internet me donne son nom : Jousseaume).

Bouquinistes

Il y avait | je vois sur Google-maps qu’il n’existe plus |près du théâtre de la Bastille l’antre si bourré que j’y entrais rarement me contentant de fouiller dans ce qui débordait sur le trottoir de la rue de la Roquette un merveilleux bouquiniste où j’ai trouvé du mauvais, de l’indifférent et deux recueils de dessins qui à tort ou raison me sont chers | il a son jumeau à Avignon au début de la rue Carnot mais qui sur le trottoir ne dépose que les livres qu’il offre ou solde à un euro | et bien entendu les boites des bouquinistes au début de ma promenade dominicale le long de la Seine, mais quand je voulais chercher des livres je traversais après m’être énervée près du Châtelet devant l’invasion des Poulbot, bérets, mugs tatoués Paris et tours Eiffel, et un grand hangar à livres près de Beaubourg au sous-sol duquel je marchais entre des piles de livres invendus d’où j’ai ramené quelques pépites qui n’existent plus qu’en vague souvenir dans un coin de ma mémoire assortis de souvenirs d’une ambiance souriante.

Une vraie

Pour le plaisir de côtoyer des livres, de fouiner un peu parmi les poches avant que je me laisse avec plaisir, au rebours de mes anciennes méfiances, guider dans mes désirs par les rencontres sur internet vers le besoin urgent de tel ou tel livre plus assurée d’avoir proximité de goût avec ceux qui le conseille que l’étais dans ma vie intérieure et parce que dans mon quartier avignonnais n’y avait que deux librairies d’anciens qui relevaient du rêve et qui ont disparues en même temps que les antiquaires pour faire place aux boutiques de mode déstructurée et onéreuse, ai découvert ici la Fnac | n’étais jamais entrée dans une de ses boutiques parisiennes | pour acheter ordinateurs successifs et appareils photo, ai dérivé vers leur rayon librairie consensuelle et m’en suis, avec petite honte, tenue à elle jusqu’à ce soir où  pour la présentation de deux livres édités par un couple devenu amical me suis retrouvée dans le groupe souriant assis au fond d’un librairie/couloir bellement nommée « la mémoire du Monde », soir qui fut suivi d’autres, où j’ai été conquise par la chaleur des échanges et la gentillesse du couple qui la tenait. Habitude prise de commencer par « y aller voir » avant de chercher où commander le livre pas trop banal que désirais ou pour flâner un peu, titiller ma résistance aux pulsions, échanger quelques mots avec cela ou celle installé.e devant son ordinateur dans l’entrée, et quand j’avais un livre trouvé ou venais chercher celui que j’avais commandé par leur entremise, en attendant qu’elle ou il puisse s’occuper de moi, fouiller dans le casier qui faisait face à leur recoin caisse/ordinateur de l’autre côté de la  porte d’entrée parmi les petits livres de poésie de toutes tailles et apparences… Sottement ai perdu l’habitude depuis qu’ils ont quitté Avignon il y a une dizaine d’années d’y passer, craignant de ne pas trouver la même sympathie pour les deux femmes qui ont pris leur suite et lorsque veux chercher ou commander un livre en « faisant travailler » un libraire j’ai pris un temps l’habitude de « la Comédie humaine » autre adresse avignonnaise qui a souvent une table dans les rencontres militantes auxquelles j’assiste mais ils n’ont quasiment jamais Le livre dont suis en quête, n’ai pas eu même attirance pour eux même s’ils sont charmants et leur belle et grande boutique claire anonymise pour moi les livres et ne leur permet pas d’envoyer les petits messages que m’adressaient ceux qui se pressaient de chaque côté du couloir central de la Mémoire du monde dans les rayonnages et sur les rangées de tables… Il me faut une librairie sombre où les livres prennent presque tout l’espace sous la garde de gentilles personnes pour lesquelles ai un semblant d’amitié.

#01 | mes non-bibliothèques

« Et j’ai semé je ne sais combien de bibliothèques au cours de ma vie » disant cela en passant le long des piles de livres encadrant les petits casiers de provenances diverses entassés et pleins de livres me suis dit que c’était idiot puisque livres j’ai et j’ai eu oui mais de bibliothèque point. De l’enfance, de l’adolescence ne sais plus rien si ce n’est les livres omniprésents pourtant aimés pour l’isolement les rêves qu’ils m’apportaient livres qui me semblent flotter de passage qui pourtant au moins pour certains ont dû être pensionnaires proches un temps dans mon coin qui pour certains les mêmes ou autres sont restés en moi les meilleurs ou non de ces livres offerts et partagés mes trésors ces livres accompagnant la découverte de l’écriture qui souvent se limitaient aux classiques Garnier et aux livres partagés avec ou sans autorisation avec ma mère oui ne sais plus sauf pour ces derniers visualiser leurs emplacements. Me souviens davantage de ceux de Paris… de ceux que j’achetais lorsque pour la classe de philo suis sortie des mains des religieuses et de la fratrie et que j’ai eu quelques sous à moi ne sais ce que j’en faisais où les gardais n’ai souvenir que des rayons tapissant deux murs avec des romans ou livres d’histoire et puis des deux rayons du bas avec les cahiers des mémoires de mon grand père dans le bureau sien où j’avais mon lit d’hébergée ainsi que de la petite bibliothèque basse sous les fusils à pierre et les sagaies avec les numéros de la Revue des deux mondes et les livres de Sade que j’empruntais et qui m’ennuyaient. Me souviens des livres de poche que me permettaient mon argent du même nom trouvés au rayon librairie des grands magasins parce que les libraires m’intimidaient et que leurs possibles conseils m’étaient recul comme tout ce qui était plus ou prou prescription sans pour autant savoir ce qu’en faisais. Rue de Sévigné dans mon premier antre personnel l’invasion des livres et revues s’entassaient au sol et pour ceux que voulais garder m’accompagnaient vers Cholet ma petite chambre sous le toit familial et les deux rayonnages que j’ai toujours fabriqués en belles planches épaisses par mon père qui renouait avec ses ancêtres grand-maternels menuisiers et calfats rayonnages qui m’ont suivi vers l’antre/pagaille de la rue de la Roquette et mes achats compulsifs dans les solderies, les bouquinistes quelques incursions dans des librairies ou plutôt leurs tables extérieures timide j’étais toujours et plus intéressée par les livres de poche pour leur moindre encombrement et mon dédain de l’actualité du livre qu’il Faut avoir lu… le surplus qui ne trouvait place ni sous la planche table basse sous la fenêtre de ma chambre ni dans les rayonnages paternels ni dans les deux achetées en kit et mal montées descendant dans des petits sacs plastiques pour s’entasser dans la cave où ils ont pourri tranquillement. De mon antre me souviens qu’après le moment de plaisir quand retrouvant un peu de force et de tonus au bout de quelques jours découvrant les piles telles que ma soeur venue m’aider les avait disposées en vidant les cartons passé le moment d’effarement ai entrepris puis abandonné de les trier par ordre alphabétique renonçant assez rapidement les alignant sur les rayonnages qui avaient trouvé leur place d’emblée en saluant quelques uns comme des amis oubliés m’agaçant de ne pas en retrouver d’autres qui n’ont pas tous refait surface commandant une haute colonne et au fil des mois suivants quelques casiers au gré de rencontres dans des catalogues sans tenir compte de la teinte des bois guidée uniquement par les dimensions des impulsions plus ou moins explicables l’inutilité de toute intervention mienne pour les monter… et au fil des années qui ont suivi dirai que suis dépassée par la marée décidée à ne plus y faire entrer quelque livre que ce soit…  que les deux ou trois tentatives de classement ont tout de suite été perturbées et détruites par les arrivés prenant place où elles pouvaient ou ne pouvaient pas… que ceux qui sont rangés c’est à dire posés dans un cadre de bois officiel ou même dans un des nombreux casiers d’osier de carton gainé de tissu ou de bois qui sont venus les rejoindre parce que pouvais les porter y sont tant serrés qu’il est pratiquement presque impossible de les en sortir… que lorsque désirant relire enfin je découvre derrière le premier rang ou perdus dans une pile des livres ceux que je ne me souviens plus d’avoir lus ni possédés… qu’il y a tous ceux dont je ne suis pas certaine qu’ils soient arrivés dans l’antre et placés quelque part ou que je crois avoir mais qui trainent dans un coin de mon cerveau semblables et différents de ce que je redécouvre en les relisant quand tombe sur eux. Finalement les livres avec lesquels je cohabite se doublent d’une bibliothèque aussi riche et belle qu’imaginaire recrée de mauvaise et bonne mémoire ou se limitant à des titres et des échos.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

36 commentaires à propos de “#nouvelles | Brigetoun”

  1. « semer des bibliothèques »
    « garder des livres en soi »
    c’est très beau
    et ce grand pan de texte sans « je » sans ponctuation ou presque à part les ponts de suspension qui accompagnent le temps qui file et se rappelle, qu’est ce que c’est réussi. ça donne un rythme incroyable, comme une urgence à se souvenir.
    Merci

    • merci Piero – moi qui n’ai rien lu ! (et ne lirai sans doute pas avant ce soir…même si envie) – pour les mémoires en ai lu un peu à l’époque mais maintenant les cahiers sont aux archives de l’armée

    • ah oui ! j’avais oublié ce film … cla explique sans doute que le nom m’avait quelque chose de familier
      je flânais rue Vivienne et je travaillais rue de Louvois (pendant trente ans environ)

  2. j’adore : « lit d’hébergée ainsi que de la petite bibliothèque basse sous les fusils à pierre et les sagaies » J’aime comme le texte emporte : son mouvement sans contrainte (quelques points pour respirer tout de même) . « que les deux ou trois tentatives de classement ont tout de suite été perturbées et détruites par les arrivés prenant place où elles pouvaient ou ne pouvaient pas » Bibliothèque mouvante qui se loge jusque dans l’imaginaire. Admirative !

  3. Je me régale à vous lire et à constater bien des convergences dans le rapport aux livres, à leur rangement conjoncturel , aux librairies traditionnelles que j’ai affrontées plus souvent que vous, même désargentée à l’âge adulte, aux bibliothèques, et à ce titre votre formulation « « Et j’ai semé je ne sais combien de bibliothèques au cours de ma vie » » m’a beaucoup amusée à cause de son double sens de « semer » (faire proliférer) et de semer ( quitter en courant)…Je partage totalement avec vous l’aversion pour tout ce qui peut s’immiscer entre soi et le livre au moment du choix ( même compulsif). Tout ce que vous racontez « sent le vrai, le vécu » et s’en détache tout à la fois par la force du courant de la vie qui dépossède de tout en sourdine. On dit que chaque lanterne n’éclaire que celui ou celle qui la porte, mais dans votre cas, on peut se grouper autour et méditer sur la trajectoire d’une lectrice. Merci chère Brigitte !

    • merci Marie-Thérèse (les librairies « officielles » ne les fréquentais guère pendant toutes les années où n’avais aucun problème de chevances (guère de temps non plus à vrai dire – sauf nocturnement)

      • chevanches ? mot inconnu pour moi. Les librairies officielles sont donc pour vous celles où l’on vend des livres neufs. Je parlais des librairies traditionnelles ce qui équivaut. Les bouquineries ont aussi compté dans ma vie récente, car elles autorisent la flânerie ou la quête fiévreuse d’un livre oublié ou des auteur.e.s archivés dans les brairies modernes.Il y a ce qu’on voudrait (r)acheter, ce qu’on pourrait acheter, ce qu’on renonce à découvrir par manque d’argent ou de place. L’aléatoire et le circonstanciel ont la part du lion dans la constitution d’un trésor bibliographique dans une maison. C’est là qu’on se fabrique une bibliothèque subjective plus ou moins partagée. Bonne journée !

    • Merci pour Maria Helena, Marie-Thérèse, pour tes commentaires qui prolongent et traduisent le ressenti de celui ou celle qui lit. « chaque lanterne n’éclaire que celui ou celle qui la porte, mais dans votre cas, on peut se grouper autour et méditer sur la trajectoire d’une lectrice », j’adore.

  4. le chemin perdu – mais comme ma tante, vous étiez (disait-elle) « chez les sœurs » – pour Molière j’ignorai…- quant au deux pièces de la rue des Saints-Pères ou la fenêtre sur le quai de la place Dauphine (la »roulotte » de Signoret/montand) il faudra en dire plus (même si c’est, aussi, perdu) (merci)

    • oui les dominicaines m’ont appris à être curieuse donc à sortir de l’église en même temps qiuelles y rentraient
      Molière m’a mise en contact avec la petite bourgeoisie friquée et arrogante
      la place Dauphine c’était 68 et pendant quelques jours vers la fin hébergée pour être plus près de la Fac de Médecine où j’étais censée travailler (en fait j’étais le plus souvent à l’Odéon ou dans les rues mais surtout pas dans le 17° des grands parents) chez les parents d’une amie locataires de Chagall

  5. Marie Thérèse un vieux mot que j’ai adopté, deux sens et le prends dans le second : mais en le détournant (rencontré chez Villlon ou Rutebeuf et mal interprété par l’ado se j’étais, alors m’en moque je garde en pensant  » somme nécessaire pour se procurer » alors que c’est : « ce que l’on possède’

    • Merci pour ce mot « chevanche’ qui est phonétiquement proche de « revanche ». Mais qui n’a rien à voir. Profonde méditation à faire sur » ce qu’on possède », » ce qu’on a acquis  » , me précisez-vous dans un message, à l’heure des inventaires inachevables… Votre style d’écriture ressemble au vol des abeilles, on attend qu’elles se posent pour voir ce qui les intéresse, et bien sûr, on attend le miel mille livres et plus… Faut-il aller le chercher dans le ventre d’une baleine à mémoire sélective ? Le mot « couvent » m’a fait sursauter… J’ai imaginé le pire… Et j’ai entrevu la claustration et la maladie des adolescentes intelligentes (l’anorexie)… Les livres ne guérissent pas facilement les affamé.e.s du sens ou alors il faut en manger beaucoup et les digérer…

      • grand merci Marie-Thérèse…
        en fait le couvent était une école avec internat (mais qui n’avait que quelques internes). dirigé par des dominicaines qui m’oint donné curiosité, gourmandise de sens et de mots (ce qui m’a détournée de leur foi)

  6. (La Modification pointera toujours pour moi vers le Palatino qu’elle empruntait pour aller voir retrouver se disputer avec sa sœur – ma mère) (mais lire aussi en train… pour le Marcel) (merci à vous)

  7. « je me souviens surtout de l’écriture qui me hissait, comme l’apparence sérieuse de ce livre, hors de la masse adolescente.  »
    Oui, entrer dans le monde adulte par une écriture qui élève et nous entraîne vers cet ailleurs que l’on contemple avec de grands yeux… Et comme ces souvenirs sont précieux.

  8. Complètement d’accord avec vous pour Proust ! J’ai la pléiade que l’on m’a offerte et que j’ouvre et je referme au bout de quelques lignes, ce n’est peut-être pas encore le bon moment…
    Merci pour vos histoires de livres Brigitte.

    • mais moi. il y a une cinquantaine d’années que j’ai franchi le pas et que je le lis et relis (par petits bouts au moins la recherche et quelques incursions dans e reste quand trouve sur mon chemin)

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