- J’en ai marre des listes. J’ai l’impression que ça ne mène nulle part.
- Je me souviens de ce jeu inventé, par je ne sais qui (un plasticien célèbre) où il fallait choisir entre deux options, à l’infini.
- Êtes-vous plutôt ceci ou cela ? Comme ci ou comme ça ? Préférez-vous ceci ou cela ?
- Je n’aime pas choisir. Je n’aime pas avoir à choisir.
- Aimez-vous avoir le choix, ou non ?
- Non.
- Pourtant, j’ai aimé les listes. Sei Shonagon, évidemment. Et puis un certain Mabille, que j’avais rencontré chez Heusbourg, dans sa galerie à Nice.
- Il était marrant, ce Mabille. Et son livre, c’était quoi déjà ? Je cherche sur internet : C’est cadeau (2018).
- Peut-on faire la liste de ce que l’on offre ? Comment organiser l’inventaire du désordre de nos objets, de nos organes, de nos émotions ? Arranger alphabétiquement le chaos du monde, comme une façon de trier sans rien jeter. Excéder les limites en mettant l’infini de l’accumulation en marche. C’est le paradoxe des listes alphabétiques : elles créent des hasards, rapprochant des choses éloignées dans l’espace et dans l’esprit, simplement parce qu’elles partagent une lettre.
- Il y a certaines petites choses,
certaines
petites choses,
certaines
petites
choses
dont j’aimerais vous parler. - Qu’est-ce qu’il devient, Heusbourg ? Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu. La dernière fois que je suis passé avenue Pauliani, la galerie était pleine de cartons, mais il n’y avait pas un chat.
- Heusbourg avait deux chats. L’un est mort.
- La proposition 15 me va mieux que la 14. La proposition14 m’épuise. Je n’ai pas fini mais je vais y arriver. On finit ce qu’on a commencé.
- Mais pour finir, il faut savoir ce qu’on veut en faire. Que vais-je faire de l’archéologie de mes textes de cet été ? C’est du moins ainsi que j’ai compris proposition 14.
- J’ai exploré le côté polonais. Le côté socialiste. Le côté chinois. Le côté climatique. Le côté chamanique. Le coté mycètes.
- Tout cela est à moi ; plus exactement, tous ces côtés affleurent au travers de mes textes.
- Tout cela m’échappe et me dépasse, bien évidemment.
- L’autre chose que. L’autre petite chose que j’aimerais dire c’est
- Quoi ?
- Que je suis fatiguée de ce récit maternel qui n’en finit pas de pousser mais n’advient pas.
- J’ai réfléchi à la cause de cette fatigue. Ce récit m’enferme dans un rôle qui m’a fait souffrir.Être la fille de ma mère. Être la mère de ma mère.
- J’y reviens malgré tout parce que parvenir à raconter cette histoire me donnerait l’impression que j’en ai fait quelque chose. Que ce n’est pas un poids mort dans mon existence, une tache indélébile, un échec irrattrapable.
- Il parait que les femmes ne se lassent jamais de parler des mères qu’elles ont, qu’elles sont, qu’elles auraient aimé avoir, qu’elles seront peut-être, qu’elles ne seront jamais…
- Malédiction.
- Je voudrais que le récit donne voix à mon expérience, mais je ne sais pas si mon expérience, ni même le récit que j’en ferai, aurait un effet quelconque.
- Cet été, j’ai lu un bouquin sur les relations mères-filles. La théorie est assez convaincante, mais les exemples tirés de la littérature qui servent à illustrer les concepts étaient en général médiocres, car trop datés, à part celui de la pianiste de Jelinek.
- Bovary et Berthe, Lolita et sa mère. Ce sont des chefs-d’œuvre, mais pas pour la relation mère-fille.
- Comment s’appelait la mère de Lolita ?
- Charlotte est la mère de Lolita.
- Il parait que les femmes aimeraient aussi s’expliquer, ou mieux comprendre la nature des rapports difficiles qu’elles entretiennent avec la fonction maternelle.
- Ce récit maternel me fait souffrir quand je l’écris. Autant que m’a fait souffrir la vie avec ma mère. C’est même pire quand je le revis.
- Je ne parviens pas à trouver la juste distance.
- A saisir mon objet.
- C’est peut-être pour cela qu’il n’y a finalement pas beaucoup de romans sur la relation mères-filles.
- On ne sort pas du documentaire.
- Trente-six ans, c’est l’âge auquel ma mère a commencé à boire.
- Pendant longtemps, je me suis dit : si j’atteins trente-six ans sans devenir alcoolique, alors je ne le serai jamais.
- J’ai dépassé l’âge fatidique des trente-six ans et je ne suis pas devenue alcoolique.
- Je n’ai aucun mérite particulier à n’être pas devenue alcoolique, car je n’avais aucune raison de le devenir.
- Ma mère avait ses raisons mais je ne les connais pas. Cette énigme, je cherche à la résoudre.
- Je fais le pari que la littérature me donnera des réponses.
- C’est idiot de ma part mais j’ai cette foi dans la littérature.
- Souvent, j’ai comprend les ressorts cachés des situations que parce que je les écris ou parce que je l’ai lu quelque part.
- Ecrire, c’est élucider.
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1. RECTO 1.1. Période : 1820-1831 Figures majeures de la période Major Antoine (1790-1858) : officier polonais, participa à la bataille de Raszyn, exilé après l’insurrection de Novembre. Adam Mickiewicz (1798-1855) : poète romantique polonais, auteur de Grażyna et Les Aïeux. Tomasz Zan (1796-1855) : fondateur de la Société des Rayonnants et plus tard des Philarètes, intellectuel et poète. Tadeusz Continuer la lecture #rectoverso #14 | Les Rayonnants et autres archives