#rectoverso #10 | Babudu s’éveilla

il venait de commencer à exister après l’épuisement apparent d’une autre vie qui avait duré vingt-deux ans. Tout de lui s’était écroulé dans une case carrée dans la concession Lykunda, village de Sabi

le lit en était profond, au matelais épais, tout pour confirmer la sensation d’enfoncement et de resurgissement. La case carrée avait une petite fenêtre, carrée elle aussi, juste face à la porte. La porte ouvrant sur la cour de la concession, la fenêtre était l’ouverture vers l’arrière aveugle de la brousse et, juste avant de l’atteindre, la ceinture des champs de maïs à semer

lui parvenaient les cris d’encouragement aux chevaux de labour, les cris de réprimande aussi des aînés aux plus jeunes qui guidaient le cheval pour la première fois. Mais de tout cela émanait surtout un puissant moteur à labourer où la force humaine et la force animale

par la porte arrivait le brouhaha ténu de la vie sociale, intermittente, faite de passages et de salutations

la langue n’était pas encore assez en lui pour comprendre le sens de la plupart des mots mais leur répétition lui faisait sentir toute la dimension rituelle

et puis la rythmique

il y avait au moins deux ou trois pilons résonnant aux quatre coins du village, résonnant avec une étonnante harmonie rythmique

malgré un tel état d’épuisement, la rythmique peut aider à trouver les mouvements pour rouler dans le lit, pour ramasser son corps contre le ciment encore bien lisse de la case récemment construite, tendre le bras vers le rebord de la fenêtre, se hisser et recevoir l’éblouissement en pleine figure

il y avait de telles fenêtres au pays de la première enfance, ces fenêtres étaient même l’une des traces-repères de l’enfance, tant par les échappées qu’elles ont permises sur des espaces défendus que par le nom qu’on leur donnait : des fenestrous

6 commentaires à propos de “#rectoverso #10 | Babudu s’éveilla”

  1. Ce passage qui nous entraine dans les bruits, échos, rites et rythmes en amont du langage, me fait attendre un retour à la petite fenêtre carrée de son amorce.

  2. partager la même lumière, revenir au jour après un évanouissement ou une absence ou une longue maladie
    se remettre, stimulé par les bruits du dehors, et tout accueillir en soi par la porte et la fenêtre
    « se hisser et recevoir l’éblouissement en pleine figure »

    beau, Philippe