ST1
Au plus près du substrat marron de la terre, des petits cailloux, quelques brindilles, des feuilles de chêne kermès et des aiguilles de pin, une coquille minuscule d’escargot minuscule que l’escargot minuscule a quitté pour ne laisser que la coquille devenue trop minuscule pour être habitée. Alors elle a rejoint la terre majuscule. Quelques filaments de racine coupés, perdus, arrachés, déconnectés. Du sable peut-être.
ST3
La terre s’écoule entre mes doigts et forme une petite pyramide sur le sol. J’ai ramassé de la terre et j’ai fait une petite pyramide. Ce n’est rien d’autre qu’une trace que j’ai laissée. La terre est un ensemble de traces. Mon carré de terre est aussi un ensemble de traces dont la plupart ne sont pas de moi. À part la petite pyramide. À part mes pas dans la poussière légère. À part mes doigts dans la boue que j’ai une fois enfoncés pour voir ce que ça faisait. Le reste n’est pas de moi. Ni cette pierre, ni ces brins d’herbe, ni cette branche morte. Ni la poussière des morts qui font terre. Qui font taire. Les morts parlent et font terre.
ST1
Un mètre carré sous un arbre. Un mètre sur un mètre. Au-dessus, le ciel qui commence à la cime de chaque brin d’herbe ou d’une branche morte gisant sur le sol ou d’une pierre ou d’une pigne de pin. Entre ciel et terre, la vie végétale animale sentimentale quotidienne spirituelle microbienne. Dessous, la terre. Poussière légère, puis de plus en plus lourde et humide en profondeur. Claire puis noire. Des vers, des larves d’insectes endormis, animalcules. Vivants puis morts. Définitivement morts. Toute la mort du monde, traces de vies passées. Terre de morts qui nourrissent la vie éphémère.
ST2
Mettre un mort en terre. Mettre la terre en morts. Terre des morts. Recette : tu prends un mort, tu prends un trou, tu mets le mort dans le trou et tu rebouches. Il deviendra terre. Un mort en terre devient terre. Est-ce qu’un mort en l’air devient air ? Est-ce qu’un mort en mer devient mer ? Non, il devient terre. Toujours terre, même en l’air même en mer. Parce que la terre est au fond de tout, même de l’air, même de la mer. Parce que la terre est au fond du trou.
ST4
Trop terre à terre, nous nous noyons dans un verre d’eau.
ST1
Une petite rigole s’est formée lors d’un violent orage. Elle traverse en zigzaguant le carré en charriant et déposant les voyageurs involontaires. Elle vient d’ailleurs, elle va ailleurs, elle est juste un passage, une traversée. Voyage terrestre. Ou sous terrestre pour les fragments de fragments qui s’enfoncent dans la terre emportés par l’eau qui pénètre les strates superficielles.
ST3
Je criais « terre ! » comme un jeune marin sur la hune fixant l’horizon.
ST2
Liste très incomplète des morts mis en terre dans le carré : vers, papillons, mouches, fourmis, puces, scarabées, souris, loriots, mésanges, pies, buses, renards, sangliers, Ernest le jardinier disparu, chevreuil, ours, mammouths, ptérodactyles. Des morceaux infiniment petits, une cellule par ci, un atome par là. Terre.
Liste très incomplète des organismes qui ont pris vie dans le carré : brins d’herbe, mousses, petites fleurs, grandes fleurs, arbrisseaux, grands arbres. Arbres géants. Des organismes vivants infiniment grands.
Liste très incomplète : une larme de crocodile, un vieux porte-clés, un coin de journal, un sentiment de honte, une envie de beignet, le goût du poivre, le désir de dormir, une idée pourquoi-pas, une colère explosive, quelques notes de musique, un rayon de soleil, un regard qui en dit long, un parfum de fleur.
ST3
J’ai déjà mangé de la terre. Je voulais en connaître le goût. La terre n’a qu’un seul goût, celui de la terre. Cela n’a aucun autre goût que la terre. C’est un goût exclusif qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Rien n’a le goût de la terre qui n’en soit pas.
ST4
Le pétrichor est la terre rendue au sens des hommes.

Photo de Gabriel Jimenez sur Unsplash
aimé me promener dans tes parcelles, escargot, parfums, goût âcre…