Aller où vont les embruns qui fouettent le visage, l’odeur du sel qui emplit les narines, le cri des goélands qui résonne dans l’infini.
Aller où vont les « Han » ! Creuser Han !un trou pour l’écureuil tombé de la cime Han ! Han ! La terre exhale un souffle, Han ! un soupir de mémoire. Han ! A pleines mains Han ! Farfouiller la terre Han ! creuser les limites de la petite fosse Han ! Puis avec l’outil, piocher, Han ! chaque pelletée brise le silence Han ! déposer l’animal Han ! et lui dire « T’inquiète pas la terre bercera tes ossements Han ! avec la tendresse de son humus. » et me dire « T’inquiète pas, creuser Han ! c’est tracer une dernière empreinte Han ! laisser à la terre une offrande, Han ! un ultime poème gravé dans l’obscurité.
Plus loin, plus loin sont les sensations de calme et de tristesse qui envahissent, l’étrange quiétude qui interroge, le souffle imperceptible qui caresse la nuque, la curieuse impression de ne pas être seule.
Plus loin, plus loin sont les peurs : celle de trouver l’autre sans vie dans le canapé ou étendu sur le carrelage froid de la salle de bain, celle de ne plus se souvenir des codes: carte bleue, grille d’entrée, carte Sncf, verrouillage téléphone, déverrouillage alarme, celle d’être tabassée pour avouer, mais quoi ? celle de devenir aveugle.
Et au-delà, le cri remonte dans la poitrine, sensation d’étouffement, il passe en trombe dans le cou, il vrombit dans la tête, les yeux piquent, les oreilles bourdonnent, hurlements d’acouphènes invisibles, ça dure comme une éternité, le cri redescend dans la gorge, ça gratte, la voix s’enroue, le cri poursuit sa trajectoire infernale, il tétanise les muscles, provoque des crampes, il fonce jusqu’aux extrémités, mains, pieds, paupières, le souffle s’accélère, se bloque.
Et au-delà, tenir tête aux souvenirs — à la joie indicible d’être en voiture avec les parents, fenêtres ouvertes, radio à tue tête, partir deux mois pour les vacances, les grandes — retrouver les grands-parents, les embrasser, respirer dans son cou l’odeur de violette et dans le sien l’odeur de tabac.
Et au-delà, et au-delà un moment crépusculaire, un cri qui déchire l’horizon.
Se hâter se hâter d’ouvrir la porte, ouvrir les bras comme des branches que le vent passe à travers, écouter les oiseaux, humer la mousse humide et se rappeler qu’on existe encore.
Se hâter se hâter pour cette minute d’éternité.