avant
C’était une nuit sans lune et de mer calme. Une nuit de paupières fermées. Une nuit que le Veilleur avait soigneusement choisie. Une nuit qu’il avait visitée en rêve. Mais le rêve s’arrêtait à chaque fois au bord de la Ville-Feuille. A sa lisière. Au bord de souvenirs dormants. Au bord du désir. Nous cheminions donc sous la face obscure de la lune. Nous étions six.
Nous n’avions jamais pénétré la Ville-Feuille de nuit. Nous avancions prudemment, mains tendues. Et nous tâtions l’obscurité comme l’on tâte les murs d’une pièce plongée dans le noir. A chaque pas, nous prenions le risque de disparaître, d’être avalés. Engloutis. La vaste nuit procédait par effacement et quand la peur prenait le dessus, elle semblait préfigurer de grandes catastrophes. Aveugles au paysage, nous avancions.
après
Et disparaissions, à mesure. Pour l’heure, convoquer la catastrophe, comme je le faisais là, et les autres aussi sans doute dans le froissement de nos pas sur le sentier, c’était pour nous une manière de la conjurer. Notre seule crainte, tangible celle-ci : les Falaises bleues. Un à-pic entre ciel et mer, un de ces lieux où l’humain se rêve nuage, oiseau, poisson ou grand cétacé. Par temps calme et mer silencieuse, c’était un trou noir dans l’épaisseur de la nuit. Il fallait donc, pour bien faire, guetter l’odeur du grand large, vif aux joues et au nez, fermer les yeux et laisser le paysage se recomposer en soi, à l’odeur : l’océan, le bord de l’île et, dans l’obscur, la ligne bleu-nuit des falaises, avec au loin les intermittences du Phare. Et longer ce paysage, intérieurement.
Quel texte magniquement évocateur de paysages bien réels et en même temps rêvés ou cauchemardés. Je connais des falaises abruptes d’où parfois le désir de s’envoler nait…puis s’enfonce dans l’oubli.
Merci beaucoup!
Merci Eve pour ta lecture et ton retour ! C’est porteur !