Une fois, je marchais dans la nuit. La nuit était noire et je n’aimais pas ça, marcher sans rien voir. Je n’aimais pas ça, mais il n’y avait rien d’extraordinaire. Il faisait nuit, nous devions rentrer à la maison et nous n’avions pas de lumière : fin de l’histoire. Je n’ai jamais compris ce que Yolanda et Linda trouvaient d’excitant à marcher dans la nuit. À part la crainte justifiée de se prendre une pierre ou une branche et de se prendre une gamelle. Comme je pouvais m’y attendre, mes deux sœurs avaient alors commencé à parler. C’est ce qu’elles faisaient quand elles commençaient à avoir peur. Je les connaissais par cœur, elles étaient pétochardes. Ce qui est drôle, c’est que le débit et l’incohérence de leurs propos étaient proportionnels avec leur degré de crainte. Parfois, elles disaient des mots incompréhensibles, comme s’ils étaient prononcés à l’envers. Comme si elles parlaient une langue étrangère. Et ce qui est encore plus drôle, c’est qu’en écoutant ce qui sortait de leurs propres bouches, elles avaient encore plus peur. Comme si elles étaient possédées et qu’elles parlaient une langue extra-terrestre malgré elles. Mes deux sœurs étaient complètement débiles. Je marchais dans la nuit, donc, et je pensais à mes devoirs, parfois, ou à Emiliano, plus souvent. Je pensais à plein de choses en vérité, mais sûrement pas à mes sœurs débiles qui étaient à mes côtés et qui étaient à deux doigts de se pisser dessus.
Une fois, je marchais dans la nuit. La nuit était sombre et, sincèrement, je n’ai jamais eu peur du noir. Je crois même que je trouvais ça drôle, marcher dans la nuit noire. Pas de ne rien voir, avec le risque de me prendre une pierre ou une branche sur ce chemin qui mène à la maison et de tomber, mais de voir lentement Yolanda dégoupiller. Yolanda, c’était l’une de mes sœurs. Quand il faisait noir et que nous n’y voyions rien, elle se transformait en un être étrange. Elle se mettait à avoir des propos incohérents qui devenaient vite incompréhensibles. Je crois qu’elle avait peur, mais c’est quand même bizarre d’exprimer la peur de cette façon. Dans le noir, je n’en suis pas sûre parce que je n’y voyais rien, mais je crois qu’elle marchait aussi d’une drôle de façon. Je crois qu’elle est un peu folle, Yolanda. Alors, cette fois là, sentant qu’elle commençait à dégoupiller, je lui ai parlé, je lui ai répondu avec les mêmes mots incohérents et incompréhensibles qu’elle prononçait. Quant à Francesca, je ne crois pas, j’en suis sûre : elle était complètement tarée. Cette fois où nous marchions toutes les trois dans la nuit noire pour rentrer à la maison, elle s’était complètement éteinte. Je lui parlais, mais elle ne répondait pas, elle était terrifiée. Ce n’est qu’en arrivant à la maison que j’avais découvert qu’elle était toujours avec nous, qu’elle nous avait suivies. Je croyais qu’elle s’était perdue alors qu’elle était toujours à nos côtés. J’ai deux sœurs étranges. Emiliano dit que j’ai de la chance d’être qui je suis avec des soeurs pareilles. Avant de m’embrasser.
Une fois, je marchais dans la nuit. La nuit était sombre, mais j’aimais ça, marcher dans la nuit sans rien y voir. Je sentais qu’à mes côtés, mes deux sœurs Francesca et Linda ne partageaient pas mon plaisir de marcher sur ce chemin obscur parce qu’elles n’aimaient pas la nuit noire. Il est vrai que nous risquions de trébucher sur une pierre ou sur une branche à chaque pas et de nous casser la figure. Elles étaient pleines de crainte alors il fallait bien que je tente de les rassurer, je suis leur aînée et je devais veiller sur elle. Pour détourner leur attention de la peur qui les rongeait, je parlais. Peu importe ce que je disais, je parlais. Je racontais des histoires que j’inventais. J’inventais même des mots nouveaux. Ça les faisait réfléchir et pendant qu’elles réfléchissaient, elles oubliaient la peur. Et pendant qu’elles oubliaient la peur, elles marchaient. Francesca était silencieuse, toute à sa réflexion. Elle s’accrochait à mes paroles, elle s’agrippait à ma voix. Francesca n’a jamais été courageuse, elle cachait ses craintes derrière une colère permanente, mais elle avait besoin d’être soutenue et moi, je savais la rassurer. Quant à Linda, quand je me mettais à inventer mes histoires sans queue ni tête, quand je parlais avec des mots inconnus, elles m’emboitaient toujours le pas. Elle se mettait à inventer des histoires, elle aussi, à inventer des mots, à inventer une nouvelle langue. Mes sœurs avaient tellement besoin de moi. J’étais là pour elles, je devais les rassurer. Quant j’ai raconté ça à Emiliano, mon cher Emiliano, il s’est mis à rire et m’a prise dans ses bras.

Photo de Suhyeon Choi sur Unsplash
Elles sont magnifiques – les trois – extra…
Vos trois sœurs sont remarquables. Enigmatiques et remarquables. Merci pour cette lecture enrichissante.