C’était notre rituel.
Il se déroulait – tu t’en souviens –
dans la buanderie où
gisaient par dizaines les bouteilles éparpillées
comme livrées à elles-mêmes
dans un capharnaüm
tout allait de travers en ce sous-bassement
les cadavres de mouches les toiles d’araignées
les clous tordus, la rouille, l’éphémère
donc : rassembler les bouteilles
les récurer à l’aide d’un goupillon
les empiler ensuite avec méthode sur le hérisson
où goutte à goutte elles patienteraient
c’était là mon travail
ma délivrance du mal d’attendre
il faudrait encore hisser
la bonbonne de verre sur une table en formica
bancale mais cela suffirait
à créer l’appel d’air pour qu’opère
le miracle du transvasement
but de toute l’affaire
« tirer le vin » c’est ainsi que tu nommais
cette transsubstantiation
à laquelle nous nous donnions corps et âme
de ces heures je conserve
le souvenir de la gorgée de vin qui
inondait mes rêves d’un soleil enfantin
c’est notre rituel disais-tu
il n’en demeure que silhouettes floues
et formes désuètes dans un amas de ciel