vers la fin
Il ne se passe jamais rien
on est là on attend
le froid le ciel le soleil
c’est au huit de la rue
un endroit pareil semblable égal à tous les autres
la même chose la même rue la même ville le même ciel
la chaleur les palmiers
et les odeurs des fleurs et des fruits de saison
ici ça ne sent rien à peine parfois un vague fumet
ça ne sert plus à rien une lumière allumée
des lentilles des oignons grillés
il ne se passe rien on attend on est là
la nuit s’ouvre la porte
laisse entrer l’air tout ça pèse des tonnes
c’est une prison c’est un lit de camp
un plaid un drap en forme de sac
on le change parfois
on se rase on s’ébroue on ouvre les yeux
le ventre est creux se brise
ça n’était pas un rêve
le cœur est en morceaux
je te voyais pourtant juste à portée de voix
jamais il ne se passe rien jamais
on aurait aimé que jamais il ne cesse
ce rêve doux heureux comme au bord de la mer
les enfants rient chahutent courent se baignent
reste un peu je t’en prie
ya amri disait ma grand-mère qu’est-ce que je fais encore là ?
rester encore un peu libre de penser
de voir encore la beauté des arbres des fleurs et des roses
rester là allongé écrire quelques lettres
se vider la vessie s’asseoir s’y remettre
et ne penser qu’à toi un moment oublier
un moment n’y plus penser
est-ce la liberté ou n’est-ce qu’une idée
ne plus savoir quoi ne plus vouloir rien
respirer une fois sans jamais y penser
je préfère oublier
il ne reste que peu un jour ou deux peut-être
quel jour est-on quelle heure quel temps quelle lumière
j’aurais aimé chanter ou siffler quelque chose
quelque chose de la mort qui va venir me prendre
j’aurais dû tout casser tout briser me tuer
ne jamais me soumettre
mais c’est le matin tôt
je ne souffrirai pas
je ne parlerai pas je n’ai rien à leur dire
je m’allongerai là et replierai mes jambes
sur mes yeux mes paupières mes mains serrées mes doigts
une dernière fois une prière une pensée
vers toi vers vous et vers tous ceux qui restent
j’oublierai l’abandon je cesserai de vivre
parfois je me dis que je brode (une occupation comme une autre tu me diras) parfois je me dis que je ressasse - j'en suis à la chronologie, j'avais déjà pensé à cette fin, mais les recherches ne sont qu'un bain de sang - je préférerai en avoir fini, mais non, ça s'accumule ça continue et encore et encore - comme j'y suis je continue, j'avance crois-je naïvement alors que ce n'est pas un chemin, ce n'est pas une route, partout des morts, des blessés des estropiés, plutôt des hommes, de l'autre côté de l'arme oui - je n'ai pas vu de femme je n'ai pas vu d'enfants : c'est parce que je ne regardais pas du bon côté mais que ce soit celui-là ou l'autre, il n'y a que des morts - à Milan à Bologne, à Turin ou à Gênes - je ne vais pas changer maintenant, je vais rester le même et suivre le chemin que je me suis tracé - ça n'existe pas, tous les jours on change on se lève on rêve on recommence on s'habille on se vêt on se lave on respire - il y a comme une espèce de chanson qui s'écrit, on ouvre la fenêtre, dehors on respire - on est libre, oui enfin autant à peu près qu'on peut le croire - on ne meurt pas sous les bombes
« on aurait aimé que jamais il ne cesse
ce rêve doux heureux comme au bord de la mer
les enfants rient chahutent courent se baignent
reste un peu je t’en prie « poignant et beau . Merci
merci à toi Nathalie
Merci Piero pour ces mots, cette poétique, ces images, merci pour cette lecture du soir, bien à toi ami d’écriture.
trop gentille chère Clarence – merci à toi