Enfant, le soir, dans la maison silencieuse. Ce que je redoutais le plus, gravir une à une les marches du grand escalier et regagner ma chambre. Seul. Regagner ma chambre, tout au bout du long couloir, m’enfoncer loin jusqu’à la porte de la chambre et là, seul, m’allonger sur le dos dans le noir. Tu avais peur ? me demande une voix dans le noir où je m’installe encore aujourd’hui, par habitude, pour m’isoler du bruit du monde. Tu ? Mais quelle voix parle à l’instant ? Qui me tutoie ? Tu n’as pas répondu à ma question, insiste-t-elle. Avais-tu peur ? Qui me parle ? Est-ce que nous nous connaissons ? Evidemment, j’avais peur. Imagine ! Je voyais des araignées s’agrippant au plafond, des serpents se glisser sous les draps, des scorpions sur les murs, une silhouette fantomatique m’envelopper dans un linceul. J’avais peur. Oui. Je tremblais. Mes mains, mes genoux tremblaient. Pourquoi n’appelais-tu pas ? Pourquoi ?
De cette voix, la première fois où je l’ai entendue, je n’ai rien su. S’adressait-elle à moi ? Je crois que j’avais peur. Peur de cette voix. Peur de la reconnaître. Peur de lui donner un nom.
Comme cela m’arrive souvent, j’étais allongé dans le noir et une voix me parlait. Et je ne voulais pas savoir qui me parlait, d’où provenait cette voix dont je craignais l’origine. Je ne voulais pas me souvenir précisément de ce dont la voix me parlait. Quand, enfant, je gravissais, tremblant, les marches du grand escalier pour regagner ma chambre au bout du long couloir et m’étendre sur le dos dans le noir.
Mais la voix était là. Et elle s’obstinait. Je la sentais s’approcher. Elle effleurait mon visage. Quand j’aurais cependant voulu m’en saisir, la tenir dans ma main, la serrer contre mon corps, elle glissait entre mes doigts, comme si à son tour elle ne voulait pas que je la reconnaisse. Que je lui donne un nom. Je ne l’entendais alors plus que de loin en loin. Que fais-tu prostré dans le noir ? murmurait-elle. Elle me parvenait par bribes. Une trémulation. Et c’en était fini, pour un temps, du souvenir de ce moment où je devais gravir les marches du grand escalier dans le noir.