Apprivoisé enfin d’une journée obscurcie le jour aboie et s’estompe. Assis immobile sur la pierre chaude les pattes avants droites et la tête relevée je regarde la lumière colorier l’horizon. Lentement je sens poindre en moi l’ensauvagement qui m’appelle. La vallée grandit et le ciel recule. Assis immobile jusqu’au frétillement de la queue qui disparaît pendant qu’elle se gonfle de poils durs comme mon pelage enrêché je sens sur mon dos le poids de la nature primaire qui m’habille. Les yeux fixent et voient autre chose. Ma vision se brouille. Toujours immobile le filtre de la domestication s’efface et mon assujettissement se consume pour faire place à un sentiment inconsidéré de liberté. L’horizon rougit et le ciel recule encore. Mon jappement intérieur quoi que silencieux prend du rauque et du grognement. Mes pattes s’épaississent et mes griffes gonflent d’une violence contenue. Assis immobile mon espace s’agrandit derrière mes yeux dans un travelling arrière tout autant immobile tandis que l’appel du lointain m’ordonne. Dans une expansion gagnée lentement par l’obscurité tandis que meurent les dernières lumières du jour. L’ami humain s’évapore passivement comme un mirage dévoilé et revêt l’armure du prédateur. Je ne peux plus lui sourire. Je me lève lentement et m’éloigne de lui pour que l’air que je respire reste pur. J’épie sa réaction la tête basse prêt à bondir ou à fuir. Prêt à rejoindre la meute qui déjà m’appelle dans le silence de la nuit qui se lève. Je m’éloigne avec la puissance de mes crocs à fleur de barbarie pour rejoindre l’encore plus sombre. Je sens la hurlerie monter en moi comme une fièvre soudaine et l’effort que je déploie pour la contenir finit de charger mes muscles d’une énergie féroce. Je m’enfonce dans la forêt là où mon regard perçant se perd. Dans le noir naissant d’une obscurité muette. Je disparais dans les odeurs de la nuit qui égrène les derniers râles du jour agonisant. Et ce n’est qu’à la nuit noire en pointant ma truffe vers ce ciel qui n’a jamais été si grand que je hurle enfin à la vie toute ma bestialité retrouvée. Et la nuit revenue.
traduit du loup par l’auteur

Photo de Ray Hennessy sur Unsplash
Ca m’a évoqué cette scène de Fantastic Mr Fox, une de mes scènes préférées du cinéma d’animation :
https://www.youtube.com/watch?v=AliecH80z0Y
beau texte !