La note. Note de musique. Son. Tourbillon de toutes les notes de musique. Tourbillon de tous les sons de l’univers concentrés en un seul. La note de musique qui s’élève. Le son du monde qui vibre. Un battement, un rythme qui porte la lumière et les ténèbres. Un chant dans lequel toutes les notes se noient pour engendrer un ensemble et qui délivre dans son dernier souffle une ultime note prête à enfanter un nouveau chant. Tellement courte et acérée qu’elle entre dans les chairs comme la pointe d’un couteau. Tellement longue et dense que les vies fleurissent à sa surface comme les coquelicots à la fin du printemps.
Perché sur une note, se laisser emporter. Sortir du temps. Tintement imperceptible d’une cloche qui vient se mêler à la foule des bruits, apparaître puis disparaître en un instant et rester gravé dans l’enchaînement coordonné de l’épanchement du temps qui se répète. Frottement du crin de l’archet sur la corde d’un violon au moment précis où la composition l’appelle, dans l’espace exact qui s’ouvre entre deux autres notes dans l’enchaînement symphonique qui s’élève en émotion. Stridulation répétée de la cigale qui cymbalise son appel de la femelle dans la résonance indolente d’une chaude journée d’été et dans l’enchaînement rythmique accéléré d’un moment étiré à l’extrême. Vibration étouffée des cordes vocales qui, poussée par le souffle, résonne dans tout le corps jusqu’à la bouche pour exploser et envahir l’espace comme une bulle de chant dans l’enchaînement pétillant d’une résurgence lyrique. Chanter le monde.
Bercé par la musique intérieure et se mettre à penser. Engloutir le temps. Retrouver un souvenir enfoui sur une note de passage comme une étincelle raviverait le feu qui a déjà causé tant de ravages. Écouter le chant méditatif que murmure chacune de nos cellules dans l’œuvre intérieure que nous composons chaque fois que nos pensées s’évadent en poésie, laisser cette note résonner et veiller à ce que jamais elle ne s’éteigne. Assembler les sentiments déracinés, recueillir les notes qu’on nous a offertes, celles attrapées dans le vent au passage, celles aussi empruntées à d’autres et offrir à son âme ce bouquet mélodieux, cette harmonie réservée. Offrir au monde la note qui sort de nous et laisser la vibration rejoindre le chœur qui bat.
Vagabond dans la forêt des sons, laisser l’oreille distinguer le timbre de l’émotion. Percevoir l’invitation confiante dans la glissade de la clarinette, sursauter à l’appel du danger que gronde le tonnerre, éveiller les sens en alerte à l’écoute du cri strident du merle noir, succomber à l’abandon que nous murmure le ruisseau des montagnes. Les mains de Carlos Jobim enveloppent la saudade d’une bossa-nova ipanemesque sur la guitare suave d’une jeunesse enfiévrée, les doigts de Carlos Santana étirent hors du temps la corde en acier de sa Stratocaster dans un recueillement suspendu, le riff de Jimmy Hendrix au milieu des bombes qui embrasent le Viêt Nam ravive l’odeur de mort qui envahit la planète. Entendre le crissement des pneus sur l’asphalte sur un accord de mi 7e, distinguer le miaulement rauque d’un chat abandonné dans une mineure naturelle, reconnaître l’euphonie gymnopédique entre les lignes d’un roman de Gustave Flaubert. Laisser la note nous envahir.
Jusqu’au silence. D’abord assourdissant de mort. Vertigineux d’absence. Débordant de vide. Laisser faire l’immatériel, laisser opérer l’oubli. Laisser passer le temps de l’ombre pour que reviennent à la surface les premières vibrations. Comme un acouphène résurgent des décombres, une musique du monde omniprésente et lascive. S’envelopper de la note. Être le chant.
Se laisser enfin emporter par le tourbillon des sons de l’univers pour entrer dans la danse.

Comment le mot note peut faire surgir cette symphonie d’images et pourtant on croirait entendre de la musique! Magique!
Merci Carole. Tes mots me touchent, c’est bien là que je voulais aller.
Merci pour ce texte qui invite à écouter la musique du monde.. de ce monde ici et maintenant…