( suite de Boost 14)
Au-dedans rien qui puisse se dire. Pas de langage dans ce paysage. Sans nuage. Loin des naufrages. Pourtant si près du rivage.
Pourtant il faudrait bien lui trouver un nom, trouver un mot pour le nommer. J’entends ceux que tu as murmurés quelques heures avant ta mort ; Tu regardais droit devant toi, un mur d’hôpital jaune délavé, tu as dit il faudrait lui trouver un nom. J’ai demandé à qui ? Tu as répondu à l’espace qui est là devant moi. Je ne saurai jamais, jamais avant de partir moi aussi d’ici, de laisser mon corps finir sa course contre la montre et mon cœur de battre ne plus s’épuiser, si tu as rejoint ce mystérieux lieu, ou pas, ou un autre, ou rien. A moins que cela qui n’a pas été par toi nommé soit ce même endroit au creux duquel je parviens à m’abandonner quand tout lâche prise, les pensées, les émotions, les sensations, les perceptions, et plus encore. Quand j’ai persévéré sans effort à me laisser glisser dans le vide du renoncement à toute résistance, à toute contraction. Si c’est le même espace que celui vers lequel tu te dirigeais, souriant, assis sur ton lit, mourant, dis-moi, faudrait-il vraiment lui trouver un nom ? A cet envers du décor dans lequel je me sens si bien, tellement libre, tellement ici et nulle part ailleurs que maintenant. Faudrait-il trouver un mot ? Qui n’enferme pas cet espace ouvert. A peine découvert il disparait si vite et invite à la patience. A l’évidence cela ne se passe pas dans le corps et c’est pourtant par ce chemin qu’on s’y rend. Patiemment. Dépasser l’enveloppe et le contenu de cette matière décryptée par l’occidental à l’horizontal. Organes, nerfs, vaisseaux, cellules, du mou, du dur, beaucoup d’eau, un cerveau. Rien d’autre à découvrir ? Méridiens, chakras, aura, nadis, point source, prāṇa, Ki, bindu, hara ? Que sont ces mots, des concepts, des préceptes qui nous dépassent encore ? Et moi qui suis-je à chercher un mot pour parler de ce Je Suis que je vis et qui ne se dit ? Et toi mon ange, que j’ai vu, au bord du chemin invisible, chercher encore un mot avant le grand silence. Des mots on peut en écrire à la volée de mille consonnes et syllabes entremêlées. Présence conscience âme le grand tout l’insaisissable l’espace sans forme le vide et le plein où tout est dans tout, tout est un, et tout est en nous*. On sait bien qu’il y a confusion entre le mot, la chose et l’idée qu’on s’en fait, car on les prend l’un pour l’autre** . On peut trouver des mots valise, c’est pratique les mots valise ça fait rêver à un monde de mots que personne sauf qui les invente ne comprendrait. Un monde où chacun avec son propre langage pourrait déjà communiquer en toute liberté avec lui-même. Tiens, c’est cadeau dans ce chaos ici sur terre, je t’en offre un à toi parti trop tôt, parti trop vite. On pourrait dire – ne te moque pas mon ange j’essaie de faire la sérieuse une minute – que cet état d’être que je tente de décrire en vain depuis deux mille huit cent cinquante et un signes de reconnaissance est un espace qu’on découvre avec patience. Un ESPATIENCE ! Je renonce. Peut-être qu’il vaudrait mieux ne plus rien écrire, se taire. A partir de cet instant et de ce lieu, très précisément où toi qui me lis, tu te trouves après ce point d’exclamation. Et faire disparaitre ces ponctuations qui retardent l’expérimentation. Assis ou debout là où tu es comme tu es respire respire respire laisse monter ou descendre laisse venir laisse s’installer un soupçon un nuage de ce calme en toi que tu connais déjà et qui a toujours été là avant toi avant moi avant tout parce que si c’est possible de simplement en respirant arriver là juste là déjà là alors patiemment ce sera à chaque fois que tu y reviendras un éternel printemps
*Extrait citation de Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart
**Extrait citation des Yoga Sutra de Patañjali
Comme c ‘est beau cette tentative de recherche du mot, qui remplit l ‘espace tendu de l ‘ultime séparation. « Et moi qui suis-je à chercher un mot pour parler de ce Je Suis que je vis et qui ne se dit ? Et toi mon ange, que j’ai vu, au bord du chemin invisible, chercher encore un mot avant le grand silence ».
Merci , c’est très très émouvant …
..Merci à toi, oui « tentative »… infructueuse mais tellement éclairante sur ce mystère!