#boost# 11 Le sentier

Pas à pas. La falaise à gauche, le ravin à droite. Le chemin était étroit. Nous avancions prudemment, serrés les uns contre les autres, comme un troupeau de moutons fantôme. Nous avancions dans la nuit noire, l’air épais pesant sur les épaules. Pas à pas, pour rester ensemble, faire bloc, ne pas nous perdre. Personne n’aurait pu s’égarer sur ce sentier, mais nous marchâmes serrés pour ne pas tomber, ne pas tomber par terre, ne pas glisser sur la pente, nous marchâmes doucement, à pas mesurés, à pas trébuchants, avec précaution. Nous traversâmes ce rideau sombre devant nous, les bras tendus vers l’avant, nous frôlâmes le feuillage tendre des noisetiers, nous touchâmes la mousse humide, coussin dentelé lové dans le creux des pierres, et les branches des genévriers nous griffèrent au passage. Les rayons fins d’une lune montante avaient du mal à percer la végétation dense. Nous étions noyés dans une opacité diffuse, mais nos sens nous ranimèrent, nous respirâmes l’odeur sucrée d’un chèvrefeuille, nous respirâmes l’odeur terreuse des girolles qui devaient border le chemin, nous aperçûmes un léger arôme de fraises des bois écrasées sous nos pas. Un oiseau s’envola au-dessus de nos têtes, pépiement et coups d’ailes, qui effrayèrent les petits marcheurs, nous entendîmes des cris et des aboiements venant de la rivière, on commenta, on parla loups et bête du Gévaudan à nous donner des frissons. Sans lumière, nous étions fragiles, exposés aux peurs et aux accidents. Un papillon de nuit frôla ma joue et me fit sursauter, bousculer mes voisins. Personne ne parla fort, mais le bruit des chuchotements amplifia les sons de la forêt, se mêlant au bruissement du vent. Dans la vallée, à notre droite, la rivière cascadait, les vagues charriaient des cailloux tombés de la montagne, qui s’entrechoquèrent renvoyant des sons de clapotis dans la nuit.

Un virage brusque nous fit bifurquer, le chemin prit de la descente, une descente douce, ensablée. Nous découvrîmes une éclaircie au loin, un bout de clairière, la lune était montée plus haut dans le ciel et arrosa d’une lumière blanche une prairie d’herbes denses et drues. Les nuages effilées coururent après le vent qui se renforça et nous fit frissonner. La marche devint plus facile dans la plaine, nous accélérâmes et bientôt nous vîmes apparaître le village et le clocher de l’église nimbé de clair de lune.

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “#boost# 11 Le sentier”

  1. J’aime bien l’éveil des sens, les parfums, les bruits, l’odorat et le son souvent oublié que la nuit permet de mieux palper.  » le bruit des chuchotmements amplifia les sons de la forêt se mêlant au bruissement du vent ». Merci pour cette marche nocturne dant la forêt.

  2. Merci, Hélène, pour ce commentaire qui ressent bien ce que j’ai voulu décrire, contente d’avoir pu transmettre mes impressions de forêt nocturne avec mes mots, j’aime bien ces promenades dans la nature…