#histoire #04 | Ça glisse à la sortie du café

Pourquoi il faut que je rentre si tôt chez moi, retrouver la revêche mais de toutes façons la patronne, ici, elle est en train de devenir aussi revêche que l’autre mais pourquoi donc je n’ai plus l’âge d’aller m’amuser sur les bornes à eau…

Pourquoi c’est toujours moi qui doit remplir sa comporte alors qu’il paraît que ce matin ils ont distribué des œufs en sucre à la sortie de l’église et que ce soir y en a deux qui ont l’air de bien s’amuser sur la borne à eau…

Pourquoi ce monde ne tourne pas rond, il y a déjà tant à faire avec la misère et la maladie mais en plus, celles et ceux qui sont épargnés, au lieu d’en profiter, gaspillent ce qui pourrait être une chance en prenant le risque de se blesser ou de se contaminer sur la borne à eau…

Pourquoi il y en a qui sont si méchants avec les filles, même si je sais que dans le fond elles l’ont bien mérité, il paraît que quand elles tombent en leur pouvoir, elles n’ont plus du tout de liberté… ah, c’est pas celles-là qui pourraient s’amuser avec la borne à eau !

Pourquoi ai-je choisi cet angle-là qui ne me montre aucun des deux visages alors que j’aurais pu prendre mon temps, tourner un peu autour, choisir et je ne les aurais pas dérangés puisque de toute façon ils ne peuvent pas me voir depuis leur borne à eau.

Pourquoi je n’ai pas les moyens de mettre un petit moteur à ma charrette, il paraît qu’à certains endroits on transporte désormais les légumes et les fruits comme ça, ils appellent ça le progrès mais je vois qu’on fait toujours pareil à la borne à eau, comme quand j’étais sa perlotte…

Pourquoi elle m’a pas demandé de lui réparer son vélo, la petite, je le lui aurais fait sans rien lui demander alors qu’elle est allée demander ça à ce freluquet amateur qui en a profité pour la mettre à califourchon sur la borne à eau.

Pourquoi il ne sort jamais avec moi, juste à me faire des trucs quand on est cachés, des trucs un peu vicieux en faisant semblant qu’il est toujours docteur alors que ça me plairait bien, à moi, qu’il arrive un jour avec un bouquet de fleurs en me disant : je t’invite à la borne à eau !

Pourquoi on est obligé à la tenue réglementaire toute la journée dans le bus, avec surtout ces souliers vernis, que ça ne vaut même pas la peine de les cirer avec la poussière qui rentre à chaque arrêt et puis les pieds en compote… Ah, je les aurais bien trempés à la borne à eau !

Pourquoi il s’intéresse donc à cette petite greluche, le grand costaud de l’impasse, alors que je lui ai proposé moi, quand il vient faire les courses pour ses parents, de venir prendre un chocolat à mon appartement de derrière mais si j’avais su qu’il préfère les ébats sur la borne à eau !…

Pourquoi on ne lui a pas donné un poste plus dur à l’usine, je me demande bien, si on m’avait demandé mon avis de contremaître, le mieux placé en plus, ce grand costaud, je te l’aurais flanqué à un poste qui lui aurait fait passer l’énergie de venir le soir enjamber les bornes à eau !

Pourquoi c’est nous qu’on accuse de faire déborder les caniveaux avec l’eau qui s’écoule de notre atelier quand on rince les moules, on a bon dos, quand je vois tout ce qui coule quand on laisse jouer des gamins avec la borne à eau…

Pourquoi on ne me laisse pas leur infliger la punition qu’ils méritent, surtout la petite qui a à peine quatorze ans, je la lui infligerais bien, moi, la punition qu’elle mérite : à raison d’un débit sinusoïdal et connaissant votre temps de jeu, calculez donc la perte de la borne à eau…

Pourquoi personne ne veut reconnaître qu’ils ont raison, ces gosses, au lieu de faire comme les piliers du bar, caqueter sur les uns et sur les autres jusqu’à ce qu’excédée je les vire, au lieu de ça on devrait tous avoir le courage d’aller avec qui on veut sur la borne à eau !