Lui, dans les escaliers, assis sur la première marche, qui parle à sa sœur, qui vient d’être puni, ce qu’il dit à sa sœur, le récit de ses mots d’enfant par l’un ou l’autre qui traversera les années, ce que cela dévoilait ou souhaitait révéler du caractère, de sa personnalité, selon celui qui racontait, ce qu’il avait dit à sa sœur avec qui il discutait joyeusement et tout à coup entendant le pas de sa mère qui arrivait, il avait dit, laisse-moi, il faut que je pleure, voici Maman.
Elle, dévalant les escaliers, jetant déjà son corps vers lui, elle, jeune mariée, comme on le racontait, elle au prénom désuet comme souvent les diminutifs – mais en était-ce vraiment un – un prénom qui dès les premiers mots de l’anecdote suffisait à lui barrer l’accès au statut d’héroïne, mais quand même, il y a la suite, comme on se l’imaginait, elle dévalant les escaliers en courant, la main agrippée à la rampe pour ne pas freiner sa course dans le virage, le tapis épais retenu par des tringles dorées avalant le cri de ses pas, mais pas celui de sa gorge, de son corps esseulé en manque et prêt déjà pour l’enlacement, et les murs amplifiant le prénom de l’amoureux, Edmond, le récit qu’on en faisait, celui qu’on a entendu souvent, mais on ne pourrait pas raconter à notre tour, de la connaissance d’eux en chair et en os qui nous fait défaut, et le récit voué avec les années à s’étioler comme s’évente un parfum, celui de la méchante blague que les enfants lui faisaient à Finette, lui faisant croire qu’Edmond était à la porte, au bout du couloir de l’entrée, enfin libéré, qu’Edmond était revenu, Edmond qui avait été victime d’une rafle pendant la guerre et avait été envoyé en Allemagne pour le travail obligatoire.
Ses premières marches qui devenaient régulièrement le siège du cocher, seul rôle que des petites filles avaient trouvé pour occuper leur jeune cousin, lorsque jouer pour elles consistait à inventer des histoires, des personnages et des dialogues, qu’il n’aille pas se plaindre à sa mère que ses cousines ne voulaient pas « jouer » avec lui. Ainsi donc, assis derrière un cheval imaginaire, il attendait… Fouette, Cocher.
Un escalier comme vis géante et centrale de toute la maisonnée.
Super, j’adore la vie et le mouvement qui parcourent ce texte. Bravo
Merci, Laurent. Te lire, j’ai du retard toujours…
quatre petits bijoux. merci