#histoire #02 | Bonne route

Lui
-Allez me chercher un visage- Voilà ce qu’il disait -Allez me chercher un visage- Tout ce qu’il percevait de sa réalité était contenu dans cette supplique et dans sa salle de bain, se regardant il demandait cela un visage. Il s’exhortait lui-même, il s’entretenait. Comme un cheval qui hennit, le cou, la bouche en avant et les yeux droits pointés devant, ça sortait tout seul. Face au miroir au milieu du dentifrice et de la mousse à raser. Juste pour parler à quelqu’un, juste pour percevoir un horizon qui serait. Plus tard sur le pas de la porte, dans le froid et devant toute cette neige priable, il implorait S’il vous plaît un visage.

L’autre
Bordel, la chouette course le chat qui chasse sur son territoire ! Des musaraignes à se partager ? Jamais. Faut avoir l’œil et la panse bien d’équerre. Si c’est le cas, ça va tout seul. On fonce sur l’ennemi en rase-mottes, on lui fout la frousse et avec de la chance et quelque adresse, on lui dérobe sa proie. C’est le chat qui l’a mise à mal mais c’est l’oiseau qui remporte la mise. Moi, j’ai le cœur chevillé à mon ombre. J’ai ce qu’on appelle le ventre mou et c’est pour cela que je marche en me prenant les pieds dans l’tapis.

L’enfant
La baleine de Jonas est bien bonne de le bercer et de le tenir au chaud se raconte l’enfant en regardant l’image. Moi, je pousse tout seul comme les champignons et j’ai l’âme tranquille. Je n’ai pas besoin d’une écorce où me frotter, je n’ai nulle envie d’un corps aimant. Je me suffis. Quelquefois, des brebis douces et câlines me rendent visite. J’imite leur démarche en me hissant sur la pointe des pieds et en gambadant. L’air scintille autour de moi et me trimballe et m’offre toutes sortes d’aventures. Je suis un enfant-champignon joyeux avec un joli chapeau tout rond.

La baleine
Est-ce une fille ? Est-ce un garçon ? J’ai beau tendre l’oreille, je n’arrive pas à déceler le sexe de ce petit cavaleur. Est-ce important de le savoir ? Je suis sa maman maintenant et je prends mon rôle au sérieux. Je veille sur lui. Il doit avoir une longue chevelure. Il me chatouille. Et des jambes interminables. Il me boxe. Nous dansons ensemble. Quand je me renverse sur le dos, il rit aux éclats et quand je reprends mon souffle avant de cracher, il réajuste son gilet. Combien a-t-il de doigts ? Il palpe son monde, il me pétrit. Une force émane de sa présence. Je suis son jouet et il aime le jeu. A l’idée qu’il pourrait s’échapper, je suffoque. Est-ce si important qu’il apprenne à lire et à écrire et à compter ? Est-ce si important d’aérer la pensée ?

Le toboggan
C’est mon métier de faire glisser les gens. Un métier comme un autre. Pas très fatiguant, un peu statique certes. Je suis cloué ici depuis des lustres et je ne suis pas prêt d’en bouger. Mais enfin, je vois du monde. Et je travaille à l’air libre c’est appréciable. Le jour, je vois passer des vieux enfants et des jeunes voire des très jeunes. Ils glissent sur moi. La nuit, ils me balancent des canettes de soda ou de bière j’aime pas ces brutalités. Avant, j’étais en bois et il arrivait qu’ils se blessent, s’enfoncent une écharde. Maintenant je suis en métal et en été, ils se brûlent les fesses. En hiver, ils se les gèlent. Ils finiront tous par glisser dans l’autre monde. Je m’ennuie pas.







A propos de Louise T.

Des fragments de vies dans divers lieux Afrique du Nord/France/Côte d'ivoire/ France. Villes et campagnes. Ecriture et Lecture. Aimerais être en lien plus étroit avec moi.

12 commentaires à propos de “#histoire #02 | Bonne route”

    • Merci Anne. Un lien peut-être car sous des dehors souriants (à part Lui) quelque chose de plus noir.

  1. bloquée sur « d’équerre » dès que je l’ai lu jusqu’au toboggan.

    je crois bien que je n’avais jamais écrit le mot « équerre » (d’ailleurs je viens de me planter pour la deuxième fois en l’écrivant d’équette). Pourtant, pour la matheuse contrariéent que je suis, c’est un mot à l’importance capital. Mais c’est comme si quand je l’entend parfois, je vois tout de suite un dessin, pas le mot. Je sais pas si, mais pour moi, y’a quelque chose.

    Et magnifique, le toboggan, d’ailleurs, il me fait l’effet quasiment inverse du premier, maintenant je le vois, avant pas.

    Bref de bref.

    • Merci de ton passage Alexia.
      Faut bien marcher droit de temps en temps.
      Cette blague : « dans la vie, faut toujours marcher droit » dit le serpent à son ami le crabe.

  2. Allez me chercher un visage…
    Sacré projet.
    Aujourd’hui, « on » fonce sur « l’ennemi »
    Jonas et son dieu auraient du taff, pour être d’équerre !

    Texte drôle et pas du tout
    Bravo

  3. cette histoire de visage : magnifique
    ce toboggan qui pense
    Jonas et la baleine pour nourrir encore mon imaginaire
    Merci Louise