Chasseur 1
Voilà, on les a manqués, ils ont dû bifurquer avant la petite haie ou devant le verger, ils ont dû passer par la deuxième allée entre les pommiers. Le chien les pistait mais il a été déconcentré par un truc, un autre animal sans doute. Je ne peux pas lui en vouloir, on est là depuis tôt ce matin, il commence à fatiguer. D’ailleurs, commence à faire faim. Et soif. Lui aussi, il doit avoir faim. Faudrait peut-être rentrer. Mais A va vouloir continuer, c’est sûr.
Chien du chasseur 1
Je les sens, je les sens encore, ils sont là, pas loin, au milieu des odeurs de boue, de fruits pourris et d’insectes morts, de mulots. Mais le mulot est tout près, j’aimerais bien le poursuivre, c’est amusant un mulot, j’aime bien courir après, c’est pour jouer, pour m’approcher du museau fin et des petits yeux tout noirs. Mais là, il faut que je me reconcentre sur eux, je sens bien leur poil, les sécrétions. Ils ne sont pas loin. Et je sens la peur.
Chasseur 2
Pff, on les a encore loupé, ça fait deux fois, les petits malins. Je sais qu’ils sont plusieurs, je les ai aperçus, toute une meute à travers les broussailles, ils ne se méfiaient pas encore, ils étaient en train de fouiner, de fouir je ne sais quoi le groin dans la boue, et moi comme un idiot, j’ai tiré trop vite, ils se sont enfuis et maintenant on galope après depuis deux heures. Ils ont toujours une longueur d’avance mais je ne vais pas lâcher l’affaire et tant pis si l’estomac grouille un peu trop depuis une demi heure et que F semble avoir envie de rebrousser. Là, j’ai vu une ombre, c’est eux. Alors pas question, on continue.
Promeneur 1
Incroyable, jamais vu autant d’un coup, à découvert en plus, toute une famille de sangliers, combien il y en a, 7, non 8, c’est fou de les voir traverser aussi près devant nous, probablement effrayés par les détonations, la double bonne surprise du jour, qu’ils échappent aux chasseurs et qu’on les voit si près, ça tombe bien on commençait à ne plus avoir grand-chose à se dite, le silence commençait à devenir gênant, pesant même et d’un coup, les sangliers nous sauvent, ça nous fait un sujet de conversation, mieux : un sujet d’émerveillement, de quoi fusionner un peu, de quoi resserrer un lien qui s’effiloche.
Compagne du promeneur 1
Quelle merveille, toute une famille, le vieux mâle en tête, de plus jeunes ensuite, les marcassins en dernier avec un autre adulte qui ferme la marche, et les voir si près, c’est formidable, juste là, traverser devant nous, je n’en crois pas mes yeux. Je continue à avancer à leur rencontre mais O me stoppe dans mon élan, il s’imagine sans doute que je pourrais courir un danger si je m’approchais trop près, il a sans doute raison, mais mes pieds ont avancé malgré moi, j’étais comme aimantée, j’aurais pu continuer à avancer s’il ne l’avait pas arrêtée. Maintenant c’est fn, ils ont disparu de l’autre côté du chemin derrière les arbres, on ne les voit plus. Cette présence sauvage dans ce flot de poussière avait réellement quelque chose d’irréel, ils étaient là et ils avaient disparu l’instant d’après. C’est fou, et merveilleux, et peut-être un peu frustrant aussi. Je crois que je vais rêver d’eux.
Promeneur 2
Si j’avais quelqu’un à qui parler comme les deux là-bas, je crois que j’en bégaierais. Ou bien je resterai bouche-bée. C’est le cas d’ailleurs et l’air que je happe comme un poisson me semble plus électrique ou pur je ne sais pas trop mais plus. Comme plus fort ou pus chargé de quelque chose que je ne sais pas définir. Plutôt fermer ma bouche et ouvrir grand mes narines et mes yeux pour bien fixer l’atmosphère et la scène.
Le groin en éveil, humanimale , je guette la suite.