On abat un érable.
Une habitante âgée.
Abattre l’érable, pourquoi, un peu plus de béton, un building, et quoi, une banque.
Sûr ce ne sera pas un cabinet médical, une boulangerie, on en manque ici, des années qu’on le demande, mais personne ne nous écoute.
On ne nous dit rien, jamais, franchement faudrait penser à partir, mais mon dos, comment je ferais avec mon dos, déjà là debout avec ma canne, on pourrait me pousser que je tomberais, je ne devrais pas je sais, je devrais rester dans mon fauteuil je sais, mais renoncer à voir le monde je sais pas.
Dire qu’avant on prenait le train, une balade au parc des Buttes-Chaumont, des brunchs à Berlin, marcher le long de la digue à Blankenberge à l’automne, un festival de jazz, trois fois la Sagrada Familia, un stage de dentelle, fallait vivre.
On partait en maraude, distribuer de la soupe chaude au cerfeuil et du mimosa à ceux qui n’avaient pas de toit, les autres ça comptait pour toi.
Quand on rentrait, exténués, on se disputait parfois, pour un rien. T’allumais une bougie et tu disais qu’on avait le temps qu’elle se consume pour se réconcilier. Ça se terminait toujours par une orgie de caramels.
On était vivants.
Une gamine.
La mer, ils vont mettre la mer à la place de l’arbre, la mer pour les enfants qui ne connaissent rien d’autre que le manège de chevaux de bois et la friterie, la mer pour changer d’air un peu, et voir un peu plus le ciel de la fenêtre de ma chambre, et les vagues monter haut par grand vent, et voir les gens rire même l’hiver, et trouver des trésors dans le sable, une pièce de monnaie pour offrir une gaufre chaude à la cannelle à maman le jour du marché, des crabes et avec les copains leur faire faire la course, quelques crayons pour dessiner les souvenirs et la solitude sur le papier brouillon, ne rien oublier.
Aller seule à la mer sans devoir tenir la main de maman, maman elle sert parfois trop fort ma main, elle a peur, elle a tout le temps peur maman.
Et l’arbre, ils vont le mettre où l’arbre, on pourrait le mettre à côté de la salle des fêtes, ça ferait de belles photos de mariage, de fête nationale, une farandole autour pour dire au revoir aux morts, une farandole les derniers jours de mars pour demander au printemps d’arriver plus vite, ici les hivers sont longs comme les mille-pattes.
J’aime beaucoup cette entrée en matière, je vais avoir plaisir à suivre le triste sort de l’érable.