#histoire #04 | Ces histoires, pourquoi en faire toute une histoire ?

Pourquoi cet homme vendait-il tous ces romans de Musso ? tous bien rangés sur une bâche en synthétique gris, des livres presque neufs, en très bon état, comme on dit sur les sites de revente en ligne. Rien que des grands formats, peut-être une bonne dizaine. Il ne vendait presque rien d’autre, juste des babioles, un ou deux vases, des bougeoirs, ce genre d’objets qu’on trouve dans les boutiques de déco. Le tout neuf, ou presque. Le type était jeune, la trentaine, grand, pas mal en fait… pas le genre de choses que vend un homme.
Curieusement, il ne semblait pas voir vendu beaucoup. Les objets paraissaient avoir été disposés avec soin et même avec goût, et il n’y avait pas de vide laissant penser au départ d’un autre objet.
Pourquoi alors n’avait-il rien vendu ? est-ce parce qu’il en demandait trop cher ? ou bien…
Je m’étais promis de regarder de plus près les livres, non pour en acheter un, mais pour voir s’il y avait en eux un indice. Un nom, une dédicace, des pages cornées. Ou des pages arrachées. Les pages de garde, par exemple, celles où on écrit son nom, et parfois, la date et le lieu de l’achat.
Pourquoi ne l’ai-je pas fait de suite ?
Pourquoi avoir attendu de repasser devant ce stand?
Il n’était plus là. Il avait tout remballé et était reparti, sans doute avec tout ce qu’il avait apporté.
Pourquoi est-il parti si tôt, car il n’était pas plus de dix heures et demie?
Pourquoi vendre des livres et des objets si peu « masculins »?
Je sais, je ne devrais pas essentialiser (c’est le terme convenu, je crois), classer les comportements en fonction du genre. Pourquoi vouloir à tout prix que lire du Musso  serait le propre du féminin ? Pourquoi croire que ces livres n’étaient pas les siens? parce que ça permet d’imaginer toute une histoire: sa femme est partie, elle l’a plaqué, alors il vend ses livres, histoire de se venger. Les liquider, sans les lui rendre… bien fait pour elle ! elle y tenait? alors tiens, pour la peine, je les solde. Et si je ne les vends pas, je les brûlerai! Ou bien elle s’en fichait, elle les lui a laissés et l’a laissé se débrouiller avec. Ou bien… il a une nouvelle compagne, qui trouve ces livres trop… et lui a dit de virer tout ça. Ou bien… sa femme est morte, et il ne veut rien garder d’elle. Voir ces livres, et la revoir, elle, lisant ces romans est trop douloureux. Ou bien… eh bien, tout simplement, sa femme et lui viennent d’acheter une maison et d’y emménager ; ils ont trouvé un carton de livres et ont décidé de s’en débarrasser. Elle l’a laissé tenir le stand pendant qu’elle faisait un tour sur la réderie. Et comme ils sont amoureux, ils se sont dit qu’ils avaient mieux à faire.

Dis-moi, George, dis-moi pourquoi?
Pourquoi encore une fois, de toutes les histoires possibles, encore en écrire une sur une gamine de seize ans, enceinte? ça tourne à l’obsession, tu sais. Les filles de seize ans, séduites, enceintes, mal mariées ou pas mariées du tout, tu sais que ça devient ton seul sujet? Je me demande bien pourquoi, puisque ça n’a rien à voir avec toi, avec ta vie. Certes, les histoires de ce genre ne manquent pas, hélas. Bien sûr, comme tout le monde, tu en as croisé, de ces fillettes… et c’est, comme on dit, un « vrai sujet de société », qui donne lieu à des articles, des enquêtes, des films et des séries. Tout le monde s’y intéresse… Non, d’accord, pas tout le monde, tu as raison, il faudrait qu’on cesse de considérer que c’est dans l’ordre des choses, qu’on n’y peut rien, je te l’accorde. Mais tout le monde ne se fixe pas sur ce sujet. Pourquoi ne pas raconter autre chose? J’ai ma petite idée là-dessus. Je te laisse y réfléchir, George.

A propos de George Baron

J'aime la lecture, la SF et l'Oulipo. J'ai commencé à écrire, et plus j'écris, plus j'ai envie d'écrire. C'est la première fois que je m'inscris à l'atelier de François Bon, et j'espère bien aller jusqu'au bout de cette aventure.