J’avance d’un pas lent, de moins en moins assuré ou plutôt mon pas gauche est déterminé, mon droit hésitant – toujours cette dualité ou plutôt une simple variabilité en moi, un léger déplacement intérieur que je ne parviens pas à saisir –, j’embrasse du regard tout le paysage, plonge dans la lumière vive aujourd’hui puis je regarde le muret en pierres et mes pas se rassemblent d’eux-mêmes. Le muret est envahi par le lierre qui s’est agrippé, insinué dans les interstices, le muret semble moins droit, habité par cet intrus envahissant. Je baisse les yeux, la terre aussi semble avoir changé, plus dense, le poids des passages depuis vingt ans. Le vent se lève soudain, apportant l’odeur de sel et des algues de l’étang. Je ferme les yeux et tout le passé est présent. J’approche de la maison. Les volets ont perdu leur couleur verte uniforme, la peinture s’écaille par petites plaques, la façade a jauni, quelques lézardes tracent des chemins imprévisibles. Je ralentis mes pas. Le portail est devenu si proche, une appréhension m’envahit, il est à moitié ouvert, je franchis l’entrée, je traverse la cour silencieuse, les gravillons remplacent la terre battue d’autrefois, le pin a grandi, dépasse le toit, une voiture blanche inconnue est en stationnement, un vélo bleu s’appuie sur le mur à côté de la porte d’entrée. J’hésite, mon souffle se brise. Je décide d’attendre encore un peu avant de taper à la porte. Taper à la porte, je suis un peu chez moi tout de même, mais si peu désormais. Accepter l’étrangeté de la situation. Me décentrer pour respecter la liberté des occupants actuels qui ne m’attendent plus j’imagine. Je baisse la tête peut-être pour ne pas croiser leur regard trop vite, pourtant je ne regrette presque rien. Je m’approche, mon bras me conduit, ma main tremble, je vais finir par taper, j’entends une musique. Voilà c’est fait. Je ressens un soulagement. J’attends. Personne ne vient. Pourtant la musique signale une présence, je ne peux tout de même pas forcer la porte. La personne vivant à l’intérieur est peut-être sourde, mon père. Alors j’attends. Il est 15 heures. Le soleil est encore haut. J’ai soif. J’ai mal à la tête. Mes pensées tournent leur regard sur le sol. Quelques fourmis agitées escaladent gravillon après gravillon en quête d’une nourriture rare. Une diversion salutaire. Je pourrais partir et revenir plus tard mais je n’arrive pas à y consentir. Les questions posées à moi-même, mes regrets, mes remords rares à vrai dire ne sont pas grand-chose à côté des paysages, des hommes et des femmes que j’ai rencontrés. Je ne suis plus le même et pourtant j’attends devant cette porte de bois vieillie mais toujours robuste dans une suspension où le passé et le présent se tiennent immobiles l’un à côté de l’autre.
4 commentaires à propos de “#histoire #08 | attente”
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J’aime bien la phrase: « pourtant je ne regrette presque rien. « . Surtout le « presque ».
Cette phrase bizarre, aussi: « La personne vivant à l’intérieur est peut-être sourde, mon père »
Aussi: « mes regrets, mes remords rares à vrai dire ne sont pas grand-chose à côté des paysages, des hommes et des femmes que j’ai rencontrés. «
merci Natacha de ton écho
je ne sais pas encore quels sont ses regrets et ses remords !
Très intéressante, cette progression hésitant, progression tout de même, je l’aurais bien vu loucher (un oeil hésitant, l’autre déterminé)
l’oeil reviendra sûrement