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#09 | Echenoz aller retour Nevers, en train en voiture
L’illusion de continuité et de linéarité, dans une histoire qu’on lit, est le résultat d’une architecture faite de séquences parfaitement discontinues, chacune témoignant d’un rôle et d’un écart précis au fil principal, justement pour lui donner élan.
C’est parfaitement perceptible dans Bristol, le dernier livre de Jean Echenoz (Minuit, janvier 2025 et cf extrait à télécharger). Un début paradoxe, comme chaque fois chez Echenoz : il part d’une de Paris, la «rue des Eaux», petite rue sans particularité, perpendiculaire à la Seine dans un quartier tranquille. Seulement, alors que le personnage principal sort de chez lui le matin, dans la plus ordinaire des routines quotidiennes, un corps nu tombe du 4ème étage, écart avec la réalité ordinaire qui va lancer l’histoire.
Le livre est composé d’une suite de 32 séquences courtes, en 2 parties plus un épilogue. Pourtant, l’histoire nous paraît linéaire, sans vide. Elle crée son propre univers, sans contrainte d’obéissance à des réalités probables.
À deux reprises, d’abord en train Intercités au chapitre 5, puis dans une voiture très banale et moyenne, Citroën Aircross marron au chapitre 21, le narrateur se rendra de Paris à Nevers, depuis la gare d’Austerlitz pour le voyage en train Corail, depuis la porte d’Orléans pour le voyage en voiture. Le deuxième voyage, après une série de 3 séquences liées à l’intrigue, verra au chapitre 24 le narrateur repartir en voiture, errer de département à département par des routes secondaires jusqu’à Limoges avant retour à Paris.
En suite et prolongement (mais comme un amont rétrospectif) au thème du «je suis de retour» exploré avec Kafka lors de la proposition précédente, il s’agit dans Bristol de 3 séquences uniquement liées à ces trajets (deux Paris Nevers, un retour Nevers Paris et un triangle Nevers Limoges Paris) où les perceptions subjectives, à cause du temps contraint des trajets, va pouvoir se lester concrètement d’images : paysages et autres passagers, gares pour l’Intercité. Relation au temps, aux gestes, à l’attente (allumer l’autoradio, écouter les informations en boucle, hésiter sur les itinéraires) pour le voyage en voiture.
Dans les deux cas, le livre aura trouvé un espace précis, ou même trois espaces précis, pour nourrir la représentation, l’image monde incluse dans le livre, et le personnage lui-même. Enjeu de taille pour le système fictionnel d’Echenoz : son personnage a nom de papier (les fiches Bristol de Walter Benjamin, le Bristol des cartes de visite), son rapport à la réalité n’est pas l’enjeu du livre. Mais chacun de ses gestes dans l’ordinaire du monde va convoquer en nous notre propre ordinaire: ce sont ces perceptions, gestes, paysages, rapport à la parole et aux autres, qui nous construit comme lecteur et devient le support de l’élan romanesque.
Des temps de latence qui deviennent donc matière du roman pour leur propre distance (le personnage est enfermé pour un temps mesurable dans un espace clos, le train, la voiture) à l’intrigue, mais justement en nous piégeant dans ce contexte à la fois subjectif et concret.
Et c’est bien ce que je vous propose de faire, au nom même de l’intrigue qui émerge progressivement de vos 8 contributions précédentes : explorer la durée même de ce retour évoqué dans la #08, le considérer comme un temps de latence dans le développement de l’intrigue, mais en garder et en nourrir l’élan par toutes ces perceptions subjectives que vous pourrez y inclure.
Echenoz se sert pour cela d’un jeu grammatical singulier : le pronom neutre et ambivalent (il peut être aussi lu comme un il ou un vous) «on». «Après qu’on a passé Nevers, il semble qu’on roule au jugé vers Limoges.» Il ne s’agit pas du monologue intérieur du personnage, ce Bristol dont on connaîtra le détail de son mince bagage dans le train, ou ce à quoi il s’occuper la tête en conduisant. Et c’est encore moins un auteur omniscient (les références discrètes à Flaubert — comme le début de Bristol démarque à peine le début de Bouvard et Pécuchet — sont permanentes chez Echenoz depuis son premier livre) qui considérerait son personnage comme dans une bulle étanche. Le «on» d’Echenoz est un moyen pour l’auteur, à distance de son personnage, non seulement de le voir agir, mais d’écrire subjectivement la relation du personnage à ce qui l’entoure.
Vous essayez ?
En ce cas, bon voyage aller-retour à Nevers… ou ailleurs !
Oh la la : je suis la régionale de l’étape !
AR Valenciennes autorisé aussi !
Bonjour François, il y a quelques ateliers hebdos, vous avez partagé un texte sur le travail d’acteur et ce qu’il s’y passe au niveau physique, animal, qui m’avait beaucoup frappée, étant comédienne moi-même. Je n’arrive plus à retrouver ce texte. Voyez-vous de quoi je parle ?