Quand on descend de l’avion à Roissy-Charles-de-Gaulle, après un long voyage d’environ quinze heures depuis Chennai, le gris saute aux yeux après qu’en terre indienne les couleurs intenses prenaient au corps tout entier. Un gris semblant venir de partout à la fois. Des armées de vêtements gris, noirs, des visages blafards, des gestes mesurés tout alentour. On gagne sans hâte l’espace de récupération des bagages, en raison des sens et des forces émoussés après un voyage éprouvant par sa longueur et ses turbulences. Des turbulences il y en eut beaucoup – des affolements, des visages blêmes, des vomissements intempestifs. Sur le tapis roulant défilent les bagages noirs, gris, bleus, sa valise rouge tarde puis elle apparaît enfin, cabossée, les bosses et les creux de l’aventure lointaine. Une sorte de signature. En hâte on se dirige vers la sortie pour attraper le RER conduisant en gare de Lyon – l’itinéraire RER A + RER B, qui permet une correspondance sur le même quai à Châtelet–Les Halles. Le temps de parcours est d’environ cinquante-cinq minutes. Peu de monde dans le train. Des visages aux traits tirés sauf celui de la jeune femme en face de lui. On pourrait s’attendre à ce qu’il manifeste quelque intérêt pour elle, qu’il essaie d’échanger quelques mots, sur presque une heure à partager. Mais il ne dit rien. On peut se demander si les longues tresses noires et les tenues colorées des femmes indiennes qu’il côtoyait ou croisait tous les jours n’effacent pas les cheveux courts, le jeans et le pull noir de la jeune fille. Le paysage défile mais il ne le regarde pas. On arrive à l’heure prévue en gare de Lyon. La valise rouge se repère toujours facilement. Il descend du train. Comme il n’a pas de billet pour la suite il se rend dans le Hall 3 derrière la Brioche Dorée. On peut aussi prendre son billet en utilisant un automate. Mais il préfère se rendre dans l’espace vente et s’adresser à un employé. Il n’y a pas affluence aujourd’hui, et parler français le tente. Il obtient son billet TGV ouigo Paris-Sète. En trois heures trente on pourra le voir en gare de Sète. Il s’installe près de la fenêtre, il est seul et a besoin de somnoler, cela tombe bien. Il s’endort même profondément. Un sommeil compact, sans images, sans rêves. Il se réveille quelques minutes avant d’atteindre Montpellier. Il sort une gourde de son sac et un sachet de biscuits. Il est un peu fébrile, n’a pas vraiment faim. Des souvenirs l’assaillent, ses études à Montpellier, ses frasques, ses doutes. Quand il arrivera à Sète il devra trouver un véhicule de location. Personne ne sait qu’il revient. Il n’a contacté personne – de toutes façons on sait bien qu’il n’a même plus les numéros de téléphone. Il sent la mer qui approche et bientôt l’étang de Thau. Il regarde dehors. Rien n’est encore distinct. Patience. Gare de Sète. On descend. La valise rouge lui semble plus lourde, la fatigue s’épaissit, les appréhensions montent. On cherche alors le centre de location de voitures, on fait les démarches et on repart pour accomplir la dernière étape, le village près de l’étang de Thau là où il habitait il y a vingt ans. Vingt-deux kilomètres encore et il pourra alors s’approcher de son ancienne maison. En chemin on mesure combien les choses ont changé : routes élargies, ronds-points surgis de nulle part, nouvelles constructions en bord d’étang, vignes arrachées, sa tête tourne. On scrute un territoire devenu un peu comme un pays qui ne serait plus vraiment le nôtre. Il atteint le village, l’entrée a été modifiée, un sens unique a été instauré, il passe devant la grande église, le gothique occitan garde toujours sa splendeur, la maison est proche, ses mains tremblent. Un tremblement venu peut-être d’une vie ancienne subitement réanimée. On peut le laisser seul maintenant.
4 commentaires à propos de “#histoire #09 | la valise rouge”
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J’aime beaucoup ce récit de retour tout en contrastes, gris versus couleurs, souvenirs versus découverte du paysage actuel.
Merci pour votre écho.
je n’ai pas encore pris le temps de vous lire
plaisir des échanges
On aurait pu voir émerger les souvenirs des embruns.
La dernière phrase est très intrigante, ça donne envie de lire la suite.
merci Perle de ton écho régulier
la suite est à construire