
Je passe en revue mes livres et n’y trouve aucun hôtel. Il y est plutôt question de maisons de famille, lieux construits à l’ancienne reliés à l’enfance, fermes de l’oncle ou du grand-père, petites locations du bourg. Nous nous visitions peu les uns les autres et ne partions pas en vacances. Des hôtels, je n’en ai connus qu’au cours de mes années vagabondes alors que j’avais cessé de faire ce qu’on attendait de moi, du pucier immonde sans fenêtre au palace avec hôtesses en sari haut de gamme et gardes armés sous le portique d’entrée — pour une nuitée seulement tant le tarif était exorbitant. Depuis que j’ai fermé les yeux, des images me reviennent de ces endroits de passage, surtout des pensions modestes où j’ai pu faire étape : chambres sans fioritures ni lampes ni accessoires, draps douteux ou pas de drap du tout, pas de hall d’entrée ni bureau d’accueil ni distributeur de boissons. Ainsi que des molécules en suspension, les souvenirs remontent, images bruits odeurs, s’égarent puis se regroupent dans une ambiance inspirée de divers continents. Je laisse faire. Les mots liberté et solitude tournent en boucle. Bientôt je sens, je vois, je mesure tout ce que j’aurais pu écrire.
Au début rien n’est révélé des alentours. On sait qu’on est au bord d’une mer à saisir la nature forte de la lumière.
Rumeur de vagues au proche — impossible de se tromper.
Rien qu’un cabanon de plage dans une île éloignée des villes, entouré d’arbres longs et penchés à têtes ébouriffées. À louer à la semaine.
J’ai quitté le bungalow en haut de plage pour gagner l’intérieur de l’île à l’opposé de la mer. Le champ d’observation s’est élargi. Des rideaux végétaux se succèdent en tons de verts bleutés et luisants. À force de marcher à travers cette jungle douce et charnelle, on finit par tomber sur la résidence aux colonnades blanches et terrasses avec chaises longues protégées par des moustiquaires.
Tout semble réel : arbres aux feuilles découpées, herbe tondue devant la façade, matière grenue des pierres du bassin aux poissons d’argent. Il y a des animaux dans la palmeraie, on les entend fureter. Rongeurs, lézards, autres reptiles. En dépit de la luxuriance, le ciel a pris large place, d’un bleu entêté. Les espaces intérieurs se révèlent paisibles et sombres à pousser la porte, plus lourde qu’on ne l’aurait cru.
Rien qu’osier rotin bambou paille de riz.
Le plancher délavé par les pluies tropicales est infiniment doux sous le pied. Il est facile de circuler d’un espace à l’autre, escaliers dissimulés par des voiles agités de vent frais qui conduisent à l’étage et desservent des chambres délimitées par des cloisons tressées.
au matin précoce
rumeurs-frissons de colibris
un nouveau monde se recompose
Et les cloisons semblent palpiter en accord avec la respiration du voyageur qui dort dans le besoin de reconstituer ses forces. Il rêve. Il vit sans fin dans cet endroit d’accueil entre la paillote et l’hôtel, contraintes effacées, comme s’il était parvenu à la fin du parcours et avait trouvé ce qu’il cherchait. Des légendes, rameutées par le souffle puissant des palmeraies qui entourent la maison d’hôte, se murmurent. Elles alimentent le sang et parlent à l’intérieur de l’être. J’ai séjourné longtemps dans cet hôtel de rotin et de paille à la porte lourde et au bassin de pierre, je reconnais cette chambre d’ombre et ce rêve qui colle à la peau.
photographie ©françoise renaud