Ivan a peur. Ivan ne veut pas voir. S’il voit le monde comme avant n’existera plus. Il se cache les yeux derrière ses mains. Ça ne fonctionne pas de la même manière que quand quelqu’un met les mains sur ses yeux. Joseph. Alexis. Ou Myrrha. Quand c’est l’autre qui met ses mains sur les yeux, il peut tirer sur les paumes de l’autre mais sans y mettre trop de vigueur. Ses doigts dans le creux de la paume, faire semblant, en riant ou en se débattant, que l’on veut retirer la main de l’autre mais sans pousser l’effort. Parfois même en les plaquant un peu plus. Ses mains à lui sur les paupières, ça ne fait pas le même effet. Il peut ouvrir les paupières. Entrouverts, les yeux. Fente minuscule pour voir. Pour ne pas voir. Et il peut, sous une force inconnue, celle qui démange le corps des enfants, écarquiller ses doigts. Juste une fente entre les paumes. Ou les doigts serrés entre eux mais tendus vers ce qui se passe au dehors. Trous de serrures. Les doigts en trous de serrures. La curiosité troue le monde d’avant.
Myrrha met ses mains sur les oreilles. Très fort. Ne pas entendre. Crier lalala, tourner la tête, la nuque en faisant non, non comme si le bruit disparaissait si il ne passe plus par elle. Sous ses paumes, ça bourdonne. Le monde cogne, épais. Ses mains ne couvrent pas tout. Les doigts fins trop courts, les ongles mangés. Des tâches d’encres sur les coussinets. Elle appuie encore. Ses pouces enserrent sa tête. Le bourdonnement devient un grand battement. Son cœur bat. A l’intérieur de sa tête. Pulse dans son poignet. Si elle prend sa nuque, son cou, dans ses mains, serrées, avec le sang qui tape dans les doigts, peut-être Maman criera enfin “mais arrête donc!” au lieu de dire les choses qu’elle ne veut pas entendre.
Chercher les doigts. Tâtonner dans le vide. L’autre main qui cherche également. Contour incertain. Mais l’évidence du geste. Tendre la main. Un élan suspendu. Chercher furtivement mais quand on attrape, attraper solidement. La main rugueuse de Joseph. Qui attrape par le col. La main chaude de Myrrha. La paume toujours creuse. Les doigts nerveux d’Ivan. Qui entrelace toutes choses, pour les garder précieusement. Chercher, attraper, agripper. S’agripper à la main de l’autre pour contrer ce qu’on ne peut saisir. Le Vent. Pourtant le Vent lui, sans mains, attrape. Il gifle. Il fouette. Il mord. Il cingle. Il arrache. Il bat. Comment fait-il tout cela ? Quelle sorcellerie que le Vent ? Lui qui leur glisse entre les doigts et leur souffle chut sans en avoir ?