
Une brocante, un grenier, ton grenier, ta mémoire, une poubelle, une déchèterie. Où es-tu ? que vois-tu ? Les choses qui nous survivent et celles que nous jetons : déchets, rebuts, ordures, choses sans valeur
C’est Fresh Kills la grande décharge de New York qu’on transforme peu à peu en parc. Freshkills que je n’aurais jamais connu sans le livre de Lucie Taïeb qui tenait elle-même l’information de Don delillo. Avec une pensée pour Gaëlle Obiégly et son sans valeur.
Fresh kills la décharge réouverte pour y mettre les restes des twins towers. Là tout était mélangé, les gens et les choses, les choses qui ne marchaient plus et celles qui marchaient encore, il a fallu beaucoup trier. Trier qui n’est qu’un pis aller, à défaut du processus naturel qui permettrait la disparition, le retour à l’atome initial.
Il y a des choses, il y a des gens, c’est leur histoire. il en manque encore beaucoup pour arriver à 100, vous voyez la méthode.
- l’histoire de la carte pokémon qu’il t’a vendue et du trentenaire qui en a acheté pour 90 euros
- l’histoire des bottes de ton frère qui sont dans ta remise, bien trop grandes pour que tu les mettes
- l’histoire des petits bols rouges à pois blancs qui ont été ta première acquisiton lors de ta première installation
- l’histoire du petit plat blanc à motif bleu acheté en plein divorce et qu’il avait acheté lui aussi
- l’histoire de la procelaine chinoise volée dans un musée de Limoge
- l’hsitoire de ces chaussuers fourrées que tu ne mettras plus (3 paires) et que tu vas confier au conteneur
- l’histoire des meubles ikea que vous avez en double suite à un remariage
- l’histoire des torchons de ta mère de la marque solfin
- l’hsitoire de l’argenterie offerte au mariage de ton frère qui t’es échue sans que tu te maries
- l’histoire du goldorack en plastique noir articulé mais plus animé, acheté et égaré
- l’hsitoire des ordures faisant l’objet de refus de tri, couches culottes et protection hygiénique usagées
- l’histoire du pantalon en cuir que tu ne mettras plus (trop petit) mais que tu gardes
- l’hsitoire des fils de connectique emmélès au fond d’un tiroir
- l’histoire des livres non coupés de la boite à livre
- l’histoire des déchets toxiques enterrés dans l’ancienne carrière
- l’histoire des peaux de lapin ou de taupe qu’on ne ramasse plus
- l’hsitoire des déchets verts de ton jardin (et des sapins de Noël)
- l’hsitoire de cette robe jaune que tu portes que une photo en noir et blanc
- l’histoire de cette sculpture d’enfant (carton, boite de film, coquillage, peinture) que tu gardes mais qui est encombrante
- l’histoire de la mise ne place du ramassage des ordures dans ta commune et des lieux où ils furent entreposés au fil du temps
- l’histoire du vide-ordure de ton premier appartement, augmentée de l’histoire des éviers broyeurs d’ordure vus en Espagne
- l’histoire des gens qui se précipitent en nombre aux vide-grenier et de ce que deviennent leurs acquisitions
- L’histoire du manteau de vison de ta mère qui est toujours dans ton placard alors que tu ne sais plus ce qu’est devenu celui en phoque
- l’histoire de tes 600kg d’ordure annuels
- l’histoire de pellicule jamais développée que tu gardes dans une boite ronde
- L’histoire du premier ramasseur d’ordures de la commune qui officiait avec cheval et tombereau et qui est mort maintenant, mais dont le correspondant du progrès se souvient très bien, c’était son voisin
- l’histoire de la maison qui tombe en ruine du premier ramasseur d’ordures de la commune. Son fils ne l’a pas reprise il habite derrière
- L’histoire de celui qui se meuble avec ce que d’autres laissent sur le trottoir
- L’histoire de celle qui ne s’habille qu’en seconde main, car c’est beaucoup plus solide
- l’histoire des mouettes qui survolent les décharges comme elles survolent les champs en cours de labour ou les bateaux qui rentrent au port et larguent leurs rebuts
- l’histoire des enfants qui jouent dans les décharges
- l’histoire des enfants qui travaillent dans les décharges
- l’histoire de l’homme qui parcourt les champs tous les dimanches avec son détecteur de métaux
- l’histoire du photographe qui faisait chaque jour une photo des fumées de l’incinérateur d’Ivry dans le ciel de Paris
- Lhsitoire des îles qui ne savent que faire de leurs décharges
- l’histoire des décharges de Montréal transformées en jardin ouvrier et des petites cheminées qui évacuent les gaz
- l’histoire des grandes grèves de ramassage des ordures
- l’histoire de la dame qui ramasse les déjections de son chien pour les mettre dans un petit sac noir qu’elle laisse sur la pelouse
- l’histoire de l’implantation du composteur dans la commune et de son enlèvement
- l’histoire des véhicules qui rouillent dans les champs et que certains prennent en photo
- L’histoire des broyeurs, déchiqueteurs et autres outils que j’aimerais posséder
- l’histoire de l’album photo, de la valise, des boites à chaussures remplies de photos qui rendent son autrice célèbrement posthume
- l’histoire de l’homme qui avait du microplastique dans son cerveau, de la femme qui avait de la dioxine dans son lait, de la famille qui mangeait dans une poêle pleine de pfas
- L’histoire des gens qui n’ont plus le droit de manger les œufs de leurs poules ni les poissons qu’ils pêchent
- L’histoire des cassettes vidéo que j’ai fait transformer en CD rom, mais gardée et dont personne ne sait plus que faire. Maitre Yamada y est toujours jeune de Jonathan withe son uke toujours noir
- l’histoire de la station d’épuration devenue trop petite
- l’histoire de l’entreprise C spécialisée dans les pompes à merde, vidanges de fosses d’aisances et dans la production de cerises et petits fruits. De père en fils.
- L’histoire de la collecte des encombrants et des découvertes qu’on peut y faire
- l’histoire des princes du déchet qui en font commerce et les transforme en or
- l’histoire des malfrats des déchets qui les dépose n’importe où
- l’histoire du maire qui s’est fait tuer pour avoir voulu interdire le dépôt illégal d’ordures
- l’histoire de la flore des décharges
- l’histoire de mon copain qui a fait des analyses de sang pour mesurer son taux de plomb. Il vivait près d’un recycleur de batteries et mangeait les salades de son jardin. Il a gagné un beau pactole dont il n’a jamais voulu me révéler le montant
- l’histoire des rats et des vers
- l’histoire du temps où il n’y avait pas de décharge.
Restes, déchets, etc. m’obsèdent. J’avais eu la réf d’un sergent de Ses Royales Majestés (mid 19th c. probably) qui, en garnison dans un pays fort, fort lointain, assista à un rituel inconnu de lui dans une tribu inconnue de lui. Il en fut tellement marqué qu’il s’évertua toute sa vie de soldat de Ses Majestés à prendre des notes sur, de mauvaise mémoire, toutes célébrations ou non-célébrations du même genre.
Pendant la première occurrence, il était assis, avec ses congénères et autres génères, et fut estomaqué par les danses et les démonstrations autour d’un objet que les Zoccidentaux (pour faire vite) traitaient bien différemment…les déjections étaient traités comme des objets de vénération.
Et je ne parle même pas de l’Éloge de l’Ombre, d’un Tanazaki. Faut je le creuse lui zaussi…
Pô mieux pour les moments.
Justement, je pensais à m’en acheter une, de tour.
j’allais oublier de préciser comme je peux mon obsession: et si que la pensée n’était qu’un déchet? vàlà
obsession commune Alexia. il a pire déchet que la pensée cependant
il y a pire que l’idée de déchet surtout, c’est par là que je vais…
Superbe !
Déjà la thématique des déchets, du jetable, de l’abîmé… ça me parle. Ce que ça questionne de notre façon de consommer, la surconsommation, la mode etc. d’un côté et de l’autre côté ceux qui n’ont rien. Et, en plus, je retrouve dans ton texte une approche documentaire qui me plaît beaucoup. Enquêter, s’informer, porter son propre regard, (en) faire un texte… génial !
Et ce qu’il y a d’humains, de scènes dans ces lignes. Touchant.
Merci.
J’aimerais essayer d’écrire un récit documentaire à l’occasion.
Au plaisir de te lire ces prochaines semaines.
Bon dimanche.
Merci Annick